Alors que la ministre de l’industrie, Nicole Fontaine, présentait le 20 octobre le nouveau contrat de plan de La Poste pour 2003-2007, la Cour des comptes faisait le même jour un rapport des plus alarmistes sur la situation de l’établissement, qui semblerait justifier des mesures drastiques pour » affronter la concurrence à venir « . Hasard du calendrier ? Difficile à croire lorsque l’on sait que les réunions du conseil d’administration ont été maintes fois déprogrammées, ce qui repoussait d’autant la date de publication. Encore plus difficile quand on sait qu’il a été rédigé dans le plus grand secret.
Article paru dans l’Egalité n°104
Levons le voile
Depuis la signature de Chirac et Jospin pour la marchandisation de l’ensemble des services publics, sans d’ailleurs que la gauche plurielle ne montre d’indignation, le secteur postal est attaqué. En 2009 la libéralisation sera complète, c’est-à-dire que l’ensemble des activités de La Poste sera ouvert à la concurrence, à l’appétit des grands patrons et des grands financiers.
Pour en arriver là, ces grands bourgeois ont fait élaborer ce » contrat de performances et de convergences » comme dit la ministre, avec six grands dossiers comme autant de grands chantiers : » adaptation des règles de gestion, décentralisation du dialogue social, amélioration de la vie au travail, reconnaissance et considération pour les personnes, gestion des ressources humaines par les compétences, accompagnement du changement « .
Derrière des termes très flous s’en cachent d’autres beaucoup plus clairs comme :
– la transformation de La Poste en entreprise marchande
– l’alignement de la gestion du personnel sur les règles du privé.
Le démantèlement à l’ordre du jour
Les premières transformations touchent les délégations, qui disparaissent et sont remplacées par trois directions : la direction des services financiers et du réseau grand public, celle du courrier et celle des colis. Depuis le temps que l’éclatement et l’indépendance des activités menaçaient, c’est maintenant d’actualité.
Si ce n’était pas dramatique pour le service public, il serait amusant de constater que la direction des services financiers est la même que celle des bureaux de poste. Et pour cause, le plan prévoit la création d’un établissement de crédit postal. La Poste va devenir peu ou prou un établissement bancaire avec des bureaux de poste transformés en bureaux de banque. Il s’agit là de la fin programmée des chèques postaux et de l’obligation qu’à La Poste d’ouvrir un compte même aux plus pauvres. Les banques le refusent actuellement, La Poste le refusera bientôt…
Il y a aujourd’hui 17000 bureaux, agences et autres points de contact, dont 12000 de plein exercice pour 36000 communes. La Cour des comptes estime que le réseau est « surdimensionné » et que l’objectif est d’aller vers 6000 bureaux. C’est là qu’interviennent l’épicière, le boucher ou le buraliste pour assurer la présence postale et permettre par exemple de retirer une lettre recommandée. Sans vouloir offenser ces professions et ces professionnels, ce n’est pas le meilleur gage de confidentialité alors qu’une grande discrétion est souvent bienvenue lorsqu’une lettre provient par exemple d’un tribunal ou d’un centre de détention. La confidentialité est une obligation de La Poste, elle ne le sera plus…
Dans le chapitre des coupes franches, la direction de La Poste compte investir près de 1 milliard d’euro d’ici à 2010 pour moderniser les centres de tri. Ceux-ci devraient passer de 1 par département à 40 sur tout le territoire ; deux fois moins… Même chose pour les salariés. Leur nombre est considéré comme » un poids » pour la rentabilité. Il y a 140 000 départs de prévus d’ici 2012. Si les dirigeants décident d’en remplacer un sur deux c’est le grand maximum.
Menace sur les fonctionnaires
L’aubaine pour la bourgeoisie étant qu’en plus ces départs en retraite seront le plus souvent ceux de fonctionnaires. Car un des objectifs des grands dirigeants de l’opérateur postal est de se débarrasser de tous ses fonctionnaires. Le contrat de plan est taillé pour cela aussi et suit les recommandations du Conseil d’Etat dans son rapport publié en 2003 pour modifier le statut des fonctionnaires.
La direction de La Poste compte introduire des règles de droit commun du travail (droit privé) aux agents fonctionnaires qui représentent encore les 2/3 du personnel. Il s’agit d’introduire la notion de » contrats individuels » dans la relation de tous les postiers avec leur employeur, pour » définir les conditions précises de leur emploi et carrière « . D’autre part, la gestion des compétences serait expérimentée par métiers et domaines d’activités avec une » simplification de la grille fonctionnelle » permettant une polyvalence maximale au moindre coût. Le MEDEF ne réclame pas plus lorsqu’il demande flexibilité et adaptabilité des individus pour une plus grande » employabilité « .
Le contrat de plan prévoit de sortir les postiers de leur statut actuel de fonctionnaires d’Etat, de développer le dispositif d’accompagnements pour les aider à créer leur entreprise, de favoriser leur mobilité externe (détachement) vers les administrations et autres services publics. Tel est le » nouveau contrat social » proposé aux » collaborateurs fonctionnaires « .
Attaque sur les contractuels
Parallèlement, La Poste propose de redéfinir le cadre de gestion des salariés de droit privé pour » assurer le maintien et le développement de leur employabilité « . En échange d’un accès à la promotion, au bénéfice des activités sociales de l’entreprise (qui baissent d’année en année) ou du renforcement du régime de prévoyance, il est proposé de négocier avec les organisations syndicales la mise en œuvre de la modulation du temps du travail et le temps partiel modulé, de légaliser le recours à l’intérim, de mettre en place un régime d’astreinte, de développer le travail à domicile et le télétravail. En fait, sous prétexte de réduire la précarité de l’emploi des contractuels, qu’ils ont eux-mêmes introduits, les dirigeants veulent contractualiser la flexibilité et l’annualisation.
Où en est la Ri-Poste ?
L’attaque est d’une telle ampleur que les postiers ont bien du mal encore à en mesurer toute l’étendue. Néanmoins, dans leur quotidien ils en ressentent et en comprennent tous les effets : diminution du personnel dans les centres de tri, augmentation de la charge des tournées de facteur, pression à la vente sur les guichetiers, suppression de postes de manutentionnaire, etc. La colère est là, mais la défaite de mai-juin est toujours bien présente dans les esprits.
« Si on part faut qu’on parte tous ! » disait une postière, « en mai-juin j’ai fait 6 jours de grève en 7 semaines. Faut qu’on arrête ça. Mieux vaut partir une semaine entière ça leur fait plus mal ! » disait un autre. Ce qui manque ce n’est pas l’envie d’en découdre mais la confiance émise envers les organisations syndicales.
Il est vrai que leurs directions respectives sont bien silencieuses et qu’une grande responsabilité pèse sur elles. En effet, c’est le 7 mai que la direction de La Poste présentait son » nouveau contrat social » aux organisations syndicales. Il y avait là de quoi mobiliser sérieusement les postiers pendant une semaine entière, surtout lorsque l’on sait que le 13 mai dernier en certains endroits le taux de grévistes atteignait les 95% et que la question d’une grève reconductible se posait sérieusement.
Quand les directions des organisations syndicales collaborent avec celle de La Poste pour préserver la paix sociale et ne pas être débordées par les mouvements sociaux, les Postiers ne doivent avoir confiance qu’en eux mêmes pour créer les conditions d’une lutte d’ampleur et mettre un coup d’arrêt à la casse de l’opérateur postal.
Par Sylvain Bled