Sri Lanka : Mahinda Rajapakse contraint de démissionner mais mobilise son soutien pour attaquer les manifestants ; les syndicats appellent à une grève illimitée

La tentative du gouvernement sri-lankais de battre le mouvement qui s’oppose à lui a provoqué une réaction féroce des manifestants. Quelques jours plus tôt, le 6 mai, les syndicats ont organisé un Hartal (une grève générale : un arrêt général du travail combiné à la fermeture complète des magasins, etc.) le plus réussi depuis des décennies. Des dizaines de milliers de travailleurs ont participé aux manifestations de masse qui ont eu lieu dans tout le pays. Les résidences des politiciens au pouvoir et les administrations publiques ont été les principales cibles de ces protestataires. Les manifestations importantes et énergiques qui se sont tenues à l’extérieur du parlement alors ont tenté de maintenir une action en continu, en occupant les environs du parlement. Cependant, elles ont subi une répression importante de la part du gouvernement. Les manifestants ont également montré un regain de militantisme et ont riposté aux attaques malgré l’utilisation massive de gaz lacrymogène et de canons à eau. Cependant, les manifestants ont battu en retraite par la suite. L’occupation de cette zone risquait également de bloquer la route principale de Colombo, perturbant tous les déplacements des travailleurs le lendemain – et c’était l’une des préoccupations des dirigeants du mouvement.

Article publié le 10 mai 2022 sur www.socialistworld.net

Manifestation à Kandy (région montagneuse au centre du Sri Lanka)

Le puissant Hartal et les heurts au Parlement ont envoyé un message décisif au gouvernement : les manifestants ne reculeront pas tant que le gouvernement ne démissionnera pas. Ils veulent que toute la famille Rajapakse, qui domine actuellement le gouvernement, se retire pour toujours. Le gouvernement Rajapakse a répondu en déclarant l’état d’urgence et a commencé à mobiliser sa base. La famille Rajapakse a l’habitude de financer alcool et nourriture à ses supporters hooligans et de mettre à leur disposition des bus gratuits pour leurs réunions publiques. Chaque fois que Mahinda Rajapakse se rend à Jaffna – la principale ville tamoule du nord – par exemple, il arrive souvent que 20 à 30 bus l’accompagnent pour remplir le lieu de la réunion publique – principalement pour éviter l’embarras d’une faible participation à ces réunions. Le lundi 9 mai, lorsque le premier ministre Rajapakse a annoncé sa démission, ils ont également organisé une cinquantaine de bus gratuits pour se rendre au bureau du premier ministre (Temple Trees) et ont réuni un groupe de fidèles hooligans. Lors d’une réunion tenue au palais du premier ministre, Mahinda s’est adressé à la foule et l’a clairement poussée à s’en prendre aux manifestants. Ensuite, environ 1 000 de ces soi-disant « partisans » ont commencé à attaquer les manifestants qui se trouvaient devant le bureau du Premier ministre. Ils se sont ensuite dirigés vers le bureau du président et ont poursuivi leur attaque. Armés de barres de métal, de couteaux, etc., ils ont commencé à attaquer vicieusement les manifestants. Il est évident que la police a mis du temps à réagir à cette violence flagrante. Compte tenu de la situation d’urgence, il n’y avait pas non plus suffisamment de manifestants présents à ce moment-là dans Galle Face (zone du palais présidentiel), rebaptisé « GotaGoGama » à cause de la revendication populaire pour que le président Gotabaya Rajapakse retourne aux États-Unis, où il avait émigré en 1998 avant de revenir par la suite.

