Les évènements qui ont secoué les quartiers populaires en novembre peuvent ils se reproduire ?

C’était la grande crainte des médias et des politiciens : les fêtes de fin d’année, qui connaissent depuis plusieurs années un nombre important d’incendies de voiture, risquaient de battre tous les records. Or, s’il y a eu un peu plus de véhicules incendiés qu’en 2004, c’était loin des nuits les plus agitées du mois de novembre dernier. N’ayant plus aucune raison de justifier l’Etat d’urgence, le gouvernement a préféré y mettre fin. Pour autant, chacun sait que les causes sont toujours là, et que la colère existe et peut s’exprimer à tout moment de la même manière ou, espérons le, d’une façon plus claire politiquement.

Article paru dans l’Egalité n°117

Il serait erroné de ne pas voir dans les « émeutes » de novembre un événement politique important. Si quelques participants à ces actions sont tellement à l’écart de tout dans la société qu’ils ne pensaient qu’à tout casser et rien d’autre, pour une grande majorité c’était l’unique moyen de rendre visible la colère contre la situation sociale qu’ils subissent.

C’est Sarkozy et Villepin qui ont mis le feu aux quartiers

Depuis plusieurs mois, on assiste à une escalade de la répression, à une augmentation de la violence de l’Etat contre les travailleurs. Des postiers en lutte spontanée se font attaquer par le GIPN. Le 30 juin, Villepin envoie les CRS pour évacuer l’usine Sediver (Saint Yorre) occupée par ses ouvriers pour empêcher la délocalisation de l’activité et le licenciement de 264 salariés. En octobre, le GIGN est envoyé contre 50 marins qui occupaient un bateau de la SNCM dans la lutte contre la privatisation de cette compagnie.

Depuis plusieurs mois, le ministre de l’intérieur, Sarkozy, multipliait les déclarations provocantes et violentes. A la Courneuve en juin, il déclarait qu’il allait passer les quartiers au « Kärcher ». Le 28 octobre dernier, lors de sa venue au commissariat d’Argenteuil, Sarkozy pouvait déclarer  » on va vous débarrasser de ces racailles  » montrant clairement qu’il parlait de l’ensemble des protestataires présents. Le lendemain, il déclarait :  » puisque ma visite à Argenteuil a tellement plu, j’y retournerai.

Il n’en n’a pas eu besoin. Deux jours plus tard, une descente de police à Clichy-sous-Bois entraînait la mort de deux jeunes, Zyed 17 ans et Bouna 15, tellement terrorisés qu’ils se sont réfugiés dans un transformateur électrique. Villepin et Sarkozy accusèrent les jeunes de cambriolage et ne s’excusèrent jamais lorsqu’il s’avéra que c’était faux. Tout montre que le gouvernement cherchait l’escalade depuis des mois. Que ce soit avec les travailleurs ou avec les habitants des quartiers populaires.

Les vraies causes : chômage, racisme et discriminations

23 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. Dans les quartiers populaires, situés en périphérie des villes, il n’est pas rare que cela dépasse 40 %.

Ajoutons à cela que si votre nom est de consonance étrangère et que vous habitez dans une ville considérée comme « sensible », qu’à chaque fois qu’il y a un contrôle d’identité vous y avez droit, avec remarques méprisantes à la clef, et on aura résumé le quotidien de nombreux jeunes des quartiers populaires.

Ce n’est pas un phénomène nouveau : c’est une vieille logique qui fait que les pauvres sont toujours parqués en périphérie des villes, car leur logement ne doit leur servir qu’à se reposer pour retourner travailler le lendemain. Les projets culturels et sociaux qui visent à animer un peu les quartiers, avaient été amputés de dizaines de millions d’euros. Ce mépris pour les pauvres, les travailleurs en général, est renforcé aujourd’hui par tout un discours qui prend des aspects racistes. Alors que moins de 5 % des jeunes interpellés sont étrangers, ce fut tous les soirs aux journaux, tel député de droite disant que la polygamie était la principale cause des  » émeutes « , tandis que les habituels ultra réactionnaires comme de Villiers disaient que c’était à cause de l’Islam.

