États-Unis : formidable mouvement antiraciste après l’assassinat de George Floyd par la police

Le 25 mai 2020, la police de Minneapolis a asphyxié George Floyd, un homme noir, désarmé, causant sa mort. Cela rappelle de façon troublante celle d’Eric Garner, tué par la police de New York en 2014. Une vidéo enregistrée par les témoins a été diffusée, qui montre Floyd en train de répéter « Je ne peux pas respirer » (« I can’t breathe »), alors que le policier Derek Chauvin lui a écrasé le cou pendant près de dix minutes.

Par Jai Chavis et Nicholas Wurst, de l’Independent Socialist Group, organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire aux États-Unis, publié sur socialistworld.net le 29 mai 2020

La mort de Floyd a déclenché de grandes journées de manifestations à Minneapolis, qui continuent encore. La police a aggravé le conflit en tirant des balles en caoutchouc, en envoyant grenades assourdissantes et gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants, qui étaient au départ pacifiques. Cette réponse violente à des manifestations non armées contraste fortement avec la façon dont la police « réagit », sans intervention et sans confrontation, à des manifestations anti-confinement lourdement armées et surtout composés de personnes blanches.

Le policier Chauvin a fait l’objet d’une douzaine de plaintes pour abus de pouvoir, notamment pour usage excessif de la force, qui ont été classées confidentielles. Il a été impliqué dans une fusillade mortelle pour laquelle il n’a reçu aucune sanction disciplinaire. Mais Chauvin n’est pas une « brebis galeuse » isolée – il fait partie d’un système corrompu et raciste.

Les politiciens du Parti démocrate qui dirigent Minneapolis depuis des années n’ont pris aucune mesure significative contre les violences policières et les incarcérations de masse. La candidate à la vice-présidence du parti démocrate, Amy Klobuchar, a été procureure en chef du comté de Hennepin – qui comprend Minneapolis – pendant huit ans. Pendant son mandat, Amy Klobuchar n’a porté aucune accusation au pénal contre les agents impliqués dans la mort de 29 civils et a préféré privilégier une position « anti-criminalité dure » pour gagner le soutien des habitants plus conservateurs de Minneapolis.

La mort de George Floyd survient après les récents meurtres très médiatisés de personnes noires par la police et les forces de droite. Breonna Taylor, une femme noire, non armée, technicienne médicale d’urgence, a été abattue dans le Kentucky le 13 mars par la police qui est entrée dans son appartement lors d’une perquisition sans notification préalable. Ahmaud Arbery, un homme noir non armé, a été tué pendant son jogging dans l’État de Géorgie le 23 février par deux hommes, dont l’un était un ancien policier. Ce meurtre a été passé sous silence pendant plus de deux mois, jusqu’à ce que les preuves vidéo du lynchage soient révélées.

Après l’acquittement de George Zimmerman, qui avait abattu l’adolescent noir Trayvon Martin en 2012, un mouvement sous le hashtag Black Lives Matter (BLM) a émergé sur les réseaux sociaux. Black Lives Matter est devenu un mouvement national, avec une présence active sur le terrain après que les meurtres de Michael Brown et d’Eric Garner en 2014 ont déclenché d’immenses manifestations et émeutes appelant à la fin des violences policières et du racisme. Un réseau national a été créé. Mais sans programme commun ni structures organisationnelles pour discuter et débattre, le mouvement s’est éteint en 2017.

Les leçons de la lutte pour les droits civiques et de Black Lives Matter

Il est crucial que Black Lives Matter (BLM), ou toute nouvelle bannière qui pourrait émerger au cours de la période actuelle, applique les leçons du mouvement des droits civiques et de l’histoire récente de BLM même. Le mouvement des droits civiques avait commis l’erreur fondamentale de s’appuyer sur le Parti démocrate, transformant ainsi le mouvement dans les rues – qui a obtenu d’énormes gains – en une forte augmentation du vote qui a porté les Démocrates au pouvoir. Ces mêmes démocrates ont par la suite trahi le mouvement. Cette expérience avait conduit Martin Luther King et Malcolm X à en conclure que la lutte contre le racisme passe par la lutte contre le capitalisme.

