Casse du service public de l’emploi

En cette année de forte progression du taux de chômage et de multiplication des plans de licenciement, l’ANPE est au centre des préoccupations du ministre du travail, François Fillon. Elle a donc connu à la fois une réforme du statut du personnel (cf. les précédents numéros) et l’annonce de la fin du monopole du placement des chômeurs.

Article paru dans l’Egalité n°105

Il est clair, que le nouveau statut, publié au Journal officiel le 8 janvier dernier, n’avait pour but que de préparer les agents aux réformes à venir. Lors d’une interview à l’AFP du 25 novembre Michel Bernard, le directeur général de l’Agence estime que l’ANPE « doit fonctionner comme une entreprise publique […] Pour faire entrer les notions de performance, d’efficacité, je me plais à dire qu’il faut qu’on fonctionne comme une entreprise publique de service ». Avec le nouveau statut, le ver de la fin du monopole et de la privatisation du service public de l’emploi était déjà dans le fruit.

La fin du monopole : charité pour les uns, qualité pour les autres

Il est vrai que le monopole du placement était purement formel. L’ANPE ne réalisait que 40% des placements « visibles » à égalité avec les agences d’intérim. La plupart des embauches se font sans l’aide d’un quelconque organisme via les candidatures spontanées et le « piston ». Cependant, l’institutionnalisation de cet état de fait n’est pas anodin.

A terme, nous risquons de voir s’instaurer un placement à deux vitesses ; les entreprises de recrutement refuseront les chômeurs les plus difficiles à placer (les agences d’intérim actuelles ne s’en privent pas) surtout si les agences privées de placement sont payées aux résultats, comme c’est envisagé actuellement, à moins qu’elles puissent légalement, ou non, faire pression sur les chômeurs pour qu’ils acceptent tout et n’importe quoi. C’est ce que prévoit déjà François Fillon : « Enfin, nous réfléchissons à des mesures incitatives pour faire en sorte que les demandeurs d’emploi soient à même d’accepter les offres qu’on leur propose […]. Celui qui est indemnisé ne peut pas toutes les refuser » (La Provence, 01/12/2003). La seule mesure incitative acceptable pour nous c’est l’augmentation des salaires de l’ensemble des travailleurs, le relèvement du SMIC à 1300 euros net et l’amélioration des conditions de travail.

D’autre part , elles fourniront une prestation de base – une sorte de service minimum légal- mais feront payer les prestations de qualité, accentuant encore la discrimination par l’argent. L’ANPE aurait à charge la gestion de cette population la plus « éloignée » du marché du travail.

L’ANPE et ses concurrents

L’autre question posée est celle de l’implantation des agences qu’elles soient privées ou publiques. Il existe 6000 agences d’intérim réparties sur l’ensemble du territoire, même dans les zones rurales, contre environ 6 fois moins d’agences locales pour l’emploi, surtout implanté dans les zones urbaines. Dans l’Eure, par exemple, département rural, il existe six agences ANPE (Pont-Audemer, Bernay, Louviers, Vernon, Evreux-Buzot et Evreux-Jean Moulin) pour plus d’une centaine d’agences d’intérim implantées aussi bien dans les villes que dans les petits bourgs. L’effet de proximité va contraindre les chômeurs à se tourner, pour leurs recherches, vers les agences de placement privées que ne manqueront pas de créer en premier lieu les agences d’intérim fortes de leur implantation. Pour l’instant, les projets prévoient que les agences d’intérims soient obligées de créer de nouvelles structures dévolues uniquement aux placements, mais ne doutons pas que le lobby de l’intérim obtienne des arrangements, sans lesquels la portée libérale de la réforme serait moindre. L’inscription ANPE sera maintenue afin de permettre la gestion de la liste des demandeurs d’emploi via les radiations et les cessations d’inscription (le côté « contrôle social » du travail des agents ANPE).

Ainsi on voit se dégager un service de l’emploi avec un service minimum assuré par les agences privées ou l’ANPE dont le travail sera de s’occuper des cas les plus « difficiles » et de radier les chômeurs les plus « récalcitrants », ce qui permettrait d’alléger le nombre d’agents par non renouvellement des postes de ceux partant en retraite (à 65 ans !), et un service de prestations payantes proposé uniquement par les agences privées. Il est évident que les attaques qui pleuvent contre le service public de l’emploi et contre les chômeurs depuis un an maintenant, font partie d’une plan plus vaste de dérégulation du travail, que les gouvernement précédents avaient commencé.

Par Yann Venier