Article paru dans l’Egalité n°98
Crise de surproduction et crise boursière
La crise actuelle revêt deux aspects : une crise du secteur productif, ce qu’on a tendance à appeler l’économie réelle, et une crise du secteur financier et boursier.
Le capitalisme est une énorme machine à créer de la plus-value grâce au travail des salariés. C’est-à-dire que le but de tout capitaliste est d’accroître son capital de départ – faire des profits – à la suite de la production et de la vente de biens de consommations ou de services. A cause de la concurrence, il est poussé à vouloir toujours faire plus de profits, car sinon son entreprise est vouée à disparaître. Pour cela il doit donc produire toujours plus, pour inonder le marché de ses produits et ouvrir d’autres marchés (mondialisation), mais aussi baisser les coûts de production (baisser la masse salariale et le coût du travail, ainsi qu’investir dans des techniques de production plus modernes mais plus coûteuses). Ainsi les capitalistes se retrouvent devant un dilemme : s’ils veulent faire plus de profits, ils doivent baisser le coût de production, mais alors ils ne pourront plus écouler leur production ; il ne pourra pas réaliser le profit escompté puisque la marchandise leur restera sur les bras. Ceci correspond aux crises de surproduction : une trop grande capacité de production de marchandises pour la solvabilité du marché.
Depuis toujours le secteur financier (banques, assurance, fonds d’investissement, spéculateurs boursiers, etc.) du capitalisme cherche à s’autonomiser du processus de production et de ses aléas. Marx écrivait dans le Livre III du Capital : « toutes les nations adonnées au mode de production capitaliste sont prises périodiquement du vertige de vouloir faire de l’argent sans l’intermédiaire du procès de production ». Pour ce secteur : « le procès de production capitaliste apparaît seulement comme un intermédiaire inévitable, un mal nécessaire, pour faire de l’argent ». Cette autonomisation du secteur financier n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. Mais la crise boursière et financière actuelle est née de cette autonomisation dont la conséquence fut la création d’une bulle spéculative généralisée, qui a très vite éclatée en Asie. En réalité, le capitalisme ne peut pas se passer de la production, seul moyen de créer de la valeur réelle.
Une bulle boursière est une surévaluation du marché. C’est-à-dire une différence entre la valeur que l’on accorde à une société cotée en Bourse, via ses actions, et la valeur réelle de cette entreprise estimée par sa capacité à faire des bénéfices. D’une façon globale, la Bourse était surévaluée 30 fois, soit deux fois plus que lors des cinquantes dernières années, alors que les prévisions de réalisation de profits baissaient. Depuis quelques mois nous voyons les cours chuter. Ainsi la Bourse américaine a vécu son pire trimestre depuis 1987, perdant près de 18% à la fin septembre. En Europe,la Bourse de Londres a perdu 20% en 3 mois, le CAC 40 a perdu aux alentours de 50% depuis le début de l’année, tout comme le Frankfurt Dax. Les analystes économique parlent désormais « d’épouvantable désillusion » ou de « profond gouffre d’incertitude », que la situation géopolitique avec la menace de guerre contre l’Irak, la profonde crise financière au Japon et l’écroulement des économies d’Amérique latine ne font qu’accentuer.
Jusqu’à récemment les économies des USA et d’Europe avaient mieux résisté, profitant de leur position dominante pour faire payer le coût de la crise mondiale sur les pays dominés ou « émergents » et du fait que les investissements qui se retiraient de ces régions étaient rapatriés. Mais l’effet domino risque de ne pas s’arrêter là. Le Brésil est au bord de l’implosion, tout comme l’Argentine avant lui. La récession touche désormais tous les pays européens et les USA : les indicateurs économiques montrent que les USA et l’Europe sont dans une impasse. Le déséquilibre de la balance extérieure des USA nécessiterait une baisse importante de la valeur du Dollar par rapport à l’Euro et au Yen, afin de « booster » ses exportations. Mais pour que cela se produise sans une rupture de nos économies, il faudrait un taux de croissance important en Europe et au Japon. Or avec une crise bancaire sans précédent et un taux de croissance négatif prévus pour cette année, le Japon est incapable de suivre. Quant à l’Europe, bien qu’il y ait eu un rééquilibrage ces derniers mois entre le Dollar et l’Euro, les taux de croissance prévus sont en chute, en étant proche de 1% à 1,5%. Si le trou dans la balance des paiements et la dette extérieure s’accentuent alors que la consommation intérieure baisse, les USA risquent de ne plus attirer les capitaux. L’économie des USA pourrait alors s’effondrer, et, du fait de sa position dominante, entraîner les autres pays dans sa chute.
Les racines de la bulle
Cette bulle spéculative prend racine dans l’économie réelle et sa crise de surproduction : les fonds d’investissement, comme les fonds de pension, cherchent un retour sur investissement rapide d’au moins 15%. Or l’industrie est incapable de fournir un tel rendement au capital, surtout en temps de crise de surproduction. Ces fonds ont donc massivement déserté l’investissement productif pour se tourner vers la spéculation financière. Ce type d’investissement est très volatile : vite arrivé, vite parti ! En effet, si les spéculateurs se rendent compte que leur investissement ne rapporte pas autant qu’espéré, ils retirent immédiatement leur argent sans l’ombre d’un scrupule. A grande échelle, c’est ce qu’a vécu l’Asie du sud-est en 1997 : l’économie de cette région était surévaluée, les spéculateurs ont très largement acheté des actions des entreprises. Mais lorsque l’économie réelle a repris ses droits, et que l’on s’est aperçu que l’économie était au bord de la rupture, les spéculateurs ont tout aussi rapidement vendu leurs actions et retiré leur fonds, précipitant la crise. C’est ce qui s’est passé aussi avec la bulle « nouvelle technologie ». Mais si du sud-est asiatique en passant par l’Amérique Latine et par la Russie, les populations sont jetées dans la misère.
L’argent n’est pas perdu pour tout le monde, puisque la dernière période vit l’enrichissement gargantuesque de certains financiers, surtout ceux intervenant dans la sphère des nouvelles technologies. Ainsi les 500 américains les plus riches ont accru leur fortune par 500 entre 1982 et 1999 (de 230 millions à 2,6 milliards de dollars).
Les conséquences de la crise
Le fonctionnement du capitalisme est donc soumis à de multiples contradictions internes qui mènent inévitablement à des crises. Les capitalistes essaient d’adapter les structures du capitalisme aux nouvelles conditions et d’inventer de nouvelles structures qui pourraient résoudre les contradictions et les crises. Mais à terme, ces changements se sont toujours apparentés à une fuite en avant d’où résultent des contradictions plus importantes et des crises plus profondes. Dans un premier temps, les capitalistes essaient de faire peser le prix des crises sur les conditions de travail (hausse de la productivité) et les salaires directs (la somme sur le bulletin de salaire) et indirect (les charges patronales et salariales), ainsi que sur les budgets sociaux. Mais parfois, cela ne suffit pas. Comme ce fut le cas en 1914 et en 1939, la crise ne peut se résoudre temporairement, pour les capitalistes, que par la destruction massive de forces productives (moyens de production et travailleurs) par des guerres et la reconstruction qui s’ensuit. C’est pourquoi,la lutte contre le capitalisme est indissociable de celle contre la guerre.
Par Yann Venier