Un exemple de la déréglementation et de la décentralisation dans les services publics

Depuis 5 ans, de nombreux changements sont intervenus dans le domaine ferroviaire français, souvent sous l’impulsion de la Commission de Bruxelles. Comment cela a t-il commencé ?

Article paru dans l’Egalité n°98

Petit rappel.

Au développement du Chemin de fer vers 1840/1900, de très nombreuses compagnies existent. Avec la logique du capitalisme, il n’y a bientôt plus que 5 grandes compagnies suite aux faillites, rachats, regroupements… Mais les difficultés empirent avec les dégâts de la 1ère Guerre Mondiale. Après la crise de 1929, il n’y a plus que 5 compagnies (PLM, PO/Midi). Le Chemin de fer trop cher à développer, la nationalisation est décidée en 1937. La SNCF reçoit un mandat de 45 ans et est détenue à 49 % par les actionnaires des anciennes compagnies. Peu à peu, l’Etat augmente sa participation jusqu’à 100 %. A l’expiration du mandat en 1982, la SNCF devient un Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC), au regard des impératifs techniques et de ses missions commerciales.

L’endettement… à grande vitesse

Les « trente glorieuse » voient la reconstruction et la modernisation du réseau (électrification notamment), mais aussi la fermeture massive de toutes les petites lignes (contexte du tout-auto). A la crise des années 70, le Chemin de fer est incapable de répondre aux mutations du capitalisme (flux tendus, zéro stock…). La SNCF se lance alors dans l’aventure des TGV (dans le Sud-Est en 81/83). L’Etat demande que d’autres Lignes à Grande Vitesse (LGV) soient construites. La SNCF paie intégralement la très chère construction des LGV. Mais elle n’a pas les moyens, donc elle emprunte. L’Etat refuse d’apporter sa garantie et l’oblige même a emprunter à l’étranger à des taux élevés très variables.

Réseau ferré français (RFF)

Après la grande grève de 1995 et le rejet du Contrat de Plan, Bruxelles veut une réforme pour relancer le ferroviaire et impose ses méthodes : concurrence, privatisation, séparation de l’infrastructure et de l’exploitation. Pour ce faire, Bruxelles réclame en premier, la séparation comptable. La loi Pons/Idrac du 13/02/97 va plus loin.

Comment ça marche ?

RFF est propriétaire des rails, en charge de l’entretien du réseau, sa modernisation et la construction de nouvelles lignes. Propriétaire du réseau, RFF récupère la dette liée aux LGV accumulée par la SNCF (2,5 milliards d’€ en 2001). RFF perçoit des péages pour l’utilisation de ses lignes par des compagnies ferroviaires qui veulent faire rouler des trains. Pour l’instant, seule la SNCF est autorisée. Ce sont toujours les agents d’équipement SNCF qui assurent l’entretien des voies. Mais le donneur d’ordre, c’est désormais RFF qui verse une rémunération à la SNCF. Il n’y a donc eu qu’une séparation institutionnelle, mais cela n’a pas changé grand chose dans la pratique en dehors des lourdeurs consécutives : la SNCF paie des péages à RFF qui paie l’entretien à la SNCF !

La réforme de la réforme

L’illustre ministre des transports de Lionel Jospin met en place RFF, bien que PS et PCF affirmaient être contre cette réforme en 1996. Il obéit au PS et surtout à l’Europe pour sauver sa place de ministre ! Pour faire illusion, JC Gayssot crée le Conseil Supérieur du service public ferroviaire (CSSPF), instance consultative composée de 37 membres : élus, syndicats, cheminots, Etat…), chargé d’évaluer la réforme de 1997. A noter que le CSSPF avait proposé dans son bilan, fin 2001, que les sillons soient attribués par la SNCF, mais la validation aurait été faite par une ORC, directement rattaché au ministère des transports. Cela semblait peu réaliste et pas  » euro-compatible « , et aurait ajouté une 3ème couche bureaucratique dans le système !

