L’écueil de la participation gouvernementale au Brésil

Les médias ne cessent d’encenser le gouvernement Lula, qualifiant les premiers jours de réussite. Réussite pour qui ? Pour les patrons et les investisseurs étrangers mais certainement pas pour les travailleurs brésiliens.

Article paru dans l’Egalité n°101

Les premières mesures du gouvernement sont à la mesure de la campagne électorale

Mieux, les dirigeants brésiliens ne se contentent pas de respecter les demandes du FMI mais de surenchérir. Ainsi l’excédent budgétaire, qui partira essentiellement en remboursement de la dette, sera de 4.25 % du PIB et non de 3.75 % comme le demandait le FMI.

De même les maîtres mots d’ordre économiques du nouveau gouvernement sont clairement ceux d’un programme au service du patronat et de la bourgeoisie : baisse des dépenses sociales, baisse des impôts sur les sociétés, facilités pour licencier, Banque centrale indépendante du pouvoir politique.

Ces mesures ont été présentées lors de la campagne comme des concessions que devraient faire les travailleurs pour voir leurs revendications réalisées. Qu’en est-il des avancées sociales ? Visiblement on attend des jeunes et des exploités du Brésil qu’ils se contentent des miettes qu’on leur tend à travers le très médiatisé projet « Faim Zéro » ? Un simple calcul permet d’exposer l’hypocrisie des dirigeants actuels. Le fameux projet du président Lula est financé à hauteur de 2 milliards de reals ; mais dans le même temps des budgets essentiels pour le peuple brésilien ont subi des coupes drastiques. Education : moins 341 millions de reals (-4.73 %) . Santé : moins 1.6 milliards de reals. Sécurité sociale : moins 247 millions (- 16.80 %). Travail : moins 522.8 millions (- 33.35 % !). Promotion des femmes : moins 20 millions (- 83.33 %).

Ces chiffres montrent clairement les réels objectifs du président et de la direction droitière du PT. Il s’agit de se montrer comme les meilleurs gestionnaires des intérêts de la bourgeoisie brésilienne en offrant leur capacité à étouffer, par leur emprise sur la classe ouvrière, tout mouvement de contestation. Ce n’est donc pas un hasard s’ils s’attaquent à des réformes que le gouvernement Cardoso précédent avait laissé de côté. Ainsi pour la question des retraites. The Economist, journal qui n’est pas exactement reconnu comme progressiste, l’expliquait récemment dans ses lignes :  » M. Cardoso a tenté de changer cela à plusieurs reprises. Il est parvenu à introduire un nouveau calcul pour les retraites du secteur privé, qui en réduisait le montant pour ceux partant tôt ; mais lorsqu’il a tenté de réduire les pensions du secteur public, la Cour suprême a déclaré cette législation inconstitutionnelle. Quand ils étaient dans l’opposition, Lula et le PT se sont opposés aux tentatives de M. Cardoso de mettre de l’ordre dans les retraites. Maintenant qu’ils sont au pouvoir, ils ont complètement changé d’avis et promettent des réformes courageuses.  » Où est le courage quand on s’apprête, au nom des travailleurs, à les dépouiller en qualifiant ceux du secteur public de  » Privilégiés  » alors qu’ils ont à peine de quoi survivre ?

Nature du gouvernement

La situation du Brésil illustre une nouvelle fois que la collaboration de classe s’effectue toujours sur le terrain de la bourgeoisie et des capitalistes. C’est l’écueil de ceux qui pensent voir le capitalisme corrigé par des réformes. C’est oublier la nature de l’Etat bourgeois. Celui-ci est mis en place dans un seul but : servir les intérêts de la classe bourgeoise dominante. Jamais celle-ci n’acceptera de voir ses intérêts remis en cause par des représentants des travailleurs. Au contraire, elle utilise la collaboration de classe pour phagocyter tout mouvement ouvrier en bourgeoisifiant ses représentants. L’histoire regorge d’exemples de  » socialistes  » participant à un gouvernement bourgeois au nom des intérêts de la classe ouvrière . Ceci n’a abouti qu’à la trahison de la classe ouvrière qui s’est vue attaquée (réformes au profit des capitalistes, répression) par ses propres  » camarades ministres  » au pouvoir. Ainsi la participation du  » socialiste  » Millerand au gouvernement Waldeck Rousseau au début du XXème siècle a abouti non pas à des avancées pour la classe ouvrière mais à l’augmentation d’une heure de la durée du temps de travail des enfants. Quant à la présence récemment de Gayssot (PCF) au ministère des transports, elle a permis entre autres la privatisation d’Air France ou le démantèlement de la SNCF…

La gauche du PT dans le piège de la collaboration de classe

Pourtant les membres de la principale tendance de gauche du PT participent au gouvernement. Alors que le vice président, Alancar, est un des grands patrons du Brésil, alors que Roberto Rodrigues, ministre de l’agriculture, est grand propriétaire terrien, président de l’ABAG (Association brésilienne de l’agro-business), Miguel Rossetto, dirigeant de la tendance Démocratie socialiste et section brésilienne du secrétariat unifié de la quatrième internationale (dont la LCR est la section française) a accepté d’être responsable du ministère du développement agraire, en charge notamment de la grave question des paysans sans terre. Comment peut-il espérer assurer les intérêts de ces derniers en cohabitant avec un de ces criminels qui n’hésitent pas à commanditer des meurtres de syndicalistes et de leaders du mouvement des sans terre ? Si elle ne démissionne pas du gouvernement Lula, DS aura trahi le camp des travailleurs. La classe ouvrière et les paysans du Brésil qui vont devoir entre en lutte contre ce gouvernement ne manqueront pas de le lui rappeler.

Ni César ni tribun

C’est oublier que la classe ouvrière n’a pas besoin de sauveurs qui viendraient leur assurer bonheur et justice sociale. Vouloir la défendre en collaborant avec ses ennemis n’aboutit qu’à la trahison.. L’émancipation des travailleurs ne peut et ne viendra que d’eux mêmes, au sein d’un mouvement révolutionnaire, avec des assemblées générales où ils décideront, avec des représentants mandatés qu’ils contrôleront. C’est oublier que la classe ouvrière n’est pas un « petit enfant » opprimé que l’on devrait défendre et protéger, mais la force qui changera le système. « L’internationale » nous l’enseigne et nous met en garde du danger : « ni César, ni tribun, producteurs sauvons-nous nous-mêmes. »

Par Geneviève Favre