Après le succès du Larzac, le mouvement social va-t-il avoir un débouché politique ?

Au moins 250 000 personnes auront fait le déplacement pour accéder, au cœur du Larzac et dans une chaleur écrasante, au grand rassemblement anti-mondialisation initié par la Confédération paysanne. CGT, FSU et G10-Solidaires, toute la gauche officielle, une partie de l’extrême gauche (absence remarquable du PT et de LO, qui continuent donc de refuser de confronter leurs analyses avec les dizaines de milliers de militants inorganisés politiquement), et d’innombrables associations, collectifs etc.

Article paru dans l’Egalité n°103

On aurait pu craindre que ce rassemblement se contente d’être festif (il le fut joyeusement) mais il a été également très  » politique « . Nous avons pu le vérifier par le nombre et la qualité des débats que nous avons eu autour de notre stand, de nombreux jeunes et salariés discutant des luttes de mai-juin, mais également de l’alternative à construire : alternative au capitalisme, le socialisme, alternative à la gauche officielle, par un nouveau parti des travailleurs et des jeunes, mais également de nombreuses discussions sur comment faire vu l’immobilisme et le flou de l’extrême gauche (LO et LCR), comment avancer une perspective réellement révolutionnaire… Une direction du mouvement qui n’est pas anticapitaliste…

L’énergie avec laquelle ces milliers de jeunes et de salariés veulent changer les choses ne peut être que positive, de même que les raisons pour lesquelles ils se mobilisent et s’impliquent : refus de ce monde basé sur l’exploitation, et qui ne génère que guerres et misère, injustices et destruction de l’environnement… Mais l’énergie ne suffit pas, il faut une analyse et de celle-ci faire découler une orientation qui permette à la combativité qui s’exprime de plus en plus dans la rue et dans les grèves, d’avancer de réelles solutions.

Et il semble bien que la direction du mouvement (Bové pour la Confédération Paysanne, Nikonoff pour Attac) n’a pas envie de laisser le mouvement aller sur un terrain trop radical

Car au fur et à mesure que le mouvement anti-mondialisation a gagné en écho, les revendications se sont faites de moins en moins radicales. Sur toute une série de sujets et dans leurs nombreuses déclarations, les dirigeants du mouvement anti-mondialisation remettent en cause les choix faits par les dirigeants gouvernementaux, disent parfois qu’ils sont contre le capitalisme (mais le plus souvent on en reste à une remise en cause de  » l’ultralibéralisme « ), dénoncent les structures internationales type OMC (mais cela va rarement plus loin que de demander qu’ellels soient plus démocratiques)… Leur dernière trouvaille, c’est que  » d’autres mondes sont possibles « . Derrière cette formulation qui a l’air gentillette et inoffensive se cache en fait la volonté de masquer les différences de fond qui existent entre les partisans d’un renversement du capitalisme, et ceux qui sont pour un capitalisme « modéré ». Or si ces divergences ont moins d’importance quand il s’agit de luttes de défense des acquis, tout est différent en cas de questions de fond. Ainsi, sur l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) qui prévoit la fin de tout monopole de service public pour l’ensemble des services et activités (sauf la police, l’armée et la justice…). Cet accord va permettre la mise en place de politiques ultralibérales dans tous les domaines. Il faut donc s’opposer à l’ensemble de l’AGCS, refuser en bloc cet accord. L’orientation officielle d’Attac se contente d’exiger que quelques secteurs (eau, éducation…) ne soient pas intégrés à l’AGCS sans remettre en cause le principe même de cet accord.

Plus le mouvement anti-mondialisation et les évènements internationaux montrent que les problèmes sont inhérents au capitalisme plus les dirigeants du mouvement s’attachent à formuler une orientation qui ne remette pas en cause ce système.

Une orientation qui veut laisser les luttes hors du champ politique

A aucun moment, les dirigeants de ce mouvement (rapidement rebaptisé par les médias « gauche de la gauche »), ne veulent sortir de leur rôle de contre-pouvoir. « interpeller » les gouvernements ou les députés, « exiger » qu’ils se prononcent sur ceci ou cela etc. Voilà la teneur de la plupart des propositions de Bové et autres. Mais si aucune force politique n’est d’accord avec les propositions du mouvement anti-mondialisation, pourquoi celui-ci ne décide pas dans ce cas d’aller lui même aux élections ? Ce serait la démarche la plus logique et bousculerait certainement plus la gauche officielle mais Nikonoff et ses amis ne veulent surtout pas déranger ce beau monde. En effet, cela voudrait dire qu’il y a plus à faire que contester des aspects du système : travailler à la construction d’un mouvement capable de le renverser et de le remplacer par un système débarrassé de l’exploitation. Or tous les dirigeants de la  » gauche de la gauche  » sont de fervents convaincus de l’impossibilité du socialisme. La place de contre-pouvoir dans une démocratie occidentale, surtout dans une structure comme Attac est particulièrement confortable. On critique, conteste, mais on n’est jamais à l’épreuve des réalités ni menacé physiquement par l’Etat alors que construire une organisation qui menacerait de renverser les possédants…c’est autrement plus compliqué.

Beaucoup de problèmes ont été popularisés grâce au mouvement anti-mondialisation, aux milliers de militants qui refusent  » la transformation du monde en marchandise « . Mais la plupart des propositions émanant de la direction (nous reviendrons dans de prochains numéros de l’Egalité sur certains d’entre elles) se contentent de proposer que ce soit une marchandise taxée. Il est évident que ceux qui luttent pour une alternative authentiquement socialiste ont toute leur place dans ce mouvement. Mais c’est en ayant bien conscience que ni Bové ni Nikonoff ne cherchent à construire un nouveau parti, pour les travailleurs et les jeunes, qui s’attaque réellement au capitalisme au lieu de se contenter d’en dénoncer les excès.

Par Alexandre Rouillard