Le gâteau aux sillons

Ca devient plus compliqué. Pour simplifier, un sillon, c’est le moment précis où un train peut circuler d’un point A vers un point B, en tenant compte du type de train (fret, voyageur), de sa vitesse, de sa charge, des conditions de circulation (croisements, voie unique, dépassement par des trains plus rapides…). Fin 2001, SNCF et RFF se sont battus pour prendre la maîtrise de l’Organisation de répartition des capacités (ORC), chargée d’attribuer ces sillons. Car attribuer ces sillons est stratégique : ne pas en avoir la maîtrise rend aléatoire la circulation des trains qu’une compagnie décide de créer. Conformément aux textes européens, RFF attribuera ces sillons. Normal, c’est RFF qui perçoit les péages. Du coup, la SNCF sera moins libre et ne pourra pas empêcher d’autres opérateurs de faire rouler des trains. Bien sûr, la décision de confier l’attribution a RFF est parfaitement « euro-compatible  » permettant de mettre en place la concurrence. Mais la réforme n’a par contre pas résolu le problème de la dette (2,5 milliards d’euros). Il ne faut pas s’étonner que du coup, RFF n’ait pas les moyens de financer les LGV en projet (Languedoc, Aquitaine, Rhin/Rhône) et doive demander aux collectivités locales de payer, ce qui n’avait jamais été le cas avant la LGV Est. Plus grave, bien qu’ayant lancé des études optimistes sur le réseau des années 2020/30, RFF n’a pas les moyens de remettre à niveau les réseaux classiques. Depuis les années 1970 et la mise en place de matériels climatisés dans les 2 classes, Corail et turbotrains roulant à 160 km/h au lieu de 120/130 au mieux, il n’y a plus eu grand chose, logique tout TGV oblige. Certaines radiales se sont dégradées depuis (cas de Paris/Rouen/Le Havre), les transversales (Bordeaux/Lyon, Strasbourg/Lyon) étant à l’abandon. Et pour ce réseau classique, idem, les Régions qui pourront ou voudront payer quelque chose peuvent espérer que RFF s’intéresse à elles. Sinon, il y aura des différences de traitement entre les Régions.
Alors pour trouver de l’argent, RFF a trouvé des moyens simples. Le premier, augmenter les péages. En 2001, la SNCF a versé 1,65 milliards d’€, soit + 8 % par rapport à 2000. Cette flambée des péages a des conséquences sur le prix des billets : Thalys a par exemple augmenté de 4 % en septembre dernier. Le TGV Midi, malgré son succès commercial (nombre de place insuffisante par rapport à la demande) n’est pas rentable pour un bon bout de temps, et pour cause, avec des péages de 160 millions d’euros par an… Péages toujours moins élevés que ceux des pays voisins, ultime argument de RFF ! Deuxième solution : baisser les coûts d’entretien. RFF fait sans arrêt pression pour diminuer le montant de la rémunération versée à la SNCF (2,6 milliards d’euros en 2001). Cela ne peut qu’aboutir à un entretien moins régulier, moins complet et potentiellement à des accidents. C’est aussi le ralentissement de certains programmes, comme celui de la suppression des passages à niveau dangereux. D’ailleurs, la SNCF ne dément même pas les affirmations des ouvriers selon lesquelles l’irrégularité et la baisse qualitative de l’entretien du réseau sont directement dues à la taille du budget accordé par RFF.

Et en Europe ?

Certains pays, comme l’Allemagne, n’ont accompli que le strict minimum exigé par Bruxelles, c’est à dire la séparation comptable entre infrastructure et exploitation. Ainsi, le RFF allemand, DB Netz, n’est qu’une filiale de la DB (équivalent allemand de la SNCF, mais à capital majoritairement privé). Les concurrents de la DB reprochent en tout cas à DB Netz de ne pas être impartiale, et se sentent lésés dans leurs demandes de sillons. La DB, quant à elle, applique le strict minimum du service public, licencie des milliers de cheminots et supprime des trains interregionnaux. En fait, c’est bien la réforme française qui fait référence, car RFF est une entreprise publique. Rien à voir avec l’Angleterre nous dit-on, car RailTrack était une société cotée en Bourse et qui se préoccupait plus de l’argent de poche de ses actionnaires que de l’entretien du réseau. Railtrack est repassée sous contrôle de l’état à 100 % mais les multiples transporteurs privés (dont les principaux actionnaires sont Vivendi et… la SNCF) subsistent. Selon Bruxelles, RFF serait le garant de la sécurité ferroviaire, et différents transports privés ou publics ne seraient pas gênants pour cette sécurité. Cette situation est donc loin d’être remise en cause, le modèle anglais ayant même renforcé la légitimité du RFF, entreprise publique. Car le ferroviaire ne peut être comparé au routier : un train ne peut se passer de ses rails, et les trains ne sont pas envoyés les uns derrière les autres au hasard. La conception même d’un matériel roulant est très dépendante des caractéristiques techniques de l’infrastructure. Les wagons suisses à petite roue pour le ferroutage ont tendance à dérailler facilement sur les aiguillages italiens, alors qu’il n’y a pas ce problème en Suisse !

Suite de la familiarisation avec la SNCF au prochain numéro

Par Stéphane N.