Entre chaos capitaliste et soulèvements sociaux, une nouvelle ère s’ouvre et seul le socialisme offre une solution pour l’avenir

Action syndicale des soignants avec des militants
du Socialist Party à Newham dans l’est de Londres

La crise du coronavirus est entrée dans une nouvelle phase, en termes de santé, d’économie et de relations géopolitiques. Elle a confirmé les principales tendances exposées dans les déclarations précédentes du CIO, le Comité pour une Internationale Ouvrière. Une nouvelle ère de chaos capitaliste et soulèvements sociaux s’annonce, qui n’avait pas été observée depuis les années 1930. Des tournants majeurs dans la situation mondiale ainsi qu’à l’intérieur des pays se déroulent à la vitesse de l’éclair. À ce stade, l’issue exacte de certains de ces développements reste incertaine. Cependant, il est clair que le capitalisme, qui est plus oligarchique aujourd’hui, a été exposé comme un système qui est maintenant incapable de développer la société ou les forces productives dans une direction positive. C’est un système social qui dégouline de sang, entraînant la société dans un bourbier. Une alternative socialiste révolutionnaire offre la seule voie d’avenir pour l’humanité à cette époque.

Déclaration du Secrétariat International du Comité pour une Internationale Ouvrière, publiée sur socialistworld.net le 15 mai 2020

L’Amérique latine, l’Asie et l’Afrique sont confrontées à une mer de misère humaine alors que les crises économiques et sanitaires se développent. De nombreux gouvernements en Europe et aux États-Unis, après la Chine, la Corée du Sud et certains autres pays asiatiques, ont pris des mesures pour assouplir ou lever le « confinement ». Ils risquent de voir une « deuxième vague » du virus frapper, au moins au niveau régional ou local, comme l’illustrent Singapour, la Corée du Sud, l’Allemagne et peut-être la Chine, avec des conséquences potentiellement dévastatrices. Le système capitaliste a besoin que la classe ouvrière soit au travail pour produire des biens, et aussi de l’existence d’un marché pour fonctionner. La soif de profits est leur motivation principale. Si la spéculation, comme le rebondissement actuel sur certaines bourses, peut profiter à quelques-uns pendant un certain temps, elle ne produit pas de valeur réelle. D’où la volonté de « relancer » les économies. Les nouvelles mesures de « déconfinement » mettent en danger des milliers de vies, ce qui n’est pas le souci du capitalisme. Cette mesure, ainsi que les précédentes mesures ineptes prises par les dirigeants capitalistes, suffisent à accuser le système et ses dirigeants. L’absence d’équipements de protection et de conditions de travail sûres dans l’industrie et les services qui ont été rouverts sera probablement l’un des points chauds qui déclenchera des protestations et des grèves dans de nombreux pays.

Les mesures de réouverture de certains secteurs de l’économie ont provoqué un élément de fracture de la structure politique dans certains pays. Aux États-Unis, des affrontements se sont développés entre certains États et le gouvernement fédéral et/ou entre les gouverneurs des États et les maires des villes. En Allemagne, Merkel a dû faire face à la pression ouverte des États fédéraux et leur a finalement laissé une certaine marge de manœuvre pour décider de nombreux détails de la levée du confinement. En Grande-Bretagne, les gouvernements décentralisés d’Écosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord se sont heurtés aux actions erratiques et irresponsables de Johnson.

La réouverture partielle de l’économie ne va pas permettre d’éviter une crise économique, sociale et politique sans précédent. Bien que les données ne soient pas fiables et ne soient pas exactes à 100 %, tout indique une crise sans précédent depuis les années 1930.

Récessions et effondrements

Lors des précédentes récessions ou effondrements capitalistes, la crise a eu tendance à se concentrer sur des secteurs particuliers de l’économie : industrie manufacturière, logement, finance, etc. à des moments différents. Cette crise a touché simultanément et globalement de nombreux secteurs de l’économie. Tous les continents et tous les pays ont été ravagés par elle. Le PIB des États-Unis devrait chuter de 10 % au deuxième trimestre, tandis que d’autres estimations annoncent une chute encore plus marquée. La Chine a enregistré une contraction de près de 7 % au premier trimestre selon les chiffres officiels. Une récession qui ne frapperait que les deux économies les plus puissantes aurait déjà des conséquences dévastatrices. Mais le troisième bloc économique impérialiste, l’Europe, a également été aspiré dans cet effondrement mondial synchronisé.

