Non, l’éducation n’est pas une marchandise !

« L’école sera le grand marché du XXIè siècle », prédisait Allègre avec gourmandise. Le groupe Vivendi veut mettre à profit ce principe et commence à investir dans le domaine de l’éducation en ligne, en créant un portail éducatif commercial sur Internet. Mille milliards de dollars, c’est le montant estimé du « marché » mondial annuel de l’éducation. De quoi exciter la convoitise du patronat pour qui l’éducation était encore il y a peu un secteur peu « exploité », malgré l’avance prise par exemple aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Article paru dans l’Egalité n°87

Les patrons mettent en place une double stratégie pour investir ce créneau :
– par un lobbying actif auprès des gouvernements et de la commission européenne, pour imposer des changements structuraux depuis l’intérieur du système (déréglementation, remise en cause des statuts et précarisation des personnels, adaptation des contenus d’enseignements aux besoins de divers groupes, introduction des méthodes de management du privé …).
– par l’extension des services « parascolaires », visant en premier lieu les parents, et sensés répondre aux « carences » du système éducatif. Ce marché était traditionnellement sur supports papier, livres ou cahiers, mais il s’étend largement avec Internet et les nouvelles technologies.

L’investissement de 26,6 millions d’euros que vient de sacrifier Vivendi à la création de son portail « education.com » (sans parler du rachat du nom de domaine) montre l’étendue des profits qu’il espère faire dans ce secteur. 280 000 abonnés sont visés pour fin 2002. Les recettes devraient provenir pour 46% du commerce en ligne des titres éducatifs de Vivendi (propriétaire de Larousse, Bordas, Nathan), 44% des abonnements à la partie payante du site et 10% de la publicité.

Sur le site, un « espace parents » pour « accompagner ses enfants sur le chemin de la réussite scolaire », un « espace enseignants » avec sa « salle des profs virtuelle » et des sondages (on en trouve partout décidément, des revues syndicales aux sites commerciaux…). Pas question de se chamailler avec « education.fr », le portail lancé par le Ministère. La responsable de ce secteur chez Vivendi ne manque pas de rappeler les bons termes qu’elle entretient avec l’Education nationale. « A partir du moment où l’Internet pénètre dans l’école, tous les élèves doivent pouvoir en bénéficier de manière égale, c’est la grande différence avec education.com, conçu comme un complément en dehors de l’établissement scolaire « . En décodant un peu, il faut comprendre : c’est bon, l’Education nationale a introduit les ordinateurs à l’école, à nous d’y vendre nos produits et d’en profiter pour étendre ce marché à la maison. Du parascolaire au télé-enseignement, la marche devrait être vite franchie…

Pour terminer, réfléchissons un peu à ce qu’en dit un des secrétaires généraux du SNES-FSU, Denis Paget : « Si l’Etat n’occupe pas les créneaux qui s’ouvrent, les opérateurs privés le feront, dans une logique nécessairement marchande ». Là encore, les grands esprits se rencontrent, si l’on se rappelle la création de l’officine « Edufrance » par le Ministère de l’Education Nationale, afin de vendre à l’étranger les compétences du secteur éducatif français. L’Etat, selon cette conception, ne s’oppose pas à la marchandisation de l’Ecole, mais y prend une part active. Encore Paget : « La meilleure façon de combattre la marchandisation de l’école, c’est que l’Etat offre le meilleur service, qu’il soit le modèle ». En voilà un qui est mûr, au moins du point de vue du vocabulaire, pour manager efficacement une entreprise éducative moderne…

Par Pascal Prégny