Décentralisation à la SNCF : Quand on gratte le vernis…

La décentralisation s’appuie sur un argument : la proximité. Il est évident que les services publics, de plus en plus bureaucratisés par les différents gouvernements, ont de plus en plus de carences : décisions prises d’en haut sans concertation etc. Mais si une ou deux améliorations peuvent avoir lieu, le véritable résultat reste les insuffisances budgétaires.Quelques effets positifs…

Article paru dans l’Egalité n°100

Sans vouloir « raffariner » les propos du journal, il faut avouer que la régionalisation a permis une nouvelle proximité dans les décisions qui sont prises, désormais plus efficaces. Pour afficher leur reconversion au ferroviaire ou pour des préoccupations électoralistes, la plupart des Régions investissent beaucoup plus dans le matériel roulant en particulier. La Bretagne augmente son budget fer de 8 % (54 millions d’euros), la Basse Normandie de 10 % (30 millions d’euros). La rapport rail/route est rééquilibré : on passe de 10/90 à 50/50. Et les résultats sont là. La fréquentation augmente de 2 à 10 %, le nombre de dessertes aussi, parfois de 50 ou même 100 %. Certaines petites lignes sont réouvertes ou vont l’être, d’autres ont été sauvées. Plus intéressant, des comités de lignes ont également été mis en place (malheureusement, cela n’est que « préconisé »). Ces instances réunissent cheminots, syndicalistes, élus, usagers, SNCF, RFF. En Alsace cela a eu quelques résultats : les propositions faites par les comités ont fortement influencé l’évolution des dessertes.

…Mais des inquiétudes budgétaires

Comme dans toute décentralisation, le manque de budget menace. L’Etat a versé en 2002, 1,5 milliards d’euros de dotation (contre 360 millions dans le passé) aux différentes Régions. Ce montant est déjà sous- estimé de 10 %. Les dépenses, elles, ne baissent pas. Les péages RFF explosent. (Ils sont payés par les Régions puisque ce sont elles qui décident de faire circuler des TER).
La SNCF supprime de plus en plus d’arrêts sur les trains nationaux dont elle a la charge quand ce n’est pas le train lui-même qui est supprimé. Elle oblige ainsi les régions à payer des TER de substitution. Le montant de la dotation « matériel » et « tarifs sociaux » ne tient pas compte de la hausse du trafic. Cette dotation n’est d’ailleurs pas prévue pour être révisée souvent.
Il n’y a alors plus beaucoup de solutions : soit il est décidé de stopper investissement en desserte, matériel, au risque d’un retour en arrière, ou sinon il faut augmenter les impôts locaux ou plus vraisemblablement s’endetter massivement. En fait, cette régionalisation apparaît plus comme un moyen de l’Etat de se débarrasser de ses missions essentielles. Certaines Régions ont d’ailleurs contesté le montant de la dotation devant le Conseil d’Etat : le Nord-Pas de Calais réclame 16 millions d’euros de plus par exemple.

L’inégalité devant le service public

La régionalisation, comme le conventionnement en son temps, va accroître la différence de traitement entre les Régions. Car même si une Région comme l’Auvergne s’est réveillée en achetant massivement de nouveaux autorails, toutes les Régions n’ont pas la même volonté ou les mêmes possibilités de développement. A terme, la situation des Régions riches (Alsace, Rhône-Alpes) s’améliorera, mais les régions les plus pauvres auront du mal à maintenir leur desserte, ou alors le feront avec un matériel suranné. C’est l’égalité même devant le service public qui est remise en cause. La péréquation (les riches aident les pauvres) est supprimée.
L’égalité tarifaire l’est aussi. Certaines Régions mettent en place des tarifications valables uniquement sur leur territoire. Par exemple seuls les chômeurs du Nord-Pas de Calais bénéficient d’une réduction de 75 %. D’autres régions ont supprimé la limite légale de l’abonnement travail, fixée à 75 km. L’exemple le plus stupide est réservé aux étudiants auvergnats qui bénéficient d’une carte de réduction spécifique valable sur l’Auvergne et toutes les Régions voisines, sauf le Centre (encore !), désormais dirigé par le PS-PCF.
De plus, la responsabilité des lignes interrégionales est plus que vague. Officiellement, c’est encore l’Etat qui en est responsable, et en délégue la gestion à la SNCF mais sans les moyens correspondants. Ces lignes voient donc circuler le matériel le plus ancien. Pire encore, certaines Régions refusent même que le matériel qu’elles ont acheté circule dans d’autres régions. Certains trains sont même stoppés à la frontière de la Région et tant pis pour la correspondance vers Paris que ce train donnait dans la région voisine. Accessoirement, cela permet de justifier la baisse de fréquentation, et donc la suppression et/ou la fermeture de la ligne.

Le démantèlement de la SNCF

Bien que les Régions achètent leur matériel avec une dotation de l’Etat, elles proclament sans gêne que c’est avec leur argent qu’elles l’ont acheté. La plupart des contrats SNCF/Région laissent la SNCF propriétaire du matériel mais au terme des contrats (5 ans minimum), les Régions peuvent en réclamer la propriété. Cela implique que si les Régions achètent directement leur matériel auprès des constructeurs, elles devront le faire avec des procédures d’appel d’offre, d’où des lourdeurs bureaucratiques en plus, un gaspillage d’argent car le prix d’une commande morcelée ne sera pas le même que celui que la SNCF obtient en tant que gros client.
Mais le but non avoué de cette dispute de propriété, c’est bien entendu de préparer le moyen terme. La SNCF, simple prestataire de service, verra son contrat avec la Région soumis à appel d’offre sous la pression européenne. Appel d’offre, Région propriétaire du matériel, voies appartenant à RFF (voir n° précédent), il n’en faut pas plus pour voir un train Vivendi ou Virgin rouler en France.

Et qu’il y ait concurrence ou non, les Régions feront pression pour que la facture soit moins chère. Déjà, un système de bonus/malus est instauré pour essayer de faire diminuer les retards, les remplacements par des cars, et aussi les grèves. De son coté, la SNCF traduit tout cela par une augmentation de la productivité à outrance, de plus en plus de cheminots sont contractuels, sous-traités, avec des suppressions d’effectifs. Et pour réduire les coûts, elle n’hésite pas à traiter les Chefs de train de » malades imaginaires, branleurs, fainéants ». Elle culpabilise aussi les cheminots lors des grèves.
Pour mieux faire pression pour « améliorer la qualité du service », le président PS de PACA, Vauzelle, ainsi que la Fédération nationale des usagers du transport (FNAUT) n’hésitent pas à dire qu’il faudra introduire la concurrence sur des petites lignes (en particulier celles qui vont être réouvertes).
Malgré un aspect positif (la création des comités de lignes) cette régionalisation n’est rien d’autre qu’un moyen efficace pour l’Etat de se débarrasser de ses missions et les transférer sans budget aux collectivités locales. C’est aussi le meilleur moyen d’avancer vers la déréglementation. N’oublions pas que si l’Etat avait fait son boulot la régionalisation n’aurait sans doute pas été aussi indispensable.

Par Stéphane N.