EDF : le projet Hercule n’est que recul

Interview de David, travailleur EDF à la centrale de Cruas (07) et syndicaliste CGT

1. Quelles évolutions à EDF depuis que tu y travailles ?

J’ai commencé à travailler chez EDF en 2010. C’était déjà une SA (société par actions, depuis 2004) et faisait alors partie du CAC 40. 10 ans plus tard, les méthodes de management et d’organisation ont encore évolué pour aller vers une entreprise plus « capitaliste », dont l’objectif principal est de faire des bénéfices, reléguant notre mission de service public à un folklore passé. Cette évolution est proportionnelle à la diminution du nombre d’agents, EDF sous-traitant massivement pas mal de secteurs auparavant occupés par des agents EDF.

Cortège EDF-GDF à la manifestation contre les licenciements du 23 janvier 2021

2. Dans un contexte global de destruction des services publics que poursuit le gouvernement Macron, le secteur de l’énergie n’est malheureusement pas en reste. Peux-tu en quelques mots expliquer ce projet Hercule, ses échéances et ses conséquences ?

Le projet HERCULE est une suite logique de l’histoire de la libéralisation du marché de l’énergie et de son ouverture « forcée » à la concurrence faussée. Il s’agit de diviser EDF SA (actuellement entreprise privée mais détenue à plus de 80% par l’état actionnaire) en plusieurs parties :

  • une entreprise publique (EDF bleu) pour les centrales nucléaires (cette partie coûtant de l’argent, elle serait donc nationalisée)
  • une autre (EDF vert) cotée en Bourse pour la distribution d’électricité et les énergies renouvelables (cette partie ramène un maximum de bénéfices avec une prise de risque minime)
  • une troisième (EDF azur) qui coifferait les barrages hydroélectriques dont les concessions seraient mises en concurrence.

Un classique du genre néo-libéral, la privatisation des bénéfices et socialisation des pertes : les rapaces perchés attendent le découpage pour se jeter sur le bout le plus alléchant (précédemment financé par nous, nos parents, grands parents…).

Les conséquences, pour les agents EDF, vont être clairement un moins disant social (qui a déjà commencé depuis pas mal d’années) et la perte de notre statut d’agent EDF.

Pour autant, les conséquences seront surtout désastreuses pour les millions d’usagers français, qui verront le marché saturé d’offres incompréhensibles, bardés de distributeurs et de commerciaux multiples. La péréquation tarifaire (le fait de payer l’électricité partout le même prix en France) sera très probablement une histoire ancienne, les prix ne seront plus régulés par l’état mais par le marché uniquement, soumis à des aléas de toute nature. Les installations électriques et les dépannages seront également soumis à la concurrence, et donc à des prix variés et des efficacités variables en fonction de l’entreprise. Le coût environnemental de la destruction de cette mission de service public sera également élevé. Depuis 14 ans que le marché de l’énergie est ouvert, les prix ont augmenté considérablement (+35% électricité, +85% gaz).

Quant aux échéances du projet Hercule, nous n’en savons strictement rien et c’est bien le souci ! Les négociations sont en cours entre la commission européenne et le gouvernement, sans que nous ne soyons informés de ses avancées. Le délai initial (2020) a constamment été repoussé, et nous espérons bien que le quinquennat actuel n’arrivera pas au bout de ces négociations, nous laissant plus de temps pour faire connaître nos propositions de nationalisation de l’énergie (voir à ce sujet le Programme Progressiste de l’Énergie : https://www.energie-servicepublic.com/*)

3. Comment votre bataille s’organise-t-elle contre ce projet ? Comment décrirais-tu l’esprit des travailleurs par rapport à celle-ci ?

Le renouvellement de personnel (qui a vu son apogée en 2009 suite aux départs en retraite des agents ayant participé à la fabrication des centrales nucléaires) a eu comme effet de perdre l’esprit de « corporatisme » qui, par delà les critiques que l’on peut lui faire vis à vis de la protection de ses propres intérêts, permettait une solidarité ouvrière et un taux de syndicalisme qui dépassait largement la moyenne des autres secteurs. Aujourd’hui, dans la centrale de Cruas nous sommes un peu plus de la moitié de cadres. L’esprit individualiste est de plus en plus présent, à toutes les strates, et l’engagement syndical a perdu de son panache. Pour autant notre syndicat se renouvelle et nous sommes ouverts à de nouvelles formes d’actions pour nous moderniser.

Nous sommes regroupés nationalement autour de notre fédération des mines et énergies (FNME mines énergies CGT) de manière à coordonner nos actions de grève. Nous étions par exemple en grève mercredi 10 février car notre PDG était auditionné à l’assemblée nationale.

Aujourd’hui nos axes de progression sont les suivants : prévenir / alerter / mobiliser les politiques et les usagers.

4. L’éclatement en diverses branches et le recours à la sous-traitance qui s’exercent depuis plusieurs années déjà sont-ils des freins à la défense d’un vrai service public de l’énergie ? Comment la CGT appréhende-t-elle cette division des travailleurs totalement orchestrée ?

A la CGT Cruas, nous sommes un syndicat multipro, et de ce fait nous sommes amenés à lutter aux côtés de nos entreprises sous-traitantes présentes sur le site. Cette stratégie de sous-traitance à tout-va a fortement réduit les possibilités de défense collectives et les droits des travailleurs. Nous évoluons au sein d’un quotidien à deux vitesses, avec deux sortes de population, les agents EDF, et les entreprises sous-traitantes, le plus souvent précaires, mal payés, et dédiés aux tâches « ingrates » de la centrale. Cette division des travailleurs est néfaste à tous les niveaux : socialement, éthiquement, économiquement et en terme de sûreté nucléaire, puisque nous avons vu peu à peu des activités essentielles à la sûreté disparaître du périmètre d’EDF.

5. On a bien vu dans les domaines postal, des télécoms ou avec les transports les effets catastrophiques de la privatisation : perte en qualité du service, dégradation des statuts et des conditions de travail et de l’environnement, aucun contrôle des prix… C’est pourquoi, à la Gauche Révolutionnaire, nous soutenons votre mouvement, car nous défendons un programme de nationalisation-renationalisation des principaux secteurs de l’économie. Comment les organisations politiques, associatives ou même tout un chacun peuvent concrètement vous aider dans cette lutte ?

Je suis persuadé que nous devons nous ouvrir rapidement et joyeusement à toutes les organisations qui luttent pour que le service public (re)devienne un bien commun et qu’il soit sacralisé et amélioré pour bénéficier au plus grand nombre, dans l’intérêt général. C’est en cela que seule l’union des forces de gauche peut arriver à faire bouger les lignes, par la diffusion, l’échange d’idées, les modes d’action, et chaque organisation, associative, politique, ouvrière, ONG, qui défend des causes communes, peut amener sa pierre à l’édifice et nos manifestations servent aussi, entre autre choses, à se sentir collectifs dans ces moments de lutte !

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* Néanmoins cet appel comporte la signature de partis qui ont largement œuvré à la privatisation/libéralisation de l’Énergie et des autres services publics, tel le PS et ses différents gouvernements (note de la Gauche Révolutionnaire)