L’économie allemande s’est contractée de 1,9 % au premier trimestre 2020 et devrait encore se contracter de 12,2 % au deuxième trimestre. Ce moteur des économies européennes devrait se contracter d’au moins 6,6 % au total en 2020. En Grande-Bretagne, la Banque d’Angleterre s’attend maintenant à ce que l’économie se contracte de 14 % – la plus profonde récession depuis 300 ans. La dernière fois qu’un tel déclin annuel a eu lieu, c’était en 1709, lorsque l’économie a été anéantie par le « Grand hiver » qui a frappé l’Europe à cette époque.

Comme nous l’avons expliqué dans de précédentes déclarations, cela entraînera un tsunami de licenciements et des niveaux de chômage vertigineux. En une semaine, plus de 3 millions de travailleurs aux États-Unis ont demandé des allocations de chômage ; 33 millions de travailleurs américains se sont inscrits au chômage en sept semaines. De nombreux commentateurs américains pensent que le taux de chômage réel a déjà atteint 20 %.

La croissance explosive du chômage dans le monde est telle que l’Organisation internationale du travail (OIT) prévoit que, dans le secteur informel, plus de 1,6 milliard de travailleurs sont menacés de perdre leurs moyens de subsistance. Cela sur un total de 3,3 milliards de travailleurs dans le monde. En d’autres termes, 50 % de la main-d’œuvre mondiale n’aura plus de travail. Les conséquences sociales de ces évolutions provoqueront révolutions et contre-révolutions au fur et à mesure que la crise se développera.

Comme nous l’avons expliqué dans de précédentes déclarations, la classe capitaliste, lorsqu’elle a été confrontée à ces événements, a tout tenté face à cette crise pour essayer d’éviter un effondrement total. Le capitalisme néo-libéral de libre marché et de laissez-faire avec une intervention minimale de l’État a été abandonné en un clin d’œil. Des plans d’urgence massifs ont été mis en place et l’État contraint d’agir.

Bien qu’il existe des différences importantes, le principal point de référence historique de la crise actuelle est la Grande Dépression des années 1930. Le marasme auquel le capitalisme était confronté à cette époque a été surmonté par une guerre qui a reconfiguré les relations mondiales. Le massacre des forces productives observé dans les années 1930 a été surmonté par une augmentation massive de la production d’armement et des secteurs connexes de l’économie, et le « New Deal » aux États-Unis a donné un coup de fouet à son économie. L’adoption, après 1945, de politiques keynésiennes et du plan Marshall a contribué à la reprise capitaliste en Europe et a ouvert la voie à l’essor du capitalisme d’après-guerre. Dans cette crise, rien de tel ne se produit. Cette crise se développe dans un contexte historique totalement différent de celui qui existait dans les années 1930 et le boom capitaliste d’après 1945.

L’État a été contraint d’intervenir pour tenter de gérer la crise et empêcher un effondrement total. Toutefois, il s’agit de mesures visant à essayer de gérer la crise et qui ne la résoudront pas. Ils ont suivi le conseil que Keynes a donné à Roosevelt dans une lettre ouverte publiée dans le New York Times en décembre 1933, lorsqu’il a écrit : « Vous vous êtes fait le mandataire de tous ceux qui, tous les pays, cherchent à mettre fin aux démons de notre condition par une expérience raisonnée, envisagée à l’intérieur de la structure du système social existant. Si vous échouez, le changement rationnel subira un préjudice grave, à travers le monde, laissant à l’orthodoxie et à la révolution le champ libre pour le combattre ».

