Royaume-Uni. Après ces élections, May et les conservateurs doivent être dégagés!

1.elec_« Theresa DésarMay », « Un pari raté » – voilà les titres à la une des torchons de droite que sont le Sun et le Daily Mail, qui avaient pourtant passé toute la campagne électorale à balancer une attaque après l’autre contre le chef du parti travailliste Jeremy Corbyn dans le vain espoir d’obtenir une victoire éclatante pour le Parti conservateur.

Le jour où a été annoncée la tenue d’élections générales anticipées (élections législatives qui donnent généralement lieu à la nomination d’un nouveau chef de gouvernement), le Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles, avait déclaré ceci : « Si Corbyn se présente avec un programme clairement socialiste, notamment au sujet d’un Brexit favorable aux intérêts des travailleurs et des classes moyennes, il peut remporter cette élection ». Cette déclaration a suscité beaucoup de rires ici et là, y compris, malheureusement, de la part de l’aile droite du Parti travailliste qui pensait que cette élection allait lui donner un prétexte pour se débarrasser de Corbyn.

En à peine cinq semaines pourtant, la campagne électorale de Jeremy Corbyn a prouvé à tous ses détracteurs à quel point ils avaient eu tort. Elle a complètement transformé la situation politique au Royaume-Uni. Face à une opposition impitoyable de la part de l’élite capitaliste et des médias ainsi que, hélas, de la part de l’aile droite de son propre parti qui a tout fait pour saboter sa campagne, Jeremy Corbyn a vaillamment défendu son programme anti-austérité pour le peuple du Royaume-Uni.

Des centaines de milliers de gens, y compris le Socialist Party, ont mené campagne pour son programme dans toutes les rues du pays. Le résultat a été la plus forte hausse du nombre de voix pour son parti jamais vue depuis 1945. Le taux de participation des jeunes, qui était de 43 % en 2015, est passé à 72 % cette année, reflétant la popularité de Corbyn et le désir de lutter de la part de la jeunesse.

Les Conservateurs sont sortis fortement endommagés de cette élection. Nous devons maintenant construire un mouvement pour les contraindre à quitter le pouvoir. Le 8 juin n’était que le début. C’était le début d’un mouvement pour chasser les Conservateurs et créer une société socialiste qui donnera l’enseignement gratuit, des logements décents et des emplois corrects pour tout un chacun.

S’organiser, faire grève, résister et lutter pour réaliser le programme de Corbyn

Par Hannah Sell, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

L’échec du pari électoral de Theresa May est un cauchemar pour la classe capitaliste britannique. Il y a à peine sept semaines, la plus grande partie de l’élite britannique espérait encore que May parvienne à obtenir une augmentation spectaculaire du nombre députés conservateurs pour renforcer son gouvernement afin de faire face à la crise économique, faire passer sa politique d’austérité contre l’avis de la majorité de la population et négocier une sortie de l’Union européenne qui soit dans l’intérêt des 1 % les plus riches de son pays.

Au lieu de ça, elle est maintenant présentée comme une Première ministre « morte-vivante », qui ne pourra continuer à s’accrocher au pouvoir que de manière temporaire grâce au soutien des députés réactionnaires du Parti unioniste démocrate (DUP), qu’elle décrit pourtant comme ses « amis ».

Le DUP, dirigé par Ian Paisley est un parti d’Irlande du Nord bien connu pour ses liens avec les milices anti-indépendantistes qui ont leur part de responsabilité dans les multiples guerres civiles de cette région. En outre, ses membres sont contre l’avortement, contre les droits des LGBT et nient la réalité du changement climatique. Mais les Conservateurs ne sont pas les seuls qui sortiront salis de cette alliance.

En effet, la base du DUP comprend une grande partie de la classe ouvrière protestante d’Irlande du Nord qui souffre elle aussi de la politique d’austérité (les « ajustements structurels ») mise en place par les Conservateurs. Il semble d’ailleurs que les dirigeants du DUP ont déjà demandé à May d’abandonner ses projets de retrait des aides aux retraités pour le chauffage de leur domicile.

Conservateurs – dégagez ! May n’a aucune légitimité

Non seulement les Conservateurs sont scindés en deux camps ennemis sur la question du Brexit, leur principale dirigeante est une personne qui n’a plus aucune autorité ni en-dedans, ni en-dehors du parti. La seule raison pour laquelle elle reste à son poste est que les Conservateurs n’ont pas encore trouvé de remplaçant et craignent que les discussions sur le choix d’un nouveau Premier ministre ne mènent à une rupture décisive de leur parti.

