L’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le conflit armé du Haut-Karabakh

La dernière flambée de la longue dispute entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur le Haut-Karabakh a commencé il y a un peu plus d’une semaine, le 27 septembre. Des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines blessées, dans l’enclave et ses environs, mais le conflit a également pris des dimensions régionales et même mondiales.

L’enclave dite « autonome », qui compte moins de 150 000 habitants, est située dans les montagnes du Caucase, entourée par l’Azerbaïdjan. Un conflit majeur s’est développé pour le contrôle de la région entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en 1988, lorsque le président Gorbatchev a introduit des réformes – « Glasnost » (ouverture) et « Perestroïka » (restructuration) – visant à prévenir l’effondrement de l’Union soviétique.

À l’époque, Peter Taaffe, rédacteur en chef du journal Militant, en Grande-Bretagne, a écrit un article intitulé « Des fissures en haut, des bouleversements en bas ». Il y avait eu deux manifestations en Arménie impliquant un million de manifestants – plus d’un quart de la population. La menace d’une grève générale et d’une grève effective de plus d’un mois dans le Haut-Karabakh a fait promettre à Gorbatchev d’investir une somme considérable dans l’économie de cette « plus petite des 15 républiques de l’Union soviétique ». « Les concessions », a écrit Peter Taaffe, « peuvent apaiser temporairement les Arméniens, mais elles ne résoudront pas le déni central du droit démocratique de la population du Haut-Karabakh à déterminer son propre destin ».

Cinq années de combats ont suivi, avec plus de 30 000 morts et un million de personnes déplacées – en majorité des Azéris. Un accord de paix, négocié par un certain nombre de puissances européennes, a finalement été signé à Minsk en 1994. Légalement, le contrôle du Haut-Karabakh devait être accordé à l’Azerbaïdjan, mais la majorité arménienne de l’enclave continuait à l’administrer, et une partie du territoire azéri situé entre l’enclave et l’Arménie elle-même était également occupée.

Le Haut-Karabakh est également l’un des plus anciens conflits dits « gelés » au monde. Des combats sporadiques peuvent éclater à tout moment. En 2016, une guerre de cinq jours a fait des centaines de morts. En juillet de cette année, au moins 16 personnes ont été tuées, dont un général azerbaïdjanais.

L’étincelle du conflit actuel reste obscure, tout comme les détails sur les avions et les chars qui ont été détruits par qui. L’ambassadeur arménien en Russie, avec qui son pays a conclu un « pacte de sécurité », a affirmé que la Turquie avait envoyé 4 000 mercenaires de Syrie pour combattre aux côtés des forces armées de l’Azerbaïjan. Le président turc Erdogan, qui soutient l’Azerbaïdjan, nie ce fait, mais affirme avoir tué « un grand nombre de mercenaires d’origine arménienne » sur son territoire. Les deux pays ont déclaré la loi martiale et mobilisé des troupes, le gouvernement arménien affirmant agir en légitime défense.

Le dimanche 4 octobre, des rapports ont fait état d’un bombardement aérien intense de la capitale du Haut-Karabakh, Stepanakert, avec l’utilisation de missiles à guidage de précision et de drones, alors que les forces azerbaïdjanaises tentent de couper l’enclave de l’Arménie (avec laquelle elle n’a pas de frontière). Un commentateur azerbaïdjanais a déclaré au service de presse d’Al Jazeera que l’Arménie était prête à entraîner l’Azerbaïdjan dans une guerre totale.

Importance stratégique

Le Haut-Karabakh, connu en arménien sous le nom d’Artsakh, et autrefois également peuplé par des Kurdes, n’est pas seulement une région pittoresque pour les vacances. Il revêt aujourd’hui une grande importance stratégique pour l’approvisionnement en énergie de l’Europe par la Russie. Des gazoducs et des oléoducs traversent son territoire.