Les politiques keynésiennes mises à l’épreuve

Maintenant, ces politiques « keynésiennes » vont être mises à l’épreuve. Les interventions publiques qui ont eu lieu dans les pays capitalistes avancés ont soutenu les entreprises en licenciant de larges pans de la main-d’œuvre et en prenant d’autres mesures, notamment en accordant des prêts massifs aux entreprises. Cela a permis d’éviter un effondrement total par un gonflement massif de la bulle de la dette qui entraînera des pressions déflationnistes à court terme. À un moment donné, cette bulle va inévitablement éclater. Le capitalisme a déjà été massivement gêné face à cet embrasement par les tendances à la démondialisation qui s’accéléraient à l’approche de cette crise avec la montée des politiques protectionnistes nationalistes. Celles-ci ont été renforcées au cours de la tourmente de ces derniers mois.

L’idée d’un « revenu de base universel » a été soulevée par certains comme moyen de faire face à la menace du chômage de masse et des bas salaires. Le gouvernement espagnol a annoncé qu’il prévoyait d’en introduire une forme. Certaines sections de la gauche l’ont soutenu comme un moyen de réduire la pauvreté et les bas salaires. Naturellement, certains travailleurs et certains jeunes l’ont également soutenue. Cependant, si elle est introduite dans certains pays, la classe capitaliste l’utilisera comme un moyen d’affaiblir ou de rompre les accords contractuels avec les syndicats et de faire baisser les salaires. Cela pourrait être utilisée pour faire face à l’armée du chômage de masse, mais pourrait aussi profiter à certaines sections de la classe capitaliste en faisant baisser le niveau général des salaires de la classe ouvrière. Le CIO oppose à cela la revendication de salaires et de conditions de travail décents, la répartition du travail sans perte de salaire, et l’introduction d’un niveau d’indemnités de chômage, de prestations sociales et de pension équivalent à un salaire minimum décent.

La crise de la dette

Certains commentateurs se sont réjouis de la montée de la spéculation à la bourse de Wall Street. Mais cela est sans commune mesure avec la dévastation qui frappe la plupart des Américains sur Main Street. Cette hausse est en grande partie due à l’intervention de la Réserve fédérale pour soutenir les entreprises qui étaient sur le point de rentrer dans le mur. Elle est intervenue pour racheter des dettes d’entreprises à une échelle inimaginable, notamment en achetant des obligations à hauts risques. Les entreprises américaines ont émis pour 560 milliards de dollars d’obligations au cours des six dernières semaines.

L’explosion du financement des déficits et de la dette accumulée est un élément crucial de l’économie mondiale. Le ratio de la dette US au PIB s’élève actuellement à 110 %. Le ratio dette/PIB de l’Italie a déjà atteint 135 % et risque de monter en flèche jusqu’à 155 %. Le FMI s’attend à ce que le ratio moyen dette/PIB des pays capitalistes industrialisés atteigne 120 % dans la période à venir. Une nouvelle intervention de l’État est encore probable dans de nombreuses grandes puissances capitalistes s’il est nécessaire d’essayer d’éviter un effondrement et/ou les explosions révolutionnaires.

Cependant, si les principaux pays capitalistes industrialisés peuvent tolérer cela pendant un certain temps pour gérer cette crise, ils présenteront la facture plus tard à la classe ouvrière. Cela déclenchera des luttes de classe massives.

Pourtant, c’est une toute autre affaire dans les pays néocoloniaux. Récemment, l’Argentine, qui se dirige vers son neuvième défaut de paiement depuis son indépendance en 1816, a partiellement suspendu le remboursement de sa dette. Cela montre bien que la question du remboursement de la dette dans le monde néocolonial va devenir une question cruciale. La revendication de refus de paiement de la dette et la nationalisation des banques sont un élément clé du programme du CIO dans ces pays.

La profondeur de la crise actuelle est telle que la classe capitaliste pourrait être contrainte d’aller encore plus loin en prenant des mesures sans précédent pour accroître l’intervention de l’État. Si la récession économique devait s’aggraver et se transformer en un marasme prolongé, il n’est pas exclu que de grandes parties de l’économie, même plus de 50 %, soient effectivement nationalisées sur une base capitaliste. Cela s’est produit dans le passé dans le monde néocolonial, mais généralement pas dans l’Ouest impérialiste.

