Les inégalités plus près de chez vous !

Contrairement à ce qu’annonce Raffarin, la politique de décentralisation qu’il met en place n’est en rien un progrès pour la démocratie et va au contraire accentuer les inégalités et les attaques contre les services publics et les acquis sociaux. Même le Conseil d’Etat, que l’on ne peut soupçonner d’être hostile au gouvernement, a rejeté le projet de modification de la constitution prévoyant « l’organisation décentralisée » de l’Etat. Selon le verbiage de Raffarin, la mise en place de sa « république des proximités » se fera selon cinq modalités : « transferts de compétences, droit à l’expérimentation, devoir de péréquation pour l’Etat, respect de l’autonomie financière et mettre le citoyen au cœur de la décentralisation par les référendums locaux ». Examinons donc ce que cachent ces belles paroles et quelles en seront les conséquences concrètes.

Article paru dans l’Egalité n°98

Transfert de compétences

Pour les affaires sociales, l’aide aux personnes en difficulté serait entièrement dévolue aux départements. Les régions géreraient l’ensemble des aides à la formation professionnelle continue ainsi que les  » aides aux entreprises « .

En matière d’éducation, la carte scolaire et l’affectation des élèves reviendront aux départements et aux communes. Dans le second degré, les régions assureraient le recrutement et la gestion des personnels techniques (TOS), contrôleraient l’organisation de la santé scolaire, l’attribution des bourses. Elles géreraient les œuvres universitaires et  » [s’associeraient] à l’offre de formation à caractère professionnalisant jusqu’à bac +3 « .Ces projets attisent la gourmandise des présidents de conseils régionaux, de l’UMP comme du PS. C’est particulièrement criant pour la formation professionnelle et l’enseignement technique et supérieur. Longuet réclame ainsi « la gestion des dispositifs déjà existants pour les demandeurs d’emploi ». La région Aquitaine souhaite la création d’un  » institut régional de l’orientation et des métiers « . Huchon, pour l’Ile-de-France, réclame que la région devienne totalement compétente pour les constructions universitaires et la vie étudiante. Quels intérêts peuvent bien défendre ces demandes, sinon ceux du patronat et d’une adéquation des formations aux « bassins d’emploi » ?

Droit à l’expérimentation

Il s’agirait sans doute d’une expérimentation « à la corse », dont on voit bien qu’elle est soumise à toutes les pressions des potentats locaux, voire d’autres pouvoirs plus ou moins mafieux. Les choix politiques et budgétaires seraient ainsi encore davantage soumis au bon vouloir et aux caprices des petits despotes locaux qu’aspirent à devenir les présidents de conseils régionaux.

Péréquation par l’Etat

Laissons d’abord parler Delevoye, ministre de la fonction publique : « Quand vous donnez plus de libertés, les territoires les plus riches deviennent plus riches et les territoires plus pauvres deviennent plus pauvres« . Cynisme ou parole de spécialiste (Delevoye est président de l’association des maires de France) ? On connaît les limites de ce système de péréquation, qui existe déjà entre communes et qui ne résout pas les inégalités de leurs ressources et encore bien moins la manière dont elles disposent de ces crédits (par exemple pour les écoles, l’aide sociale, les subventions aux associations…).

Autonomie financière

Le désengagement de l’Etat au profit des collectivités territoriales permettrait au gouvernement de diminuer encore la part des financements publics d’Etat. Ce dernier dégonfle ainsi artificiellement la part de ses prélèvements fiscaux, mais en les déléguant en fait aux précédentes. La TIPP (taxe sur les produits pétroliers) serait par exemple partagée avec les régions.C’est accorder une part de plus en plus importante aux impôts les plus injustes (indirects, taxes d’habitation…), car non calculés sur le revenu et non progressifs. La décentralisation déjà mise en place par les lois Deferre a entraîné une augmentation des prélèvements par les collectivités territoriales : 3,5% du PIB en 1980, 8,5% en 2001 !

Citoyens et référendums

Cette décentralisation est censée apporter plus de démocratie par la plus grande proximité de la prise des décisions. Il suffit de constater à quel point sont ignorés les débats et les décisions prises dans les conseils régionaux ou généraux. Un exemple simple est l’opacité entourant l’utilisation par les conseils régionaux des crédits d’aide aux entreprises ou de formations professionnelles. Quant aux référendums, censés donner la parole aux citoyens, on sait comment ils peuvent être manipulés selon la manière dont les questions sont posées, sans parler du taux de participation très faible à ce type de scrutin. Les Etats vont même jusqu’à reposer la question tant que le vote n’est pas conforme à leur souhait (comme en Irlande) !
Face aux attaques que représentent ces projets, les élus de l’opposition sont bien timides, quand ils ne les soutiennent pas (comme Huchon) plus ou moins ouvertement. Il faut dire que les gouvernements précédents avaient bien engagé cette démarche. Laignel, secrétaire national du PS chargé de la décentralisation, a ainsi déclaré que  » le bureau national (du PS) a clairement choisi de ne pas se lancer dans un contre-projet « .

En conclusion, comment ne pas penser à ce que réclame le MEDEF, à savoir déléguer à des entreprises privées des services qui sont du domaine de l’Etat ou des collectivités territoriales ? Le désengagement de l’Etat par le biais de la décentralisation est un premier pas vers un désengagement plus large. Selon le MEDEF, « en déléguant, la puissance publique peut parfaitement conserver la totale maîtrise de la prestation (…) 20% d’économie sur les services concernés peuvent en être attendus ». On a vu ce que ça a donné en Grande-Bretagne pour l’éducation, la santé, l’énergie ou le rail !

Par Pascal Grimbert