Défendre les services publics: Comment et dans quelle perspective ?

Durant les 10 dernières années, c’est une vague de privatisations qui a déferlé en France et même en fait dans la plupart des pays. En collaboration avec l’Union européenne, le gouvernement algérien envisage un plan de privatisations de plus de 700 entreprises et services publics.

Article paru dans l’Egalité n°97

En France, gouvernements de droite et de gauche ont privatisé la plupart des entreprises publiques, Jospin détenant le record, en effectuant pour plus de 60 milliards d’euros de privatisations. Souvent, il s’agit d’entreprises publiques, celles nationalisées à l’issue de la 2ème guerre mondiale, lorsque le programme du Conseil national de la résistance avait mis celles-ci à l’ordre du jour, ou celles nationalisées en 1981, après la victoire de la gauche aux élections présidentielles et législatives. Si le mouvement ouvrier a plutôt bien résisté jusqu’à la fin des années 80, les années 90 auront vu la plupart des privatisations se passer sans que des luttes ne réussissent à les empêcher. La gauche plurielle a joué à plein la carte des ministres communistes placés dans les secteurs stratégiques, comme le larbin du patronat Gayssot, aux transports.

Les trois types de services publics

L’offensive se déroule à 3 niveaux. Pour les entreprises publiques, la privatisation relève plus du changement de statut de l’entreprise que du changement de fonction. Renault continue de faire des voitures, et il s’agissait avant tout de s’assurer que les syndicats n’offriraient qu’une protestation symbolique. Le passage en société par actions a été quasi simultané avec la fermeture du site de Renault Billancourt, où de nombreux acquis des travailleurs ont été gagnés de haute lutte. Certes ces privatisations ont augmenté la pression patronale pour rentabiliser, et les plans de licenciements ont suivi. Des luttes contre ceux-ci se sont produites, mais pas de bataille pour la renationalisation.
Il y a aussi les services publics qui fournissent des prestations « quantifiables ». Télécommunication, énergie, courrier, transports etc. Depuis plusieurs années, dans ces services publics, une politique de rentabilisation a été mise en place. Le résultat a été simple : l’attachement des travailleurs et de la population à la qualité de « service public » de progessivement France Telecom, d’Air France etc. a depuis longtemps disparu. France Telecom a été, jusqu’à la récente chute boursière la première entreprise française en termes de capitalisation boursière et de bénéfices. Protégé par son monopole, l’opérateur public, comme on dit, a même ainsi pu cyniquement s’emparer comme un vampire capitaliste classique, des marchés téléphoniques de nombreux pays. En Argentine, France Telecom a fait partie de ces entreprises qui ont fait pression sur le gouvernement argentin pour qu’il garantisse la bonne marche de leurs affaires alors que le peuple argentin sombrait dans la misère. Tous ces secteurs, avant même d’être privatisés, étaient des entreprises commerciales vouées à être le plus rentables possible, puisque plus elles l’étaient plus elles valaient lors de leur privatisation. Résultat, qu’importe qu’ils soient privés ou publics puisque déjà ils nous font payer leurs services à un prix exorbitant. La Gauche plurielle a accentué cela, mettant même en place des ouvertures de capital, des privatisations partielles de capital mais qu’est-ce que cela change, notamment sous l’égide de ministres comme le PCF J. C Gayssot ? Avec un soutien pareil, et l’argument en or qu' »il faut limiter les dégâts », qu' »il n’y a pas d’autre politique possible », que « la droite aurait fait pire »… les dirigeants syndicaux, bien loin des lieux de travail en bons bureaucrates qu’ils sont, se sont rassuré : ils pouvaient retourner à leurs réunions et à leurs commissions, il n’y aurait pas à organiser de luttes majeures. La lâcheté du PCF a été pire encore sur le dossier d’EDF-GDF puisque lors du vote de l’assemblée nationale du 02 mars 1999 relatif à la mise en place de la directive européenne sur la libéralisation du marché de l’énergie, qui entérine le début de privatisation d’EDF, 28 parlementaires du PC se sont abstenus et 5 ont voté contre. Ce vote, avec une majorité de députés du PS, est passé à 19 voix…
Enfin, il y a les services publics qui le sont encore, c’est à dire où la logique de rentabilité est encore loin d’avoir effacé de la mémoire collective des travailleurs et de la population, qu’ils sont des acquis. Il y a ceux de statut associatif comme la sécurité sociale, ou l’école, la santé etc. Souvent, c’est en termes budgétaires que les gouvernements et le patronat expriment leur volonté de les faire rentabiliser au maximum. Ces services coûtent trop. Et dans les hôpitaux, grâce à cet argument on réduit le nombre de lit, de personnel, on multiplie les cliniques privées, avec la plupart du temps des financements publics pour les construire etc. On privatise, notamment par la sous-traitance, des parcelles de ces services (nettoyage, restauration etc.) bref on fait rentrer une logique de rentabilité partout où cela est possible. On effectue même des réformes de structure, qui ne sont pas des privatisations, mais qui impliquent que les critères de gestion deviennent similaires à ceux de l’économie marchande. Ainsi, les critères comptables, que la gauche plurielle a particulièrement renforcé, notamment dans les hôpitaux, qui font que chaque service doit être rentable. Ainsi se ferment des maternités et des services d’urgence.

