La grève, seul moyen de lutte pour les travailleurs ?

Les 20 dernières années ont vu reculer partiellement le nombre et la massivité des grèves. Face à l’offensive du patronat et du gouvernement, la grève serait elle devenue inutile ?

Article paru dans l’Egalité n°104

A l’heure de la mondialisation capitaliste, comme il y a 150 ans, le travailleur ne possède toujours rien d’autre que ses bras, sa force de travail pour vivre, voire survivre. Le seul moyen dont il dispose pour améliorer les conditions d’existence pour lui et sa famille, c’est de la vendre. Sans cet échange d’un travail contre un salaire, il ne peut prétendre à rien d’autre qu’une existence misérable.

Du point de vue bourgeois, un patron ne peut embaucher un ouvrier que si le fruit du travail de ce dernier est supérieur au salaire qui lui est versé. Un travailleur n’est embauché que s’il crée de la richesse pour son patron.

L’oppression capitaliste tient en cet échange inéquitable. Le travailleur n’a d’autre choix que d’exécuter une tache pour le compte d’un employeur qui plutôt que de lui donner pour salaire toute la valeur dégagée de son travail s’en réserve une partie pour son propre profit.

En cas de conflit, lorsque aucun accord ne semble acceptable pour les travailleurs, le dernier outil qu’ils ont pour se battre est la grève. Si cette arme de lutte ne se résumait qu’à arrêter le travail et perdre son salaire, ce serait bien dérisoire et complètement masochiste. Mais, si les ouvriers cessent le travail, alors les machines s’arrêtent de tourner et plus aucun produit (voitures, paquets de gâteaux, etc.) ne peut sortir pour être vendu et les bénéfices que le patron touche par employé n’existent plus. Pire encore pour lui, la matière première pour faire le produit en question est un investissement dont il ne peut être remboursé.

Les jours de grève sont les pires jours pour un patron. Et quand le conflit s’éternise… Ces jours là, il perd beaucoup d’argent. Tandis que la solidarité grandit entre les travailleurs en lutte, il se retrouve seul face à eux et coincé entre le patron client qu’il ne peut contenter et le patron fournisseur qui lui réclame de payer ses factures.

Ce rapport de force peut paraître plus évident lorsque l’on considère une usine et ses ouvriers, ou des vendeuses d’une chaîne de vêtements… Il le semble moins lorsqu’il s’agit de chauffeur de bus ou de postiers. Pourtant la logique est la même. Les conducteurs de bus transportent les travailleurs et leur force de travail. Quand le réseau de bus est paralysé, les patrons qui attendent les ouvriers le matin sont aussi paralysés. Quand les postiers sont en grève, c’est EDF, les assurances, etc. et leurs grands dirigeants qui attendent le paiement de leurs factures. Quand les électriciens d’EDF sont en grève pour lutter contre la privatisation et qu’en plus ils menacent de coupures de courant des réseaux industriels, c’est tout le patronat qui tremble. Voilà les raisons pour lesquelles la grève est une arme redoutable dans les mains de la classe ouvrière. Voilà pourquoi le gouvernement et le MEDEF veulent instaurer un service minimum comme à la SNCF par exemple.

Patrons et gouvernements en guerre contre le droit de grève

La violence patronale et gouvernementale s’explique par le fait qu’il est de plus en plus difficile de faire grève. La question de la grève a pris une certaine complexité. Lors de nombreuses grèves, les caisses de soutien, l’apport de solidarité extérieure sont devenues cruciales. Dans la grève de mai-juin dernier, trop peu de caisses ont été organisée alors que de nombreux salariés, gagnent moins que le Smic.

Avec l’aide des médias, les capitalistes cherchent à faire passer les grévistes pour des « preneurs d’otage ». On a vu cela lors du printemps dernier notamment quand les cheminots ou les agents de la RATP ont fait grève. Les médias ont profité de cette situation pour interviewer les travailleurs dépendants des transports en commun ou des membres des classes aisées bloqués dans leurs belles voitures. Cette criminalisation de la grève légitime le patronat et le gouvernement, qui se sentent prêts à accentuer leurs attaques. Mais qui défendra la qualité du service public si ce n’est ceux qui y travaillent ?

En Grande Bretagne d’énormes restrictions existent avec les lois anti-syndicales de Thatcher. Il faut un vote des salariés, avec une longue campagne où la direction a d’énormes moyens de pression pour déclencher une grève. Résultat : les grèves sont difficiles à organiser, et la dégradation des services, voire les privatisations y ont été plus loin qu’ailleurs avec les conséquences qu’on sait : accidents ferroviaires, queues dans les hôpitaux…

Il est évident que le doit de grève est remis en cause. Ce n’est pas par plaisir mais par nécessité, pour riposter aux attaques patronales ou gouvernementales, pour gagner de nouveaux droits, que les travailleurs font grève.

Le poids des défaites ou des grèves à faible résultat pèse également. Une grève vaincue, même si le patron perd beaucoup d’argent, est épuisante, et elle est souvent suivie d’une offensive du patronat qui compte profiter de la démoralisation.

La grève : une arme et une étape

Le recul temporaire du nombre de grève ces dernières années est partiellement dû à cela. Les travailleurs sont devenus méfiants vis à vis des dirigeants syndicaux qui ont freiné les grèves ou les ont emmené dans des voies sans issue. C’est précisément parce qu’il ne craignent pas de la part des syndicats une vraie stratégie que patrons et gouvernements sont si arrogants.

Tout est lié : les méthodes, les objectifs revendicatifs et surtout la stratégie globale qui doit être mise en place. Une grève, même  » spontanée « , ne doit pas être prise isolément. Chaque grève comporte trois objectifs : gagner la lutte immédiate, renforcer le rapport de force pour les années qui suivent par une meilleure unité des travailleurs, et préparer les travailleurs, notamment par la mise en place d’organes d’auto-organisation chaque fois que c’est nécessaire, à réellement en finir avec l’exploitation. C’est ce dernier aspect que les bureaucrates syndicaux ont le plus gommé de la conscience des travailleurs.

Tant que le capitalisme existera, les raisons de faire grève existeront : remise en cause systématique des acquis, ou aggravation de l’exploitation. Pour faire cesser cela il faut renverser le système qui en est l’origine et le remplacer par un système où l’économie est organisée démocratiquement par les travailleurs grâce à la propriété publique des moyens de production, pour la satisfaction des besoins de tous. En supprimant toute perspective socialiste de leur stratégie générale, les dirigeants staliniens ou réformistes ont retiré à la grève son sens le plus profond même s’il apparaît peu au quotidien. Avec eux, les grèves semblent un moyen utilisable de temps en temps, sans lien de l’une à l’autre. La démoralisation à l’issue d’une défaite est plus forte, et la fatigue s’accumule quand on se rend compte qu’il faut être en grève souvent.

Dans toute grève on doit se préparer à l’étape suivante de la lutte, savoir quelles peuvent être les conséquences des événements, et permettre à chacun de prendre les décisions qui s’imposent. Les tenants de la grève générale comme unique forme de lutte (qui  » oublient  » qu’après la grève il faudra retourner travailler), ceux qui pensent qu’il faut essayer d’éviter la grève font la même erreur : la grève est un moyen parmi d’autre mais le plus puissant, le plus à même d’unir les travailleurs pour lutter, et se préparer à renverser le capitalisme et ainsi se débarrasser de la perpétuelle remise en cause des acquis chèrement gagnés.

Par Sylvain Bled, Fatimah Ouadah et Alexandre Rouillard