Que nous réserve l’avenir ?

Les mesures keynésiennes d’intervention de l’État n’ont pas résolu la crise sous-jacente qui émergeait avant même que la pandémie ne frappe. Les licenciements massifs dans l’industrie aérienne et dans d’autres secteurs sont un précurseur de ce qui va se produire dans d’autres secteurs de l’économie mondiale.

Certains commentateurs capitalistes espèrent avec optimisme que la récession/dépression qui fait rage dans l’économie mondiale sera suivie d’un rebond rapide – une reprise en forme de « V » – ou d’un « U » avec une courte période d’activité faible avant la reprise. Même dans l’hypothèse la plus optimiste où le Covid-19 serait contrôlé par un vaccin ou des traitements, il s’agit là d’un vœu pieux qui minimise les contradictions, les tendances et les caractéristiques actuelles. Bien qu’il y ait inévitablement une certaine augmentation de la production après les fermetures pendant le confinement, elle ne reviendra pas au niveau pré-pandémique.

Un rebond technique est peut-être un scénario plus probable pour les années à venir. Bien qu’une « croissance » courte et anémique soit possible, elle ne peut ni être soutenue, ni conduire à une reprise durable de l’économie. Même s’il y a une légère reprise en « U » en 2021, tous les facteurs présents dans l’économie indiquent maintenant qu’une récession ou une dépression plus profonde se développera tout au long des années 2020, avec éventuellement des périodes intermittentes de « reprise » peu profondes et non soutenues pendant de courtes périodes. Comme nous l’avons souligné dans d’autres documents antérieurs à la pandémie, il a fallu une décennie ou plus à l’économie mondiale pour revenir tout juste aux niveaux d’avant la crise de 2007/2008.

Les niveaux massifs d’endettement, tant public que privé, associés à la perte ou à la réduction des revenus de millions de personnes peuvent entraîner des défauts de paiement massifs de dettes privées et des faillites. La perte de revenus, d’économies et les craintes pour l’avenir réduisent le marché, ce qui rend les consommateurs d’autant plus prudents lorsqu’ils dépensent tout ce qu’ils peuvent avoir. La baisse des revenus dans le seul secteur informel réduira le marché. L’OIT estime que dans le secteur informel, en Amérique et en Afrique, les revenus baisseront de 81 %, en Asie-Pacifique de 21,6 % et en Europe et en Asie centrale de 70 %. L’absence de nouveaux marchés, due à l’augmentation de la pauvreté, au chômage de masse et à l’écart de richesse croissant entre les riches et les pauvres, laisse présager une récession/dépression plus longue. À cela s’ajoutent les tensions commerciales croissantes, les affrontements entre les États-Unis et la Chine et le rythme accéléré de la mondialisation de l’économie. Tous ces éléments indiquent clairement qu’une véritable reprise est loin d’être une perspective probable. Nous l’avons expliqué dans notre analyse précédente.

La compréhension de ces facteurs et d’autres encore, ainsi que de la pandémie, a également conduit l’économiste Nouriel Roubini à conclure qu’une récession en forme de « L » est plus probable et qu’elle « menace maintenant d’alimenter une gigantesque tempête qui plongera l’ensemble de l’économie mondiale dans une décennie de désespoir ». [Voir l’article (en anglais) : Dix raisons pour lesquelles une « Grande Dépression » pour les années 2020 est inévitable », sur le site du Guardian, 29 avril]

Deux tendances se dessinent au sein de l’économie capitaliste. Certaines sections des forces productives sont massacrées et vont dans le mur. De nombreuses entreprises finiront par disparaître. La perspective de faillite des petites entreprises conduira à une monopolisation encore plus grande dans certains secteurs de l’économie. D’autres secteurs comme la distribution s’envolent, Amazon et d’autres réalisant des profits massifs.

