Droit au logement

Avec un nouvel appel « c’est la guerre ! » entre les fêtes de fin d’année, des passages multipliés dans les médias à l’occasion du 50ème anniversaire de février 54, un rapport alarmiste de sa fondation, l’Abbé Pierre fait d’autant plus parler de lui que la situation du logement se dégrade pour des centaines de milliers de victimes du capitalisme. Mais posons crûment la question : les coups de gueule et la popularité du nonagénaire améliorent-ils si peu que ce soit le sort des mal-logés ?

Article paru dans l’Egalité n°106

En 54, après les destructions dues à la guerre et avec l’afflux des populations rurales dans les villes et notamment en région parisienne, la situation était catastrophique et les pouvoirs publics s’en désintéressaient. L’interdiction des expulsions locatives en hiver est à mettre à son actif. Dans les années 60-70, les gouvernements successifs n’avaient pas d’autre choix que de construire des logements sociaux en nombre.

Sortons de la charité !

Depuis le milieu des années 80, sa soutane, son blouson et son béret sont revenus sur le devant de la scène parce que la situation du logement a recommencé à se dégrader. Le logement social est un de ces acquis que le patronat et les ministres à sa solde attaquent plus ou moins brutalement. Les lois Barre et Méhaignerie sous la droite et l’inertie des gouvernements de gauche ont rendu tragique la situation de mal-logés de plus en plus nombreux. En une vingtaine d’années, on est passé de 300000 à 45000 logements HLM neufs par an. Et, sous prétexte de détruire les ghettos, on rase de plus en plus d’appartements parfaitement habitables. Quant à la loi de réquisition (qui date de la Libération ),elle n’est pratiquement pas appliquée alors qu’il y a beaucoup plus de logements vides qu’à l’époque, notamment dans les agglomérations où sévit la crise du logement.

La plupart de ceux qui plébiscitent “l’insurgé de la bonté” dans les sondages de popularité s’insurgent eux-mêmes dès qu’il est question de reloger près de chez eux des mal-logés (ou des handicapés ou des exclus d’un genre ou d’un autre). On l’a vu particulièrement pour les  » campeurs  » de la Place de la Réunion en 90, du Quai de la Gare en 91 et de l’Esplanade de Vincennes en 92. L’insurrection de la bonté est bel et bien une impasse.

Il y a une dizaine d’années, l’Abbé Pierre a interpellé vigoureusement les parlementaires et leur a demandé de s’engager pour le logement social. Les élus de gauche ont signé, beaucoup d’élus de droite aussi. Rien n’a suivi mais le bon apôtre n’a pas jugé bon de dénoncer la duplicité des démagogues.

Le combat ne peut plus être isolé

Il remet ça cette année. Mais pas un mot contre les maires (de droite notamment) qui préfèrent payer une amende (avec le budget de la commune, bien sur) plutôt que de construire des HLM pour atteindre le taux de 20% prescrit par la loi SRU (Gayssot). Pas un mot contre ceux (presque tous, de droite comme de gauche) qui ne prévoient pas de grands logements F5 et F6 dans leurs programmes immobiliers, ce qui exclut de fait les familles très nombreuses, françaises ou immigrées. Et pas grand chose contre les démolitions de cités : 5 à 10000 logements dynamités chaque année ces derniers temps, 40000 par an dans les projets de Borloo et de Robien alors qu’on en construit à peine plus…

Les associations de défense des locataires, quant à elle, ne sont pas à la hauteur des attaques. Leurs luttes sont trop sectorielles et isolées. La CNL, proche de la CGT et du PCF défend d’abord les acquis de ceux qui sont logés, le DAL tombe dans des campagnes médiatiques comme « Sans toit, je fais quoi? » qui ne permettent pas de sortir d’une démarche de charité. Le fait que leurs campagnes sur le logement soient trop souvent déconnectées des batailles sociales affaiblit, de fait, la lutte. Les organisations qui représentent les travailleurs et les jeunes n’intègrent pas assez ces revendications et encore moins les enjeux de cette bataille pour un logement décent pour tous. Seules des mobilisations combatives qui impliquent des habitants des quartiers au côté des mal-logés ou des sans domicile pourraient aboutir à des résultats pour répondre à l’urgence.

Par Jacques Capet