Jeremy Corbyn et John McDonnell, à la tête du Parti travailliste, ont très justement appelé May à démissionner et ont promis de tout faire pour proposer leur programme au parlement et faire voter les députés en sa faveur. Il nous faut à présent construire un mouvement pour assurer que ce programme soit bien appliqué, quel que soit le nombre de députés qui sont prêts à le soutenir.

Ces élections générales ont été une victoire totale pour l’attitude anti-austérité de Jeremy. Le jour où les élections ont été annoncées, le 18 avril, le Socialist Party a déclaré : « Si Corbyn lutte sur base d’un programme socialiste, et notamment pour un Brexit dans l’intérêt des travailleurs et des classes moyennes, il pourrait emporter l’élection ». Cette déclaration a suscité beaucoup de rires ici et là, y compris, malheureusement, de la part de l’aile droite du Parti travailliste qui pensait, à tort, que cette élection allait lui donner un prétexte pour se débarrasser de Corbyn.

Souvenons-nous par exemple que c’était à peine en septembre que Peter Mandelson, un blairiste convaincu, disait dans la presse « prier chaque jour pour des élections anticipées », qui signifieraient selon lui la fin de la direction Corbyn.

Corbyn renforcé

Bien au contraire, ces élections ont énormément renforcé la position de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste et dans la société de manière générale. Le Parti travailliste a en effet obtenu 40 % des voix, contre 30 % en 2015. Cela représente la plus forte hausse de soutien pour ce parti depuis 1945. En même temps, le « phénomène Corbyn » est responsable d’une incroyable hausse du taux de participation, avec 3,5 millions d’électeurs en plus cette année par rapport à il y a deux ans (9,3 millions en 2015, 12,8 millions en 2017).

Ce phénomène s’est particulièrement illustré par le nombre de jeunes qui se sont retrouvés devant les bureaux de vote. Alors que tout le monde des médias, des intellectuels et des politiciens décrivaient la jeunesse comme « apathique, sans conviction, consumériste », etc., voilà que nous assistons à une véritable révolte électorale de la jeunesse qui lutte pour son avenir. Certaines estimations indiquent que 72 % des jeunes ont voté, contre 43 % en 2015. Et deux jeunes sur trois ont voté Corbyn.

Le Parti libéral-démocrate, qui prétendait avoir une base parmi les électeurs jeunes de classe moyenne, a quant à lui reçu la juste monnaie de sa pièce pour avoir voté en faveur de la hausse des frais d’inscription à l’université en 2010.

La jeunesse a été principalement inspirée par le programme de Corbyn dans lequel on retrouve un nouveau salaire minimum de 10 £ de l’heure (7500 francs CFA), l’enseignement gratuit, un strict contrôle sur les montants des loyers et un plan de construction massive de logements sociaux. La jeunesse, désormais politisée, ne retournera plus à son état précédent : la base a ainsi été jetée pour le développement d’un soutien de masse aux idées du socialisme.

Le soutien de la jeunesse à Corbyn est surtout répandu parmi la classe prolétaire et les classes moyennes. L’exemple le plus flagrant en est la victoire du Parti travailliste dans la petite ville universitaire de Canterbury (Sud-Est), qui, pour la première fois depuis 1918, n’a pas élu un Conservateur pour la représenter. On voit ici aussi de manière générale la radicalisation croissante des jeunes issus de la classe moyenne mais qui se retrouvent de plus en plus prolétarisés par les bas salaires et la hausse vertigineuse des loyers.

Il est cependant entièrement erroné et même scandaleux de décrire, comme certains médias bourgeois l’ont fait, le résultat de cette élection comme provenant d’un conflit « de générations ». Il s’agit d’une nouvelle tentative consciente de diviser la classe des travailleurs entre « vieux » et « jeunes » – une tentative qui doit être combattue par la solidarité tant dans la lutte pour la gratuité de l’enseignement que pour l’aide au chauffage des pensionnés.

De nombreux travailleurs plus âgés, déçus par le virage droitier imprimé par Tony Blair au Parti travailliste, ont de nouveau voté travailliste cette année pour la première fois depuis près de vingt ans, afin de soutenir Jeremy Corbyn. Au Pays de Galles, où les Conservateurs rêvaient de faire une percée, les Travaillistes ont connu d’importants gains.