Certains commentateurs ont évoqué la perspective d’un investissement massif dans l’économie verte comme moyen de relancer l’économie. Un élément de cela est déjà en cours dans certains pays et pourrait aller plus loin avec, par exemple, des incitations de l’État à remplacer les véhicules fonctionnant à l’essence. L’industrie des combustibles fossiles est en grande difficulté. Toutefois, cette situation a ses limites et il est très peu probable qu’elle se produise à l’échelle mondiale et ne suffira pas à relancer l’économie mondiale, ni à ouvrir la voie à une reprise rapide ou prolongée du capitalisme. La démondialisation de l’économie, le protectionnisme national, l’action de chaque classe capitaliste pour défendre ses propres intérêts et l’absence de marché empêcheront que cela ne devienne une stratégie de sortie pour surmonter la période de dépression dans laquelle le capitalisme est maintenant emprisonné.

La tendance de certaines puissances impérialistes à « rapatrier » la production des pays à main-d’œuvre bon marché a peu de chances de profiter de manière significative aux économies nationales concernées. Un changement de localisation s’accompagnera d’une automatisation accrue et de tentatives d’abaisser les conditions de travail, ce qui pourrait réduire le marché intérieur ou une partie de celui-ci en conséquence.

Une nouvelle ère de crise capitaliste profonde s’est ouverte. La pandémie de coronavirus a rapidement accéléré toutes les tendances qui étaient auparavant présentes et se développent dans tous les aspects de la société, au niveau national et mondial. Cela s’applique à l’utilisation de la technologie, aux pratiques de travail et à certains aspects du fonctionnement de la société. Le remplacement rapide de l’utilisation de l’argent en liquide comme moyen de paiement par des transactions par carte, en particulier dans les pays industrialisés, en est une caractéristique. De nombreux employés qui ont « travaillé à domicile » ont connu un niveau d’exploitation accru, en particulier des heures de travail plus longues. Au sortir de la pandémie, la classe capitaliste se prépare à l’utiliser pour attaquer les conditions de travail et accroître l’exploitation des classes ouvrières et moyennes.

Défendre les droits démocratiques

Le CIO a soutenu et soutient toutes les mesures prises pour défendre la santé et la sécurité de tous les peuples. Toute mesure doit être soumise au contrôle démocratique des travailleurs. Pourtant, comme nous l’avons commenté, la classe dirigeante a utilisé cette crise pour introduire des mesures répressives et autoritaires. Au Salvador, le président, Nayib Bukele, a pénétré dans le Congrès (contrôlé par le FMLN) avec un détachement armé de soldats, a occupé le siège du président et l’a effectivement dispersé.

Le recours accru à la surveillance et aux mesures autoritaires répressives par l’État sera une caractéristique du monde de l’après-Coronavirus. Les images dystopiques qui rappellent le film « Total Recall », un chien robotisé patrouillant dans le parc Bishan-Ang Mo Kio à Singapour, mesurant la distance entre les gens et enregistrant ceux qui enfreignent les règles de distanciation sociale, sont une indication de ce qui nous attend. La lutte pour défendre les droits démocratiques et s’opposer aux régimes autoritaires va prendre une importance accrue pour les travailleurs au niveau international.

De nouvelles relations mondiales entre les grandes puissances

Un nouvel ordre mondial capitaliste est en train d’émerger. Un réalignement des relations géopolitiques entre les grandes puissances impérialistes est en cours. Au sein des régions, les pouvoirs locaux cherchent à renforcer leur sphère d’influence ou à la développer. La perspective de guerres et de conflits régionaux, y compris ceux qui sont menés par procuration au nom de grandes puissances impérialistes, est inhérente à cette situation et à cette crise qui évolue rapidement.

L’élément central de cette relation géopolitique changeante entre les puissances est la position déclinante de l’impérialisme américain et l’émergence de la Chine capitaliste avec sa propre forme particulière de capitalisme d’État. L’ancien objectif de la « Pax Americana » en tant que seule puissance mondiale est mort dans les champs de bataille de l’Irak. L’impérialisme américain reste la force la plus puissante, mais elle diminue. La Chine a connu une croissance rapide de sa position en tant que puissance mondiale. En 2000, elle représentait 3,6 % du PIB mondial ; en 2020, ce chiffre était passé à 15,5 % ! Quatre des dix premières banques mondiales sont chinoises. La Chine est sur le point de sortir de cette crise dans une position renforcée au niveau mondial. On ne sait pas encore très bien dans quelle mesure les États-Unis sont affaiblis et la Chine renforcée, ni à quelle vitesse cette situation se développera. La position renforcée de la Chine peut également être stoppée ou traversée par des convulsions et des bouleversements sociaux au niveau national. Il est peu probable qu’une seule puissance sorte de cette crise comme un vainqueur incontestable.

