Nul besoin d’être devin pour comprendre qu’un conflit militaire engagé contre l’Irak aura des conséquences incalculables et très enchevêtrées. Comment démêler les ficelles ?
Article paru dans l’Egalité n°100
Un monde arabo-musulman en crise économique…
Les conséquences économiques sont bien sur celles qui sautent aux yeux car les spécialistes boursiers s’accordent sur l’effet « bénéfique » qu’une guerre rapide aurait sur le prix du pétrole, mais aussi sur les effets dévastateurs d’un conflit long. De nombreux aspects diplomatiques nous échappent. Les tours de passe-passe financiers entre les Etats-Unis et la Turquie à coups de dizaines de milliards et la question kurde en disent long ainsi que dans une moindre mesure pour le moment les tractations franco-africaines, russe, etc. La seule chose dont nous sommes sûrs c’est qu’une fois encore les populations à travers le monde en feront les frais de manière très dramatique.
Si l’on s’en tient à la première guerre du Golfe en 1991, les retombées économiques, essentiellement pétrolières et touristiques, ont été sévères pour l’ensemble du monde arabo-musulman de Rabat à Bagdad. Les pays aux sous-sols richement dotés de pétrole ont de fait une profonde dépendance économique à l’or noir qui va jusqu’à 60 à 70% du PIB pour certains d’entre eux.
Depuis la précédente guerre dans cette région et plus récemment encore depuis les attentats du 11 septembre 2001, les relations internationales avec le Moyen-Orient sont grippées. L’économie ne se relève pas, notamment celle d’Arabie saoudite dont le principal client sont les Etats-Unis. L’aggravation des conditions de vie des peuples de la région est patente. Ils sont dominés par des dirigeants (monarques ou chefs religieux) qui s’en mettent toujours plus dans les poches et usent de la force pour conserver leur pouvoir quoi qu’il en coûte.
…et en crise politique !
Les régimes de la région connaissent ainsi une forte instabilité politique, c’est le cas de l’Iran, de l’Arabie Saoudite et bien sûr du Proche-Orient avec le conflit en Israël-Palestine. Une aggravation immédiate de la situation du peuple palestinien découlerait d’une guerre, et irait peut-être jusqu’à l’expulsion de dizaines de milliers de personnes par Sharon. L’Arabie Saoudite qui n’est plus en odeur de sainteté aux Etats-Unis fait l’autruche mais le régime féodal de la famille royale est en fin de règne, en proie à des divisions quant à la succession, et essaie de retarder le moment de sa chute.
Cette situation est facteur de révoltes chez les populations. Depuis le 11 septembre, elle peut prendre parfois la forme d’actions terroristes ou de violence isolée. Ceci aggrave encore plus la situation et envoie face à face des populations en laissant les vrais responsables bien au chaud. C’est le cas extrême d’Israël Palestine ou bien encore de certaines régions du Pakistan et de L’Inde. Tout le monde aujourd’hui connaît les conséquences de la guerre du Golfe sur l’économie irakienne et sur le peuple précisément. C’est lui qui a payé le prix fort, appauvri par l’embargo décrété par l’ONU. Ce sont les enfants et les bébés qui sont les premiers a être privés de médicaments, d’aliments de première nécessité et qui meurent chaque jour.
Hégémonie US et peuple irakien
La presse se démène à nous exposer les possibilités de l’après-Saddam. Les plans américains de gouvernement sous protectorat US avec des ministres américains sont caractéristiques de la volonté hégémonique de l’administration Bush. Les Irakiens exsangues depuis plus de 10 ans n’ont pas besoin de bombes en plus, les troupes US ne seront pas les bienvenues pour une grande partie du peuple irakien même si il est envisageable qu’une partie de la population réagisse positivement à l’arrivée de troupes car » le dictateur Saddam doit partir, peu importe comment « . Ceci peut être renforcé par les alliances opérées avec des troupes kurdes au nord. Cependant, très vite le serpent se mord la queue : que deviendra l’accord tacite de laisser le kurdistan irakien sous contrôle turc ?