Mais les Rajapakse ont complètement sous-estimé la colère générale qui existe aujourd’hui. Malgré l’état d’urgence, des dizaines de milliers de personnes se sont rendues au GotaGoGama pour défendre l’endroit lorsque la nouvelle de l’attaque s’est répandue. Les manifestants, armés de tout ce qu’ils pouvaient trouver, ont repoussé les hooligans. La nature de cette attaque vicieuse a provoqué une explosion de colère dans plusieurs régions du pays. Les sbires du gouvernement ont été poursuivis et les bus qui les amenaient ont également été attaqués. Certains d’entre eux ont été jetés dans la rivière près de l’endroit où se trouvaient les bus. Malgré le couvre-feu et la répression sévère, de nombreux manifestants ont également pris pour cible les maisons des parlementaires. Selon certaines informations, plus de 50 maisons de politiciens ont été incendiées. La maison de Mahinda Rajapakse (la maison ancestrale des Rajapakse à Medamulana dans le district de Hambantota) en fait partie. Des propriétés et des véhicules de politiciens ont également été attaqués. La police a tiré sur le groupe de manifestants qui a tenté de prendre d’assaut a résidence du Premier ministre. Des fusillades ont également eu lieu dans d’autres parties du pays. Selon certaines informations, au moins dix personnes ont été tuées et environ 200 ont été blessées jusqu’à présent.

Répression par la police et les milices de voyous au service de Rajapakse à Colombo le 9 mai 2022 devant la résidence présidentielle

Après avoir appris que le fils de Mahinda Rajapakse, Yoshitha, avait quitté le pays, une partie des manifestants s’est dirigée vers l’aéroport avec l’intention de l’occuper. Les politiciens des partis d’opposition n’ont pas échappé aux attaques. Sajith Premadasa, leader du principal parti d’opposition, Samagi Jana Balawegaya (SJP), s’est rendu à GotaGoGama pour profiter de la situation, mais face au déferlement de colère, il a été attaqué. Il a rapidement regagné sa voiture et a fui les lieux avec l’aide de la police. Des manifestants se rassemblent également devant la base Novel, dans la ville portuaire de Trincomalee, à l’est du pays, suite aux rumeurs selon lesquelles la famille Rajapakse s’y serait réfugiée dans le but de quitter le pays.

La colère est très forte, car l’attaque contre les manifestants est considérée à juste titre comme délibérée – une opération planifiée par le bureau du Premier ministre. Comme l’a dit l’un des journalistes du Daily Mirror (Sri Lanka) : « Le Premier ministre ne quitte son poste qu’après avoir presque mis le feu au pays ». Mais Mahinda n’a pas demandé aux manifestants d’arrêter – au lieu de cela, il a demandé au grand public de se « retenir », et a déclaré : « Les émotions sont vives ». Les présidents et les premiers ministres qui se servent de partisans hooligans pour atteindre leurs objectifs politiques ne sont pas une nouveauté au Sri Lanka. Les pogroms contre les Tamouls en juillet 1983 ont été planifiés et organisés par les partisans du président de l’époque, JR Jayewardene. Plus tard, le président Premadasa a également été accusé d’utiliser sa base de hooligans pour s’occuper de ses opposants politiques. Mais cette fois-ci, c’est la première fois au Sri Lanka que les voyous ont été battus et repoussés.

Bien qu’aujourd’hui les manifestants aient montré qu’ils n’avaient pas peur et qu’ils étaient prêts à tenir bon, on ne sait toujours pas comment les protestations vont évoluer. L’armée est maintenant déployée à GotaGoGama et le gouvernement a indiqué qu’il allait maintenir le couvre-feu. La prochaine étape de la lutte est la question clé à laquelle le mouvement est confronté. Le gouvernement dirigé par Gotabaya n’a montré aucune intention de démissionner. Sa tentative d’utiliser la démission de Mahinda Rajapakse pour vaincre le mouvement s’est retournée contre lui et a été repoussée. Toutefois, de nouvelles attaques contre les manifestants et l’arrestation de ses principaux dirigeants sont toujours possibles.