Il est clair également que la disparition virtuelle du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) n’a pas tant profité aux Conservateurs, comme May l’avait espéré. Parmi les personnes qui ont voté pour l’UKIP en 2015 (qui comprennent évidemment aussi d’anciens électeurs travaillistes), certains ont voté cette fois-ci pour May en raison de ses promesses d’un « Brexit dur » (sans concessions à l’Union européenne). Si Jeremy n’avait pas fait une concession aux blairistes en acceptant (à contrecœur) de faire campagne pour rester dans l’Union européenne au lieu de s’en tenir à la position qui avait toujours été la sienne (et celle du Socialiste Party) et d’appeler à sortir du club impérialiste qu’est l’Union européenne en mettant en avant un programme antiraciste et internationaliste, May n’aurait jamais pu obtenir les voix qu’elle vient de récupérer de la part de certains travailleurs.

Néanmoins, la position adoptée par Jeremy durant la campagne électorale (un Brexit dans l’intérêt des travailleurs) a permis de convaincre toute une série de travailleurs qui avaient voté pour l’UKIP aux dernières élections. Même Nigel Farage, le président démissionnaire de l’UKIP, a dû admettre que Corbyn est parvenu à s’assurer un soutien tant de la part des jeunes qui auraient préféré rester dans l’UE que de la part des travailleurs qui ont voté pour son parti.

La raison fondamentale pour laquelle Jeremy Corbyn était tellement à la traine au début de la campagne est que la majorité de la population n’avait jamais entendu parler de son programme. Il est vrai que cette situation a été en partie causée par l’hostilité de la part des médias capitalistes, mais alors, comment expliquer que Corbyn ait pu gagner en soutien tout au long de la campagne électorale alors que cette hostilité des médias s’était encore intensifiée ! C’est que cette fois-ci, au lieu de rester silencieux dans une nouvelle vaine tentative d’apaiser les blairistes, l’aile Corbyn a décidé de porter son programme à travers tout le pays. La droite l’a laissé faire, se disant qu’ainsi, Corbyn serait « responsable » de la défaite ; au lieu de ça, le voilà devenu « responsable » du meilleur résultat électoral pour le Parti travailliste depuis 1997.

Ce résultat aurait d’ailleurs été encore plus grand si Jeremy avait pris dès le départ une position plus claire par rapport au fait qu’il soutient le droit à l’indépendance de l’Écosse. En 2015, avant que Corbyn n’arrive à la tête du parti, le Parti travailliste avait mené campagne contre l’indépendance. Vu le soutien affiché à l’indépendance par toute une partie de la population (notamment par les couches les plus pauvres de la société), face à l’opposition farouche de tous les autres partis politiques du Royaume-Uni, le Parti national écossais est tout naturellement devenu premier parti d’Écosse. Cependant, vu que depuis, ce parti ne cesse d’appliquer la même politique d’austérité que les Conservateurs, la déception vit à présent parmi la population qui l’avait soutenu. C’est pour cette raison que Corbyn est parvenu à gagner beaucoup de voix parmi certaines circonscriptions ouvrières d’Écosse, sans pour autant concrétiser le potentiel qui s’offrait à lui. Par contre, les Conservateurs ont fortement accru leur vote dans les circonscriptions les plus privilégiées d’Écosse, tirant parti du courant anti-indépendantiste, plus fort dans ces régions.

L’heure doit être à la mobilisation syndicale

Après cette victoire de Jeremy Corbyn, il est urgent de poursuivre sur cette lancée en appelant immédiatement à une manifestation nationale contre l’austérité avec pour slogan « Conservateurs, dégagez ! », pour faire cesser l’ensemble des attaques menées entre autres sur notre système de soins de santé et nos établissements d’enseignement. Cette marche rassemblera des millions de gens ; on pourrait alors déclarer une grève générale de 24 heures qui forcera May à organiser de nouvelles élections.

En même temps, Jeremy Corbyn et l’aile gauche du Parti travailliste doivent faire cesser l’application des plans d’austérité des Conservateurs par les conseils communaux et régionaux entre les mains de leur parti.

En très peu de temps, des millions de gens ont été convaincus de voter pour Corbyn malgré le fait qu’il n’était pas clair s’il était vraiment prêt à appliquer son programme. Ce scepticisme est logique, vu toutes les trahisons perpétrées par le « Nouveau » Parti travailliste (« New Labour ») lorsque celui-ci a pris le pouvoir avec Tony Blair, et toutes les trahisons au niveau des conseils communaux qui sont responsables de la moitié des mesures de restriction budgétaires dans les services publics depuis 2010.

Pour consolider l’enthousiasme généré par la campagne de Corbyn, il est nécessaire qu’il clarifie dès aujourd’hui qu’il est entièrement opposé aux coupes d’austérité au niveau local et que le gouvernement conservateur est désormais trop faible pour contraindre les conseils municipaux travaillistes d’appliquer cette politique. C’est particulièrement le cas dans les zones urbaines où le soutien à Corbyn est le plus grand, et alors que des élections municipales auront lieu l’an prochain.