Aujourd’hui, la plupart des grandes villes, et donc leur police municipale et les services du ministère public, sont contrôlés par les démocrates, dont la rhétorique sur la justice raciale est souvent contredite par leurs agissements lorsqu’ils sont au pouvoir. De nombreux responsables politiques du Parti démocrate ont mené des politiques racistes. Hillary Clinton a été l’architecte du projet de loi sur la criminalité de 1994 qui a étendu le flicage raciste et a facilité l’incarcération de masse moderne. Le candidat à la présidence, Biden, s’est activement opposé à la déségrégation des écoles et a été un ardent défenseur du projet de loi de Clinton de 1994 sur la criminalité. Au cours de ses huit années de présidence, Obama n’a jamais proposé de réforme significative de la justice pénale. Malgré tout cela, certaines composantes de BLM ont quand même soutenu Hillary Clinton en 2016.

Les politiques racistes menées par le parti démocrate ont préparé le terrain à la rhétorique « anti-criminalité dure » sur laquelle Trump se fonde aujourd’hui pour étayer ses politiques racistes et consolider sa base conservatrice. Trump et les Républicains ont adopté un ton raciste dans leur propagande, en encourageant l’incarcération de masse, la brutalité policière et le racisme anti-immigrants, en multipliant les descentes violentes de la police aux frontière (ICE) en incarcérant massivement les immigrants.

Les deux partis, Républicains et Démocrates, utilisent le racisme – avec des appels plus ou moins bien camouflés – pour jouer sur et augmenter les craintes basés sur des préjugés racistes de nombreux électeurs blancs. En réalité, le racisme ne profite pas aux travailleurs blancs. Les capitalistes réalisent leurs énormes profits en convainquant la classe ouvrière de se battre contre elle-même, que ce soit par le racisme, le sexisme ou à travers toute autre forme de préjugés. En blâmant les travailleurs blancs, noirs, immigrés, hommes ou femmes pour les problèmes des autres, les capitalistes peuvent continuer à nous exploiter, à faire baisser les salaires, à privatiser les services publics et à abaisser le niveau de vie.

Comme l’a si bien dit Malcom X : « Il n’y a pas de capitalisme sans racisme ». Le capitalisme [aux Etats-Unis] est un système construit sur le dos des esclaves et le génocide des peuples indigènes. Il ne mettra pas fin au racisme tout seul. Nous avons besoin d’un nouveau parti dirigé par et pour les travailleurs, libre de toute influence des grandes entreprises, qui puisse se consacrer à la lutte contre toutes les formes de sectarisme et contre l’exploitation capitaliste. Un tel parti pourrait aider à construire un mouvement de lutte contre le racisme à partir des récentes mobilisations.

Pour gagner, le mouvement doit proposer un programme audacieux qui remette en question les fondements racistes du capitalisme et qui unisse la classe ouvrière en luttant pour les acquis dont nous avons tous besoin : un salaire minimum décent, un logement abordable, des soins de santé universels, la fin des discriminations et de la violence. Il a besoin de structures démocratiques où les membres peuvent débattre, décider et contrôler le mouvement et ses représentants. Le Mouvement pour les Vies Noires (Movement for Black Lives ou M4BL) a avancé dans la bonne direction en proposant un programme concret. Mais sans remettre en cause le système de profit, les gains obtenus par M4BL seront anéantis par les capitalistes. La lutte contre le racisme systémique ne peut être gagnée pour de bon qu’en luttant pour un nouveau monde socialiste.