Cette situation contraste fortement avec celle qui s’est développée à partir de la crise des années 1930 et de la situation post-1945. Après la fin de la guerre en 1945, les États-Unis sont clairement apparus comme la puissance impérialiste dominante. Elle a été contrebalancée par l’existence de l’ex-Union soviétique et des États staliniens. Aucun de ces facteurs n’est présent dans le déroulement de la crise. Un nouveau changement crucial dans l’équilibre mondial des pouvoirs est en train d’émerger.

Les tensions et les conflits croissants entre les États-Unis et la Chine ont été exacerbés pendant la pandémie. La « trêve commerciale » négociée début janvier entre Trump et Xi Jinping commence à s’effilocher et pourrait s’effondrer à mesure que les tensions s’accentuent. Les États-Unis cherchent maintenant à intensifier leur action économique contre la Chine. En particulier, Trump cherche maintenant à freiner les chaînes d’approvisionnement et les flux d’investissement. Il s’agit d’une politique extrêmement risquée qui peut infliger davantage de dommages à l’économie américaine à l’approche des élections de novembre.

Cette situation est en partie due à la campagne électorale américaine et à l’adoption par Trump d’une rhétorique nationaliste anti-chinoise pour détourner l’attention de la crise qui touche la société américaine. Pourtant, le soutien que cette situation reçoit de la part de nombreux démocrates montre qu’elle reflète également les pressions que subit l’impérialisme américain dans sa concurrence avec la Chine. Dans ce qui était considéré comme « l’arrière-cour » des États-Unis, l’Amérique latine et l’Amérique centrale, l’impérialisme américain a été repoussé à mesure que la Chine étendait son influence. Il y a maintenant un conflit ouvert entre les deux puissances pour l’influence dans la région. Cela est illustré par l’intervention bâclée des mercenaires américains au Venezuela, qui rappelle le plus grave fiasco de la Baie des Cochons à Cuba en 1961, lorsque l’impérialisme américain a échoué dans ses tentatives de renverser le régime de Fidel Castro. La Chine a soutenu Chavez et Maduro, en envoyant du matériel au Venezuela. Elle a également brisé l’embargo américain sur Cuba.

Dans la mer de Chine méridionale, les tensions militaires se sont intensifiées, mais pas au point de déboucher sur un conflit ouvert à ce stade. La Chine a occupé et fortifié des hauts-fonds et des récifs contestés. Ses manœuvres navales ont augmenté, tout comme les présences navales américaines et australiennes dans la région. La Chine a également testé les défenses de Taïwan par des sorties aériennes et a entrepris en mars son premier exercice nocturne. Ni la Chine ni les États-Unis ne cherchent la guerre à ce stade, mais des explosions et des échanges accidentels ne sont pas à exclure. Il est clair que cela ne ferait qu’accroître considérablement les tensions.

La rapidité et la profondeur de la crise du Covid-19 ont accéléré l’évolution des relations et de l’équilibre des pouvoirs dans de nombreuses régions du monde. La Russie, bien qu’elle ait renforcé sa sphère d’influence au Moyen-Orient, n’a pas été en mesure de tirer profit de la crise actuelle. Poutine est également confronté à une situation intérieure plus incertaine et potentiellement explosive. Comme les autres États du Golfe, l’Arabie saoudite a été ravagée par l’effondrement des prix du pétrole et présente aujourd’hui un déficit budgétaire de 61 milliards de dollars US, ce qui l’oblige à procéder à des coupes dans les dépenses de l’État. Les tensions croissantes entre elle et les États-Unis modifient son rôle passé de puissance américaine par procuration dans la région. Le récent retrait des missiles américains et d’une partie du personnel militaire en est le reflet. Dans le même temps, l’Arabie saoudite a mis un terme à l’amélioration de ses relations avec Israël, en grande partie en raison de son opposition commune à l’Iran.