Or ce qu’on a pu voir justement c’est l’inverse. La plupart des jeunes interpellés sont très jeunes, plus de 80% sont inconnus de la police, et tous sont enfants d’ouvriers ou d’employés, beaucoup sont en scolarité technique ou professionnelle. Quant aux organisations islamiques comme l’UOIF ou les salafistes, elle ont démontré leur soutien sans faille à Sarkozy en appelant au retour de l’ordre par des textes religieux sans jamais reconnaître une seule fois la réalité sociale qui est la vraie cause de la révolte. D’ailleurs, malgré tous leurs efforts, les journalistes ont bien été incapables de trouver un seul endroit où le discours dominant aurait été religieux. A chaque fois, il s’agissait d’un affrontement, certes aveugle et sans perspectives, avec l’Etat, ou plutôt avec ce que ces jeunes assimilent à l’Etat.

Quelles suites ?

Les grandes luttes ouvrières collectives sont rares, le chômage de masse isole ces jeunes des luttes des travailleurs, leur rendant plus difficile à distinguer ce qui est juste politiquement de ce qui ne l’est pas. Ainsi, une école, une entreprise qui refuse d’embaucher des jeunes du quartier, sont visées au même titre qu’un commissariat. Dans certains quartiers, la situation de désespoir est telle qu’effectivement des éléments de délinquance dominent. Ça ne devrait qu’encore plus inciter les partis qui se disent anticapitalistes à se tourner vers ces jeunes, et formuler des revendications qui prennent réellement en compte les besoin de ces populations : transports gratuits, logement décent, emploi etc. Comment un parti comme le PCF peut il être crédible si d’un coté il se dit contre le capitalisme mais de l’autre participe avec le PS à des instances (conseil régionaux, municipalités etc.).

Et surtout, on l’a vu lors de la mise en place de l’Etat d’urgence, il a fallu des semaines pour que les organisations anticapitalistes appellent à manifester contre. A Rouen, alors qu’ils avaient été contactés une semaine à l’avance ni la LCR, ni le PCF n’ont accepté de participer à la manifestation initiée par la Gauche révolutionnaire le 12 novembre. A Paris, il a fallu que le MRAP en prenne l’initiative pour que cela se fasse. Et les manifestations ont finalement été organisées ailleurs… une fois que l’Etat d’urgence était confirmé pour 3 mois par le parlement.

Une voie anticapitaliste !

Réveillés toutes les nuits par les hélicoptères, voyant le PS applaudir la mise en place de l’Etat d’urgence, voyant des milliers de jeunes se faire arrêter alors que les flics responsables de la mort de Zyed et Bouna sont tranquilles, de nombreux jeunes en ont déduit que le système est pourri, qu’il faut le changer, qu’il faut d’autres représentants que cette gauche molle.

Si les émeutes ont temporairement conduit à une consolidation de Sarkozy et Villepin, c’est parce que ce mode d’action favorise la répression, et inquiète de nombreux travailleurs pour les maigres biens qu’ils ont et les quelques acquis (école etc.) qui restent. Il manquait une véritable perspective politique.

C’est cette perspective que nous voulons donner aux prochaines luttes. Les journées nationales de grève qui ont eu lieu en 2005 n’étaient ni assez combatives ni assez claires politiquement pour constituer un véritable débouché aux aspirations des jeunes. Néanmoins, c’est en luttant collectivement pour une grande grève des jeunes et travailleurs qu’on stoppera Villepin-Sarkozy et le patronat.

Il faut effectivement changer de système, il faut une révolution pour renverser le capitalisme. C’est cette perspective que nous allons continuer à défendre. Mais une révolution c’est la prise de contrôle de l’économie par les travailleurs, c’est l’organisation démocratique de celle ci pour satisfaire les besoins de tous. Et dans cette perspective, un nouveau parti qui s’oppose réellement à tous les partis capitalistes est absolument nécessaire et les jeunes des quartiers populaires peuvent jouer un rôle essentiel dans la formation de ce parti.

Par Alex Rouillard