Explosion de colère

Les récentes émeutes sont une explosion de colère face à tous les problèmes et à la violence auxquels sont confrontées notamment les personnes noires, latinos ou asiatiques. Cette colère a été affûtée par l’impact démesuré de la récente crise économique et sanitaire. Bien que les émeutes ne soient pas une réponse efficace à l’oppression, Martin Luther King a bien décrit leur nature : « Je pense qu’il faut voir qu’une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus. Et donc, qu’est-ce c’est que l’Amérique n’a pas entendu ? Elle n’a pas entendu que la détresse économique des noirs pauvres s’est aggravée ces dernières années. Elle n’a pas entendu que les promesses de liberté et de justice n’ont pas été tenues. Et elle n’a pas entendu que de larges pans de la société blanche sont plus préoccupés par la tranquillité et le statu quo que par la justice, l’égalité et l’humanité. »

L’indignation manifestée lors de ces émeutes peut être organisée en un mouvement puissant si on lui donne une structure et un programme pour s’unir. Les pillages et le vandalisme sapent le mouvement et servent à justifier les réactions violentes des capitalistes et de la police. Mais la classe capitaliste est coupable d’un crime bien plus grave : celui de limiter la possibilité de satisfaire ses besoins vitaux pour faire du profit ! Avec un mouvement organisé, impliquant les syndicats et un parti des travailleurs, nous pourrions redistribuer le logement, la nourriture et les produits de première nécessité en nationalisant les industries clés et en finançant entièrement les programmes sociaux. La pandémie a mis en évidence le fait que les travailleurs sont « essentiels » pour faire fonctionner la société. Cela signifie que nous avons également le pouvoir de mettre fin au capitalisme et de reconstruire une société qui fait passer le bien-être des gens avant les profits.

La première étape consiste à impliquer la classe ouvrière organisée dans la lutte contre le racisme. Les travailleurs syndiqués doivent adopter des résolutions de soutien au mouvement – comme l’a fait la section locale du syndicat des transports (ATU local 1005) à Minneapolis – et organiser des manifestations, des rassemblements, des occupations et des grèves antiracistes. Les personnes de toutes origines et couleurs qui sont sérieusement prêtes à soutenir la lutte contre le racisme devraient être incluses dans l’organisation et la planification du mouvement antiraciste.

Independent Socialist Group revendique :

  • que soient reconnus coupables du meurtre de George Floyd le policier Chauvin et tous les agents impliqués dans sa mort ;
  • fin du profilage racial et des fouilles au corps, renvoi des policiers racistes ;
  • contrôle de la police par la communauté par le biais de comités démocratiquement élus de travailleurs et d’habitants, avec des pouvoirs d’embauche et de révocation, de modification et de création de législations, avec autorité pour mener des enquêtes indépendantes sur les cas de fautes policières ;
  • démilitarisation de la police. Stop au gaspillage des fonds publics pour la technologie militaire et l’armement des services de police. Investissement dans les logements abordables, soins de santé universels, transports publics, écoles publiques, emplois verts et d’autres programmes sociaux et services publics.

Independent Socialist Group appelle à :

  • Pour un mouvement antiraciste organisé et un programme de combat pour soutenir la lutte contre la violence policière et d’autres formes de racisme systémique. Pour des structures démocratiques permettant de discuter et de débattre de la stratégie et des tactiques.
  • Pour une coordination avec les syndicats et leur implication dans les luttes antiracistes. La solidarité contre le racisme et toutes les formes d’oppression doit être un point clé de la lutte pour l’ensemble du mouvement ouvrier !
  • Pour l’organisation de manifestations, d’occupations et de grèves coordonnées, en se défendant contre les agressions policières si nécessaire, mais en évitant les pillages et le vandalisme, inefficaces. Nous devons donner à notre colère contre la violence systémique commise par la police une expression organisée et efficace basée sur les meilleures tactiques qui encouragent une participation maximale.
  • Pour l’union des travailleurs de toutes les origines et couleurs dans la lutte contre le capitalisme et l’inégalité et la violence racistes sur lesquelles il a été fondé. Pour la solidarité internationale contre la discrimination et l’impérialisme, et pour la solidarité socialiste !