En Europe, l’impact de la crise a continué à menacer la zone euro et même l’UE telle qu’elle est actuellement constituée. L’incapacité à obtenir un accord entre les puissances européennes sur l’émission de « Coronabonds » comme moyen de répartir le coût de la crise, comme le proposent l’Espagne et l’Italie, reflète le fossé qui s’ouvre rapidement entre le nord et le sud au sein de l’UE. Un avertissement inquiétant pour l’UE est également apparu avec la récente décision de la Cour constitutionnelle allemande, qui a remis en question une décision prise par la BCE en 2015 concernant son programme d’assouplissement quantitatif (programme d’achat du secteur public). Cette décision n’aura pas de répercussions immédiates mais reflète les tensions accrues qui se développent.

Polarisation et radicalisation politiques

Ces développements ouvrent un nouveau chapitre dans l’histoire du capitalisme et de l’humanité. Une période explosive s’ouvre maintenant pour le capitalisme mondial. Une polarisation et une radicalisation politiques se développent d’une manière qui n’a pas été vue depuis des décennies, certainement depuis les années 1930. Elle survient à la suite de la crise de 2007-2008 et de ses conséquences amères, à savoir un niveau de vie largement stagnant ou en baisse, et une concentration massive de richesses entre les mains des capitalistes oligarques super-riches. La bataille entre les classes va s’engager dans les mois et les années à venir de la manière la plus brutale jamais vue depuis des décennies. Elle comportera des caractéristiques de révolution et de contre-révolution, mais aussi de désintégration sociale. Les protestations de masse et les mouvements révolutionnaires qui se sont développés au Liban et à Hong Kong ont continué ou ont repris. Au Chili, de petites manifestations ont commencé, ce qui est un signe avant-coureur d’un nouvel essor du mouvement. Des mouvements plus importants vont certainement éclater dans d’autres pays à la suite de cette crise.

Les éléments de guerre civile qui se développent aux États-Unis et contre lesquels nous avions émis des mises en garde ont été vus dans les manifestations armées dans le Michigan contre le gouverneur de l’État. Les images de sénateurs démocrates de l’État siégeant dans la chambre portant des gilets pare-balles, dont un arrivant au Congrès d’État entouré d’une garde armée, indiquent la polarisation qui a déjà lieu.

La profondeur de cette crise posera de manière encore plus aiguë l’importance du facteur subjectif de la direction et des organisations de la classe ouvrière. Il est maintenant urgent de forger les forces autour desquelles de grands partis socialistes révolutionnaires peuvent être construits. La construction de syndicats comme des organisations de lutte de la classe ouvrière, ainsi que la nécessité de partis de masse de la classe ouvrière avec des politiques pour le socialisme, se posent maintenant de la manière la plus urgente. L’autorité des classes dominantes a été sapée et affaiblie au cours de la dernière décennie. La crise actuelle va intensifier cette tendance.

Aux États-Unis, l’intérêt pour les idées socialistes est très répandu. Cela peut se développer dans d’autres pays en conséquence de la crise. Dans le même temps, les dirigeants de la « gauche » officielle et des syndicats pendant cette pandémie n’ont pas réussi, dans l’ensemble, à offrir une alternative à la classe capitaliste et à ses dirigeants politiques. La droite populiste dans certains pays tente d’exploiter la situation qui doit être combattue avec des socialistes défendant audacieusement les intérêts des travailleurs et un programme de rupture avec le capitalisme. La possibilité de construire des partis socialistes révolutionnaires forts et puissants sera présentée au CIO et à d’autres. Une analyse complète de la situation objective et de l’époque dans laquelle le capitalisme est entré, traçant chaque tournant, et un programme audacieux pour rompre avec la barbarie du capitalisme et établir une alternative socialiste, est maintenant une nécessité essentielle.