Au début de la semaine dernière, le Conseil de sécurité des Nations unies a annoncé des pourparlers d’urgence. Il s’agissait de « crainte que les combats ne s’étendent à de nouveaux fronts et n’attirent d’autres acteurs régionaux », comme l’a déclaré le journaliste du Guardian, Michael Safi. « Une guerre prolongée pourrait s’éterniser en Russie, qui vend des armes aux deux pays, mais qui a une alliance militaire avec l’Arménie, et ainsi qu’en Iran, qui a une relation parfois tendue avec l’Azerbaïdjan » (30 septembre). La Russie a des bases militaires en Arménie, un pays de seulement deux millions d’habitants (l’Azerbaïdjan en a plus de 10 millions).

Avec la détérioration des relations entre le régime de Poutine et l’Union européenne, d’abord sur l’Ukraine et plus récemment sur la Biélorussie et l’empoisonnement de Navalny [opposant russe à Poutine, NdT], la recherche d’une alternative au gazoduc européen Nord Stream 2 acquiert une importance accrue pour la Russie.

Le Financial Times (Londres) commente que « la Russie, qui mène des efforts de médiation aux côtés des États-Unis et de la France, a déclaré qu’elle utiliserait « son influence auprès des anciens pays soviétiques pour obtenir un cessez-le-feu » ». (29 septembre).

Le premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, est cependant opposé à des pourparlers de paix sous médiation russe.

Le président de la Turquie, Tayip Erdoğan, a saisi l’occasion d’affronter la Russie dans une autre arène, en partie pour détourner l’attention des difficultés économiques de son propre pays. Exploitant les sentiments nationalistes et religieux, Erdogan joue également sur l’amère histoire du conflit avec l’Arménie, et sur le soutien occidental à l’Arménie, notamment de la France. Selon certaines informations, la Turquie déploierait un grand nombre de ses alliés syriens et de mercenaires en action pour soutenir les forces azéries. La Turquie, bien qu’elle ait acheté des armes à Moscou, affronte déjà la Russie dans une guerre par procuration en Syrie, ainsi qu’en Libye. Comme le dit The Economist, « Ils courent le risque de mener une troisième guerre dans le Caucase » (3 octobre). L’implication de la Turquie dans la guerre en Azerbaïdjan pourrait être « excessive ».

Le Conseil de sécurité des Nations unies a appelé à un cessez-le-feu immédiat autour du Haut-Karabakh et à une conférence de paix, tout comme Angela Merkel. Mais aucun des deux n’a plus à suggérer qu’un retour à l’accord de 1994.

Le président français Macron, qui compte une importante communauté arménienne, a appelé au « dialogue » sur le Haut-Karabakh. Il a accusé la Turquie de tenir un discours « guerrier » et d’encourager l’Azerbaïdjan à reconquérir le Haut-Karabakh. Les forces militaires turques sont sans aucun doute activement impliquées. Macron est déjà en conflit avec la Turquie au sujet de la guerre civile libyenne et des revendications pétrolières et gazières en Méditerranée orientale.

Confronté à des problèmes intérieurs, Macron a tenté de jouer un rôle de médiateur international – en relation avec le Liban, la Biélorussie et la Libye. La semaine dernière, il a appelé Vladimir Poutine le mercredi et Donald Trump le jeudi. La France, la Russie et les États-Unis sont coprésidents du Groupe de Minsk, composé de 13 pays, créé par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 1992 pour trouver une solution pacifique au problème du Haut-Karabakh.

L’Iran a fait une offre de médiation pour des pourparlers de paix afin de mettre fin au conflit. Il a des frontières avec les deux pays combattants et, ce qui est peut-être surprenant compte tenu des affiliations religieuses, a de meilleures relations avec l’Arménie qu’avec l’Azerbaïdjan.