Marchandisation

L’intense activité de privatisation qu’a menée la gauche plurielle a laissé peu à privatiser pour Raffarin. De plus, la conjoncture économique permet moins des privatisations rentables, de même que les luttes des salariés ont obligé les gouvernements à des concessions. Mais il n’en reste pas moins que la volonté est là de continuer dans ce sens et de transformer tout ce qui peut l’être en marchandise. Mais ce gouvernement est tenaillé par la peur d’une lutte qui bloquerait sa politique. La tentative d’augmenter les tarifs d’EDF de 5 % et le recul précipité sur cette mesure en sont l’illustration. Si le gouvernement voulait privatiser EDF ce n’est pas parce que celle-ci n’est pas rentable. C’est parce que les experts ont estimé que pour que la privatisation attire les investisseurs, EDF doit augmenter de 9 % ses tarifs. Le taux de profit, moteur de toutes les opérations des capitalistes, est insuffisant actuellement.

Lutter contre les privatisations

Nous devons lutter contre ces privatisations. Mais comme le montrent les exemples ci-dessus, il y a fort à craindre que la gestion libérale des services publics ait amoindri l’attachement, et surtout la volonté de défense de ceux-ci par la population, et dans une moindre mesure par les travailleurs. Car il ne suffit pas qu’un service ou qu’une entreprise soit à 100 % propriété de l’Etat pour que ce soit réellement une conquête des travailleurs, un nouveau modèle social en rupture complète avec les capitalistes.
Le mouvement ouvrier a toujours défendu les nationalisations et l’extension des services publics. Nationaliser, cela voulait dire à la fois un statut juridique public mais aussi que l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise ou du service soient effectués par les travailleurs eux-mêmes. Contrairement à cela, les staliniens et les réformistes n’ont conservé comme mot d’ordre que celui du statut juridique public. Ainsi, le PCF et le PS se gargarisaient des nationalisations de l’après guerre, et de 1981, comme autant de preuves que leur politique allait bien dans le sens de la défense des intérêts des travailleurs quelles que soient les conditions de travail des salariés du secteur public. C’est avec le même zèle qu’ils s’attèlent aujourd’hui à faire passer comme inéluctables les ouvertures de capital et autres privatisations larvées, soi-disant dans l’intérêt de la population. Entre ces deux époques, une même politique a été menée en fait, celle de ne jamais associer réellement les travailleurs aux décisions, celle de ne jamais trop gêner le patronat.
Le fait que les directions syndicales refusent de défendre le contrôle ouvrier leur a aussi permis de ne pas être elles-mêmes contrôlées. Une bureaucratie a ainsi pu continuer à se développer.

Aux trotskistes qui disaient que des nationalisations devaient se faire sans indemnité ni rachat (sauf éventuellement pour les petits actionnaires sur la base de besoins réellement constatés), et devaient être sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes, ils répondaient en les traitant de gauchistes. Les nationalisations, les services publics ne restent pas indéfiniment des acquis dans la conscience collective des travailleurs et de la population sans une véritable démocratie. Ceci implique de ne pas seulement demander l’avis à la population ou aux salariés, ni de se contenter d’une sorte de cogestion où les travailleurs seraient associés par la direction ou le patronat à la gestion du service ou de l’entreprise. Immanquablement une nouvelle bureaucratie se créerait de même que les travailleurs finiraient par admettre eux aussi les critères de rentabilité et les orientations commerciales. Bref, ils accepteraient les règles du jeu capitaliste, en les rendant peut-être un peu moins rudes. A terme, les résultats seraient proches : aujourd’hui, dans les imprimeries, la CGT, secteur où la CGT est encore très puissante accepte licenciements ou réductions d’effectifs car le « secteur va mal… »
Au contraire, nous défendons un véritable contrôle ouvrier, c’est à dire l’organisation de la production ou du service par les travailleurs eux-mêmes, au moyen de comités démocratiquement élus, en lien, par des assemblées régulières et des comités de coordination, avec la population. Les travailleurs savent en général, bien mieux que leurs chefs, ce qui ne va pas et ce qui pourrait être amélioré, non en fonction de critères de rentabilité mais en fonction des besoins. C’est cette orientation socialiste que le mouvement ouvrier a à reconquérir. C’est en présentant cela de la manière la plus adaptée possible, en prenant soin d’évaluer les possibilités et les étapes nécessaires, que nous montrerons qu’il ne s’agit pas de défendre les « privilèges » des salariés du secteur public, mais les intérêts de toute la population.
La première bataille à mener est celle d’empêcher toute privatisation. Mais cette bataille sera d’autant plus déterminée et porteuse d’avenir si elle se place dans une perspective authentiquement socialiste et démocratique, à l’opposé de ce que les partis de la gauche plurielle, qui n’ont de communiste et de socialiste que le nom, ont fait depuis des années.

Par Alexandre Rouillard