Transformer le Parti travailliste

Comme le disait Riz Ahmed, du groupe de rap Swet Shop Boys, « Bravo Jezza pour avoir ramené à tant de gens l’espoir dans la politique. Si le Parti travailliste avait été uni derrière Corbyn, nous aurions pu remporter cette élection haut la main ! ». Cet avis est largement partagé parmi les partisans de Corbyn.

Non seulement Jeremy est parvenu à s’imposer face à l’hostilité et au sabotage permanent de la part de l’élite capitaliste, mais il a aussi été énormément freiné par les blairites, ces représentants du capitalisme au sein du Parti travailliste. Si ces derniers n’oseront plus tenter un nouveau « coup d’État » contre lui en cette période postélectorale, nous ne devons pas nous faire la moindre illusion sur le fait qu’ils pourraient se réconcilier avec lui. Le Parti travailliste reste, jusqu’à nouvel ordre, deux partis qui partagent la même étiquette.

Pour la classe capitaliste, la politique défendue par Corbyn représente une véritable menace et, plus encore, l’espoir qu’il est en train de susciter chez des millions de gens. C’est pourquoi les représentants du Parti travailliste vont chercher de nouvelles manières de vaincre Corbyn. C’est ainsi que, dans la semaine du scrutin, on a vu la députée Joan Ryan attaquer Corbyn publiquement et interdire aux agents électoraux d’utiliser des tracts qui mentionnaient son nom ! Hier encore, Hilary Benn est venu marmonner dans la presse que « Le Parti travailliste doit tirer les leçons de cette troisième défaite électorale ».

Nous ne pouvons pas non plus accorder la moindre confiance aux blairistes qui ont récemment commencé à faire des déclarations de soutien à Jeremy. Il s’agit d’une manœuvre pour tenter de l’encercler avant de le forcer à abandonner un point après l’autre de son programme radical. Car c’est bien de cela qu’il est question lorsque Peter Mandelson, le plus blairiste de tous et qui avait un jour suggéré l’idée d’un assassinat politique, affirme que Corbyn doit « montrer du respect » envers l’ensemble des fractions du parti. Or, si beaucoup de gens ne connaissaient pas encore Corbyn et son programme à la veille du scrutin, c’est justement à cause de cette aile droite qui a tout fait pour l’étouffer depuis qu’il a été élu à la tête du parti.

Nous ne pouvons nous permettre de voir cette situation perdurer. C’est pourquoi il nous faut immédiatement lancer une campagne pour transformer le Parti travailliste en un véritable parti démocratique et anti-austéritaire, un parti des travailleurs et de la jeunesse. Cela requiert l’introduction de la réélection obligatoire des députés. Les prochaines élections générales pourraient avoir lieu à tout moment ; il serait intolérable que le Parti travailliste ait à nouveau à faire campagne alors que la majorité de ses propres candidats s’opposent à son dirigeant.

Il faut aussi prendre des mesures pour démocratiser le parti, y compris le droit de parole pour les syndicats affiliés et l’intégration des socialistes de lutte, tels que les militants du CIO, dans le cadre d’une fédération démocratique. Nous pourrons ainsi forger un parti qui pourra véritablement rassembler tous les jeunes, les socialistes, les travailleurs et les militants sociaux qui ont été inspirés par Jeremy Corbyn pour en faire une puissante force de masse.

Lutter pour le socialisme

Cette campagne électorale a permis à toute une nouvelle génération d’être touchée par les idées du socialisme pour la première fois. Cela est un énorme pas en avant. Mais elle a aussi révélé à quel point les capitalistes sont prêts à aller pour saboter la moindre tentative de mettre en place une politique en faveur de la majorité de la population et non pas de leur petit clan. L’hostilité à laquelle Jeremy Corbyn a été confrontée n’est que le pâle reflet de ce qui l’attendra le jour où il prendra la tête du gouvernement.

Pour couper court à cette résistance de la part des riches, il faudra envisager des mesures socialistes radicales telles que la nationalisation des – disons – 100 plus grandes entreprises et banques qui dominent l’économie du Royaume-Uni pour les réorganiser dans le cadre d’un plan de production démocratique socialiste. Le gouvernement socialiste pourrait alors commencer à gérer l’économie de manière planifiée, sous le contrôle et la supervision démocratiques des travailleurs ; une politique « Pour les millions et non pour les millionnaires ».