Logement social : ils rasent gratis !

Lorsque Marguerite Duras écrivit « Détruire, dit-elle », elle ne parlait pas de Marie-Noëlle Lienemann, ministre du Logement sous Beregovoy et sous Jospin. Il serait d’ailleurs injuste d’imputer à cette seule figure de la Gauche socialiste ou à ses divers prédécesseurs la responsabilité de cette « spirale de la démolition totale » du logement social qu’évoque par exemple « Le Monde » du 1er octobre.

Article paru dans l’Egalité n°92

C’est au plus haut niveau et collectivement que le gouvernement programme ses mauvais coups : pour la 4ème fois depuis qu’il est au pouvoir, le Premier Ministre vient de réunir le Comité interministériel des villes, qui regroupe une vingtaine de ministères, pour réaffirmer cette « priorité » : en finir avec les cités-dortoirs, casser les ghettos .Concrètement, selon lui, 4000 logements HLM détruits chaque année en moyenne depuis la fin des années 80, cela ne suffit plus, il faut passer le plus vite possible à 30000 démolitions par an…

Qu’importe si des voix s’élèvent contre : le Père Delorme (« le curé des Minguettes » lors du foudroyage du quartier Démocratie à Vénissieux, il y a 10 ans), le Comité des Mal-Logés dans l’Est parisien au début des années 90 (Aubervilliers, Stains, Montfermeil, St-Denis), l’abbé Pierre dans une allocution de février 94 (censurée sur ce point par presque toute la presse écrite, y compris « La Croix »…), le DAL (Droit au Logement) depuis peu (La Courneuve, juin 2000), le sociologue Didier Lapeyronnie, la démographe Michèle Tribalat et surtout des centaines d’anciens habitants des immeubles rayés de la carte.

Nettoyage ethnique et social

Il ne s’agit pas ici de prétendre que toutes ces barres et ces tours devraient être traitées comme des monuments historiques ou des chefs-d’œuvre architecturaux. La tour Allende de Stains était particulièrement hideuse. Certaines ne sont plus aux normes ou sont devenues insalubres. Mais les démolisseurs mettent souvent en avant des arguments qui ne tiennent pas la route : – l’excessive densité de ces grands ensembles, qui est généralement inférieure à 10000 hab/km2 alors qu’elle est de 20000 pour l’ensemble de la ville de Paris et qu’elle s’élève à 40000 dans le Xème arrondissement (où pourtant le maire Georges Sarre ne rase… que ses auditeurs), – les trafics de drogue, la délinquance (que l’on ne retrouve jamais sous les gravats mais dans le quartier d’à côté…), – la désaffection des locataires (mais pourquoi n’attribue-t-on pas les logements vides, quand ceux-ci sont en bon état, à ceux des mal-logés qui sont prêts à y habiter ? Parce qu’on préfère un logement vide à un logement dont les loyers sont payés irrégulièrement ?)

Pour beaucoup d’élus locaux, de gauche ou de droite, il s’agit en fait de  » nettoyage ethnique et social  » comme l’a dit l’architecte Paul Chemetov à propos de la Cité des Bosquets à Clichy-Montfermeil. Même si une partie des habitants est relogée dans la commune ou à proximité à un loyer voisin du précédent, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent, c’est au détriment de demandeurs de logements sociaux peu fortunés.

On peut constater le même phénomène dans certaines opérations de démolition-reconstruction a priori plus sympathiques. C’est particulièrement net à la Cité-Jardin du Plessis-Robinson (92), un peu moins à la Cité des Fougères dans le XXème, beaucoup moins à la Cité Greuze à Nantes.

Et la loi Gayssot ?

On peut espérer qu’un jour viendra où le problème du logement sera résolu et où l’on pourra sans états d’âme détruire des immeubles habitables mais inesthétiques. Nous en sommes très loin ! Les mal-logés restent très nombreux parce que l’on vend de plus en plus de HLM pour faire de la trésorerie (toujours les privatisations !) et surtout que l’on en construit de moins en moins. La spéculation foncière qui, dans les grandes agglomérations, rend le prix du terrain aussi cher que l’immeuble que l’on peut y édifier y est pour beaucoup mais n’explique pas tout. Une partie du 1% patronal sert maintenant à financer… les démolitions ! Tout se passe comme si un volant de mal-logés était un facteur de précarité apprécié par les libéraux qui nous gouvernent.

La loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) de Gayssot a bien fixé un minimum de 20% de logements sociaux dans chaque commune. Mais les villes bourgeoises qui n’ont pas envie de construire des HLM s’en tirent avec un prélèvement financier qu’à la prochaine alternance, une majorité de droite ou du centre pourra réduire ou supprimer comme l’amendement Carrez, sous Balladur, a annihilé les timides dispositions analogues de la loi d’orientation sur la ville de Bérégovoy…

Réquisition des logements vides

Parmi les effets pervers de la loi de décentralisation, le pouvoir d’attribution des permis de construire accordé aux maires interdit de fait de construire du social là où la bourgeoisie n’en veut pas.

Il faudrait au moins dans ces cas-là appliquer la réquisition des logements vides. Mais les classes dominantes veulent encore moins voir les prolos dans des immeubles haussmanniens que dans des cités-dortoirs !

Par Jacques Capet