Les syndicats qui ont participé à la grève générale du 28 avril et au Hartal du 6 mai ont maintenant appelé à une grève générale illimitée. Le Syndicat des médecins fonctionnaires (Government Medical Officers Association – GMOA) a été le premier à déclarer qu’il ferait grève mardi en réponse à ce qui est largement considéré comme un « terrorisme d’État ». Le Groupe d’action syndicale conjointe (Joint Trade Union Action Group – JTUAG) a déclaré que le gouvernement soudoyait de petits groupes pour faire taire les manifestants. Ils ont appelé à ce que les partisans de Rajapakse qui ont attaqué les manifestants soient punis et que Gotabaya démissionne.

La grève générale devrait se poursuivre jusqu’à ce que Gotabaya démissionne. Mais cela ne suffit pas. Ce qui remplacera le gouvernement actuel n’est toujours pas clairement formulé par le mouvement d’opposition. L’idée de former des comités sur les lieux de travail et dans les villages et les villes commence à faire son chemin. Les syndicats devraient prendre l’initiative et former des comités sur les lieux de travail et dans les communautés pour organiser les protestations et leur défense. Le mouvement doit également adopter une position claire sur toutes les revendications démocratiques et sur la nécessité d’une politique économique d’urgence qui doit être mise en œuvre immédiatement.

Certains se font encore des illusions en pensant qu’un accord avec le FMI ou l’Occident permettra d’une manière ou d’une autre de sortir de la sombre crise économique. Mais un accord avec le FMI pourrait entraîner une nouvelle détérioration des conditions économiques et le démantèlement des services publics. En outre, le mouvement devrait également prendre la responsabilité de gagner le soutien des Tamouls, des musulmans, des travailleurs des régions montagneuses et des autres minorités nationales et religieuses. Il ne suffit pas de répéter que toutes les sections sont unies dans l’opposition au régime Rajapakse. Les revendications formulées par ces communautés doivent être reprises par le mouvement. La famille Rajapakse est responsable des massacres qui ont eu lieu dans le Nord. Bien que les Tamouls, en général, soutiennent la lutte qui a lieu, une partie d’entre eux se demande toujours si leurs revendications seront acceptées par le mouvement. Beaucoup craignent que les aspirations nationales ne soient noyées dans le mouvement actuel, qui met l’accent sur la promotion d’une « nation sri-lankaise unie ». Le mouvement peut toutefois gagner le soutien des Tamouls s’il commence à exprimer clairement leurs exigences démocratiques et à répondre à leurs aspirations nationales.

La demande d’une nation séparée est renforcée par la répression en cours et la guerre brutale menée par les Rajapakse, qui a tué des dizaines de milliers de personnes et en a fait disparaître encore plus. Inévitablement, une partie des Tamouls s’est réjouie de l’incendie de la maison de la famille Rajapakse, en se rappelant combien de maisons avaient été brûlées dans le nord. Mais un mouvement fort avec des perspectives et des revendications claires peut surmonter le passé brutal. L’unité sur la base de revendications et de perspectives claires est possible. C’est une telle unité qui sera beaucoup plus forte – et qui sera absolument inébranlable par les forces de l’État.

Beaucoup craignent également le retour au pouvoir d’éléments chauvins sources de divisions. Nous avons déjà commencé à voir des organisations chauvines bouddhistes liées à Gotabaya descendre dans la rue et lancer des attaques – notamment contre les commerces de la minorité musulmane, etc. Cela pourrait conduire à de nouveaux affrontements. À moins que ces forces ne soient vaincues de manière décisive et qu’un gouvernement des travailleurs et des pauvres ne soit mis en place, le danger d’un retour de la famille de Mahinda ne peut être exclu. Le Sri Lanka se trouve à un moment crucial. Bien que la situation actuelle soit désastreuse pour des millions de personnes, elle offre également l’opportunité de former un gouvernement des travailleurs et des pauvres qui puisse servir les intérêts du peuple. Il s’agira d’une avancée considérable, non seulement pour le Sri Lanka, mais aussi pour la région et au-delà.