Le président Ilham Aliyev dirige un régime dictatorial en Azerbaïdjan, pays riche en pétrole. Comme ailleurs dans l’ancienne Union soviétique, il est entouré d’oligarques super-riches. Il se préoccupe peu de son propre peuple, et encore moins de celui du Haut-Karabakh, dont la majorité vit dans la pauvreté. Au fil des ans, Aliyev, comme Erdogan, a détourné le mécontentement chez lui en attisant l’hostilité envers les Arméniens. En janvier 1990, un pogrom de sept jours a été mené contre les Arméniens dans la capitale, Bakou, au cours duquel des Arméniens ont été battus, assassinés et expulsés de la ville.

Le site web « Der Spiegel » a rapporté, le 28 septembre, qu’en juillet dernier, après des affrontements avec l’Arménie, des émeutes ont éclaté après que « des dizaines de milliers de personnes aient manifesté à Bakou pour la guerre avec l’Arménie… Les protestations de l’époque étaient dirigées non seulement contre l’ennemi arménien, mais aussi contre les propres dirigeants du pays … Pour Aliyev, c’était un signal d’alarme. Peu de temps après, il a renvoyé son ministre des affaires étrangères ». Maintenant, les civils azerbaïdjanais ont été encouragés à marcher contre les Arméniens et à les combattre.

D’autre part, il y a ceux qui, comme la « Jeunesse de gauche azerbaïdjanaise », dénoncent la propagation de la propagande nationaliste et les vastes dépenses militaires des deux gouvernements dans le contexte de services éducatifs et sociaux gravement sous-financés. Ils plaident pour une redistribution égale des ressources afin de contrer l’accumulation d’une « misère quotidienne de plus en plus grande ».

« Les gens des deux côtés », écrivent-ils, « ont souffert et enduré la pandémie et la récession économique….. Il est grand temps que nous, les jeunes Azerbaïdjanais et Arméniens, prenions en main la résolution de ce conflit dépassé… et non les hommes en costume, dont le but est l’accumulation de capital…… Il est très important de relancer les initiatives politiques, à la base, composées de citoyens locaux ordinaires, qui permettront de rétablir les pourparlers de paix et la coopération ». Ils s’opposent à toute nouvelle mobilisation de la jeunesse du pays dans la guerre « sans signification » et aux tentatives visant à « approfondir la haine entre les deux peuples ». Ils plaident pour le rétablissement de la « confiance entre nos sociétés et la jeunesse ». Ils rejettent le nationalisme et plaident pour « le respect mutuel, une attitude pacifique et la coopération ».

Histoire

L’Arménie et l’Azerbaïdjan étaient tous deux des républiques indépendantes au sein de l’URSS, dont ils faisaient partie depuis le début des années 1920. Le Haut-Karabakh était à l’origine désigné comme arménien, mais Staline, alors qu’il était commissaire du peuple pour les nationalités, est revenu sur sa décision et l’a attribué à l’Azerbaïdjan.

Après l’éclatement de l’Union soviétique à la fin de 1991, les deux pays sont devenus indépendants, adoptant la voie capitaliste et annihilant la propriété et la planification de l’État. Pendant plus de cinq ans, ils ont été à couteaux tirés sur le Haut-Karabakh, avec des conséquences tragiques.

Sur une base capitaliste, le conflit entre nations n’a pas de fin. « A moins que les tensions ne se calment », a déclaré le Financial Times vendredi dernier, « ce conflit gelé particulier pourrait devenir très chaud ».

Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI) défend les droits culturels, linguistiques et religieux des petites nations et des minorités au sein des nations. Cela doit se faire sur la base de la protection des droits des minorités au sein des communautés, qui doivent à leur tour être protégées.

Sur une base capitaliste, la probabilité d’affrontements entre nations et au sein des nations est toujours présente. Dans le climat international actuel, avec les profondes crises économiques et humanitaires provoquées par la pandémie de Covid 19, les tensions nationales et internationales sont exacerbées. Les idées socialistes doivent être mises en avant dans les campagnes contre la guerre et pour les droits de tous les travailleurs et des peuples.

Par Clare Doyle