Chaos au Sahel après dix ans de présence militaire française

En 2013, le gouvernement PS de Hollande lançait les opérations militaires Serval puis Barkhane au Sahel, poursuivie par Macron jusqu’en 2022. Le prétexte : lutter contre les groupes terroristes dans la région, de la Mauritanie au Tchad. Dix ans après, la France a fermé ses bases en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso, et le retrait des 1 500 soldats encore présents au Niger est en cours, après le coup d’État de juillet. Bilan de ces opérations – outre leur coût faramineux de près d’un milliard d’euros par an : le nombre de groupes terroristes, de morts ; la violence et l’instabilité n’ont jamais été aussi importants dans la région.

Par Cécile Rimboud, version longue d’un article publié dans L’Égalité n°219

L’impérialisme français en crise

L’intervention militaire impérialiste française n’a jamais eu pour but – et surtout est complètement incapable – d’éradiquer le terrorisme dans la région. Car cela nécessiterait de s’en prendre aux racines du problème : la pauvreté, le sous-développement économique et l’aliénation des populations. Mais tout cela existe précisément car l’impérialisme français a toujours soutenu et financé les régimes corrompus (Bazoum au Niger, Bongo au Gabon, IBK au Mali, Compaoré au Burkina…) qui ont créé et nourri cette situation pour leur propre bénéfice et celui des multinationales françaises. Comme nous l’écrivions en 2021, « la lutte anti-terroriste n’est qu’un prétexte ! Avoir des forces au Sahel et s’assurer du soutien mutuel des dirigeants localement permet aux capitalistes de continuer à faire leurs profits1».

Tous ces régimes ont été balayés, contribuant à la crise de l’impérialisme français qui perd ainsi nombre de ses appuis. Une crise pas seulement militaire mais aussi économique, alors que les multinationales et entreprises françaises perdent de plus en plus de parts de marché en Afrique au profit d’entreprises russes, chinoises, ou encore turques. Des géants capitalistes tels que Bolloré, avec la vente (pour 5,7 milliards) d’Africa Logistics en 2022, ou encore BNP Paribas ont ainsi cessé leur activité dans la région. Macron, en déplacement au Gabon en mars, avait littéralement appelé les capitalistes français à « aller se battre » pour regagner des parts de marché en Afrique… C’était donc bien la préoccupation première du gouvernement français depuis le début.

L’horreur pour les populations

L’État français laisse dans son sillage un chaos complet. Au Mali, non seulement les groupes terroristes liés à Al-Qaeda ou Daesh, la multinationale/milice russe Wagner mais aussi les forces armées maliennes elles-mêmes (que l’État français se vante d’avoir aidées à reconstruire ! Mais « vous pouvez former des troupes de combats, mais si les munitions n’arrivent pas parce qu’elles sont détournées au marché noir, si les soldats ne sont pas payés en temps et en heure, ces derniers vont se servir sur le dos des populations.2 ») ont tué et commis des abus atroces contre des centaines de civils dans le centre et le nord du Mali et au Burkina. Depuis le début de l’année 2023, on compte plus de 6 000 morts dans des violences au seul Burkina Faso3. Le capitaine Ibrahim Traoré emmène le Burkina vers une dictature militaire brutale, prenant lui aussi le prétexte de la lutte anti-terroriste pour mater toute opposition. Le 31 octobre, lors d’un meeting, des dirigeants de la CGTB ont ainsi été menacés à la machette par des soutiens du pouvoir. Les violences au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont déjà entraîné le déplacement interne de 2,5 millions de personnes, tandis que 17,8 millions ont besoin d’une assistance humanitaire.

D’où viendra la solution ?

Cyniquement, les impérialistes russes, chinois, turcs… tentent de se saisir du chaos pour avancer leurs pions. Wagner est présent au Mali depuis fin 2021 et soutien du colonel Goïta, au pouvoir depuis le coup d’État d’août 2020. Nul doute qu’ils tenteront de profiter du nouvel accord défensif signé en septembre entre les régimes putschistes au Niger, au Mali et au Burkina, « L’Alliance des États du Sahel » (AES), pour renforcer leur propre présence militaire dans la région, avec des visées tout aussi impérialistes que l’État français. Aucune solution ne peut venir ni des impérialistes, ni des régimes militaires qui ne s’intéressent qu’à leur petit pouvoir, en faisant croire que le départ militaire de la France va arranger les problèmes, alors qu’ils ne veulent rien changer fondamentalement.

Les masses elles-mêmes – les travailleurs, jeunes, pauvres – sont les seules à pouvoir se libérer du terrorisme, de la misère et de la corruption et à développer leurs propres pays, en s’organisant pour défendre leurs propres intérêts face aux régimes corrompus pro-capitalistes, aux impérialistes (qu’ils soient français, US, russe, chinois ou autres) ; y compris en organisant démocratiquement leur auto-défense face à la terreur. Il faudra créer de nouveaux partis de masse, avec un programme pour la planification socialiste et démocratique de l’économie par les travailleurs eux-mêmes en expropriant banques et multinationales et en dégageant les dirigeants corrompus – militaires ou civils.

En France, le meilleur soutien que nous pouvons avoir à cette lutte est de lutter contre notre propre impérialisme. Pas un soldat, pas un euro pour les menées guerrières de l’impérialisme français ! Pour l’autodétermination démocratique des peuples !


  1. L’Egalité 204, Stop à la présence française au Sahel ! ↩︎
  2. E. Tenenbaum, Ifri, Présence militaire française en Afrique : « Le bilan est extrêmement mitigé » ↩︎
  3. Enquête de l’ONG Human Rights Watch Mali : Les groupes islamistes armés et l’armée prennent les civils pour cible et Étude de l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED) citée dans Le Burkina Faso s’enfonce dans la terreur ↩︎