Une vague de solidarité que l’Etat d’Urgence et le racisme n’ont pas réussi à stopper

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manifestation de lyceens au mans le 16 novembre-2015

Après le choc terrible que représente le meurtre de masse provoqué par les attentats du 13 novembre à Paris et Saint Denis, la réaction de masse a été rapide. Entre le chagrin et la douleur, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui ont tenu à ne pas céder à la peur et à l’isolement.
Bien souvent, ce sont les lycéens qui ont, dans des dizaines de ville de Narbonne à Strasbourg, qui ont soit débordé les minutes de silence soit organisé des rassemblements-manifs de recueillement. Les attentats contre Charlie Hebdo avaient mobilisé une couche plus âgée, revendiquant à la fois la liberté d’expression et se refusant au racisme. Le gouvernement, dépassé n’avait pu qu’essayer de récupérer sans y réussir. Son unité nationale n’était qu’un slogan creux. D’une part les différents camps politiciens étaient plus pressés de tirer profit du drame, d’autre part, beaucoup parmi ceux et celles qui commémoraient les morts de janvier se méfiaient de cette « unité nationale » qui auraient voulu dire se taire devant la politique anti-sociale du gouvernement.

Après cette récupération ratée en janvier, changement de tactique

Là Valls et Hollande ont tenté, avec l’Etat d’Urgence et les appels à la sécurité, de museler la « gauche » et d’empêcher les manifestations. Ils n’y ont que partiellement réussi. Quelques grèves et manifs annulées, mais aucun réel sentiment de confiance en eux. Cela ne veut pas dire que la peur ou le chocs soient absents, ni que des graves entraves aux luttes et aux libertés ne soient pas en cours. Ni non plus qu’une partie de la population, fort logiquement effrayée par la barbarie des terroristes, n’apporte pas un certain soutien aux mesures prises.
Mais une partie de la population n’a pas eu envie de céder à la peur, ni aux discours nationalistes. De fait, c’est en défendant la fraternité et la tolérance que des milliers de personnes sont descendues dans les rues. Les monstrueux attentats du 13 novembre ont engendré une vague de choc et de compassion, tout autant qu’une volonté de comprendre et de se rassembler.

La gauche militante aurait pu mieux faire

Tout de suite focalisée sur l’Etat d’urgence, une bonne partie des organisations militantes a laissé se faire sans elle la plupart des manifestations de solidarité. Cherchait-elle à y voir une confirmation que tout va mal et que les idées de droite avancent, comme certains l’avaient écrit sur les mobilisations de janvier ? Toujours est-il qu’alors que les manifestations rendaient de fait l’Etat d’urgence inexistant dans les rues, le refus de participer aux manifestations et d’y apparaître a laissé un espace libre que parfois certaines forces de droite ont tenté d’occuper. Mais parmi la majorité des manifestants eux-mêmes, les idées dominantes n’étaient ni racistes, ni islamophobes. Ainsi, dès le samedi 14, à Lille ou à Metz, les groupes d’extrême droite venus scander avec force fumigène « islam hors d’Europe » se sont fait chasser aux cris de « dehors les fachos ».
Parfois, comme à Toulouse, il y a eu deux manifestations, l’une organisée par les élus de droite et du PS, l’autre par la gauche militante.

A Rouen, les hésitations ont malheureusement conduit à ce que la décision d’organiser une marche « contre la peur, nos solidarités » pour le samedi 21 novembre, soit prise trop tard. Une première marche avait été annoncée pour le vendredi 20 au soir. Les journaux ont dit qu’il y avait 3 000 manifestants mais en fait il y en avait bien 5 ou 6 000, très jeunes, venus pour l’écrasante majorité sans drapeaux tricolores. Mais du coup, des identitaires se sont propulsés à la tête de la manifestation de Rouen du vendredi 20.11 mais dans le mode le plus clandestin possible (ils s’appellent « Vague Normande »). Mais, non seulement les fachos n’ont rien fait, leur banderole étant sans aucun contenu politique de droite, mais en plus, ils n’ont pu empêcher que la manifestation scande « Liberté-égalité-fraternité », et surtout « Fraternité », un comble pour eux. C’était une manif de gens qui disaient « respect, unité », etc. rien de nationaliste ou de raciste. Et la marseillaise était plus du genre des stades de foot que de celle d’une manifestation de droite. Le vendredi donc, par la suite, les identitaires en ont clamé la paternité, ce qui, du coup, a scandalisé les manifestants d’être ainsi récupérés, et se retourne pas mal contre eux.