L’humiliation serait complète pour les Kurdes, au nord du pays, qui ont bénéficié d’une autonomie depuis 10 ans. Celle-ci est néanmoins toute relative et aura surtout bénéficié à la bourgeoisie kurde. Et le prix à payer pour une telle complaisance vis à vis des impérialistes et de leurs visées sur l’Irak risque d’être élevé. Le nord de l’Irak risque de perdre son autonomie si les troupes turques entrent conjointement avec les troupes américaines. Elles deviendraient les maîtresses de ces lieux, et les Kurdes seront sous commandement de la Turquie, puisqu’il est normalement prévu le déploiement de milliers de soldats turcs dans le nord irakien, pour des prétendues raisons humanitaires. Mais les raisons semblent bien plus d’empêcher les Kurdes de s’emparer de Kirkouk, une ville riche en pétrole, et de proclamer un état kurde autonome.
Une partie de l’opposition irakienne à Saddam pourtant pro américaine est quelque peu désabusée par la stratégie. L’un de leurs représentants Kanaan Makiya s’exprime ainsi dans The Observer : « Le gouvernement américain est sur le point de trahir […] Nous autres irakiens, espérions que les erreurs du passé ne se renouvelleraient pas […]. Les ennemis d’un Irak démocratique, les anti-impérialistes, les anti-sionistes, ceux qui tirent les ficelles du mouvement opposé à la guerre en Europe et aux USA vont-ils finalement avoir raison ? »
L’hégémonie américaine est déjà sérieusement mise à mal par les mobilisations de millions de personnes et notamment aux USA. Ceux-ci connaîtraient des difficultés énormes à gérer l’Irak après guerre. L’Afghanistan montre aujourd’hui cette limite avec la prise en mains désormais non cachée du pays par les seigneurs de guerre locaux.
Le projet de l’establishment de Bush (notamment Dick Cheney, celui qu’on appelle le vrai président des Etats Unis) est de placer des officiers américains dans chaque ministère de l’après-Saddam. Le contrôle ainsi imposé serait direct, et priverait les Irakiens du droit à décider eux mêmes de leur avenir.
Mais ce qui s’annonce avant tout, c’est une déstabilisation encore plus accrue des relations internationales, que l’administration Bush aura bien du mal à maîtriser.
L’attaque contre l’Irak provoquera des réactions difficiles à contrôler parmi des milliers de musulmans, et les intégristes pourraient connaître une certaine croissance. Et qui dit intégrisme dit terrorisme. La guerre ne fera qu’empirer les choses. Le chômage, la précarité et la présence d’un gouvernement qui ne cherche qu’à se remplir les poches et oublie l’intérêt général, laissant les peuples à l’abandon. Ceux-ci se tournent alors parfois vers ceux qui promettent une meilleure vie, c’est ainsi que progresse l’intégrisme comme on l’a vu en Algérie.
Mais ceci ne doit pas nous faire douter de la nécessité de s’opposer à cette guerre. Au contraire, ça conforte l’idée que le capitalisme, spécialement dans des régions jetées dans la misère a fait son temps ! Plus que jamais l’alternative socialiste est à construire.
La guerre : un prétexte pour renforcer la politique capitaliste antisociale
On ne peut pas traiter des répercussions de la guerre sans parler de l’Occident. En conséquence du 11 septembre, les politiques européennes et américaines n’ont eu de cesse de multiplier les crédits pour l’armement (deuxième porte-avions en France) et les ressources financières de la sécurité intérieure à grand renfort de lois sécuritaires et de mesures discriminatoires et antidémocratiques. Cette politique se renforce avec la guerre de manière probante. La place du militaire grandit et les budgets sociaux sont en baisse.
Cette situation fait réagir une partie importante des populations dont les gouvernements vont à la guerre comme en Grande-Bretagne mais aussi en Espagne et en Italie. Le gouvernement français connaît pour le moment des conditions plus favorables au regard de sa position internationale. Mais Raffarin en profite pour essayer de faire passer sur fond de crise, les licenciements et fermetures de boites, des mesures antisociales sur les retraites, la décentralisation…etc.
La lutte contre cette guerre ne peut se découper de ces batailles qui sont liées et imbriquées. La lutte globale prend du temps et nécessite des revendications claires contre la guerre avec ou sans mandat de l’ONU mais aussi contre ce gouvernement, qui tout pacifiste qu’il veut paraître, continue sa guerre antisociale.
Par Wahiba Anes et Leïla Messaoudi