La gauche militante aurait largement pu organiser cette marche. On pouvait y croiser des gens qui y sont venus, mais ne voyant pas de banderole ou autre de gauche, n’y sont pas restés. Voire, au pire, elle aurait pu y venir avec un tract appelant à la deuxième manifestation de Rouen qu’elle organisait pour le samedi 21.11, comme nous l’avions proposé en deuxième possibilité. Hélas non… Cependant cela illustre un gâchis.

Le gâchis de l’absence de la gauche radicale dans les appels aux manifestations voire même seulement le gâchis de l’absence de sa participation aux multiples manifestations. Non seulement l’espace y était et y est encore tout ouvert pour elle, mais du coup la manifestation de samedi organisée par elle-même à Rouen est un peu minorisée alors qu’elle défendait des choses plus proche, notamment sur les « solidarités », de ce que pensaient une majorité de gens de vendredi que de ce que disent les fachos.

A la manifestation de samedi, il y avait 300-400 personnes en tout. Tous ne sont pas partis en manifestation du fait d’une grosse pluie et ce terrible vent humide de Normandie qui refroidit de partout. Côté état d’urgence, il n’y avait aucun dispositif de sécurité réel par la police hormis quelques jeeps de la bac. A la manifestation on a mis en musique » Imagine » de John Lenon et on a chanté un peu. Et puis on a scandé quelques slogans contre le terrorisme et le racisme, contre les guerres et la barbarie, un peu aussi contre l’Etat d’urgence. Mais les rues étaient assez vides, un contre coup de l’anxiété distillée durant la semaine. Pour autant, il n’y avait pas d’hostilité des passants même si le public croisé, plutôt des gens aisés de Rouen, n’étaient pas d’accord.

Par rapport au mois de janvier, c’est une couche plus large qui est venue à ce rassemblement politique de samedi, sans aucune difficulté à prendre les tracts. Cette couche aurait eu toute sa place à la manifestation de la veille, ce qui en aurait peut-être sensiblement changé le caractère et ce qui aurait permis de mettre en contact une couche plus large avec les idées exprimées le samedi.

Ca s’appelle une grosse occasion loupée par l’absence de direction politique réelle, par l’absence de politique… Cela montre à la fois la disponibilité qu’ont des couches larges à entrer en mouvement et le besoin d’avoir une véritable approche qui mêle de manière souple la dénonciation de la barbarie terroriste, du racisme et de la politique de l’anxiété permanente distillée par Valls, le FN et les Républicains.

La Gauche révolutionnaire continue de défendre de ne pas se laisser intimider ni diviser. C’est pour cela que nous avons été présents le 20 novembre pour ne pas laisser le champ libre à l’extrême droite et que nous avons activement préparé la manifestation du 21.
Il est clair que la propagande gouvernementale, très relayée par les médias, peut parfois marquer des points et finalement faire dominer l’inaction, elle-même source de peur. Mais la douleur et la solidarité ne lui appartiennent pas, au contraire, elles sont parmi les masses et nous en faisons partie. Les drapeaux ou la Marseillaise n’ont pas le même contenu parmi les masses et parmi les classes dirigeantes, d’autant plus quand la vague de fond des manifestations est faite de fraternité et de solidarité.

Il en est de même sur les lieux de travail, les universités où de nombreux débats ont lieu qui révèlent chaque fois la défiance vis à vis du gouvernement et des politiciens. Dans la situation actuelle, la bonne méthode consiste à ne pas hésiter à participer aux actions des larges couches de la population dont l’activité représente un rempart bien plus sur contre les dérives sécuritaires que des manifestations ultra minoritaires qui pourraient se satisfaire d’avoir des mots d’ordre très radicaux mais être complètement isolées de la population.

Alex Rouillard