1936 en Espagne : L’absence de vraie direction révolutionnaire fait échouer la révolution

« La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Cette première phrase du Programme de transition de Trotsky n’a rien d’une déclaration dogmatique. Au contraire comme tout élément d’analyse marxiste, elle s’est fondée notamment sur l’analyse de la situation mondiale des années trente et de la révolution et de la guerre d’Espagne.

Article paru dans l’Egalité n°120

En effet les causes de la répression horrible de la révolution espagnole ne sont pas à chercher dans une faible conscience de la classe ouvrière ou dans une surpuissance des forces bourgeoises mais avant tout dans la trahison des forces traditionnelles du mouvement ouvrier et dans la compromission de l’extrême gauche dans l’alliance de la bourgeoisie et des réformistes.

Une classe ouvrière à l’offensive

L’Espagne en 1930 est un pays arriéré, où la bourgeoisie est encore faible, le pouvoir encore dans les mains de la noblesse et de l’Eglise, et où l’industrie et les forces productives sont peu développées : 70 % de la population active est paysanne.

Une première étape est marquée en 1931 quand le roi est renversé électoralement au profit de la République bourgeoise, réunissant au pouvoir notables bourgeois et socialistes modérés.

Va alors se développer une situation où le gouvernement est confronté à l’offensive croissante de la classe ouvrière et de la jeunesse espagnole. Grèves, grèves générales sont réprimées férocement par la police et l’armée entre 1931 et 1935 en même temps que les forces fascistes et réactionnaires s’organisent et s’affrontent aux organisations ouvrières. En 1934, la grève générale dans les Asturies aboutit à la formation de milices ouvrières qui prennent le pouvoir. Mais isolée du reste du pays du fait de la division entre les différentes organisations ouvrières, notamment entre la CNT, le PCE et l’Alliance ouvrière, elle est massacrée par l’armée avec des milliers de morts.

Quand au début 1936, le Front populaire, l’alliance électorale entre bourgeois, socialistes, staliniens, anarchistes et révolutionnaires, arrive au pouvoir, la classe ouvrière reste à l’offensive et entraîne les paysans avec des occupations des terres et des grèves dans les usines…Travailleurs et paysans veulent aller au delà du gouvernement au pouvoir et réclament pour certains une véritable révolution pour la dictature du prolétariat. Avec une bourgeoisie fragilisée et divisée, une crise sociale et une classe ouvrière offensive et consciente de sa force et de son rôle, capable de faire la jonction avec la paysannerie, la situation était véritablement pré-révolutionnaire. Mais les organisations ouvrières ont préféré s’allier à la bourgeoisie en participant au gouvernement.

Faiblesse et faillite de la direction ouvrière

Face aux luttes des travailleurs, le gouvernement de Front populaire cherche à les stopper. Il appelle les travailleurs à « être patients et raisonnables » au risque « de faire le jeu des fascistes ».

Le mouvement ouvrier a à sa tête une série d’organisations allant des anarchistes aux staliniens, chacune à sa manière et pour des raisons différentes, elles vont trahir la classe ouvrière en l’envoyant dans le mur.

La Confédération Nationale du Travail (CNT), composée d’anarchistes et de syndicalistes révolutionnaires, a une influence très importante au sein des masses espagnoles par son implication dans les luttes. Mais en même temps elle n’a pas de programme ni de tactique révolutionnaires réels et s’enlise dans la collaboration de classes.

La Gauche communiste est fondée dans les années 20 par Andrès Nin, qui est en relation avec Trotsky. Avec le Bloc ouvrier et paysan (BOC), cette organisation crée en 1933 l’Alliance Ouvrière, en opposition à la ligne des staliniens et la collaboration de classe.

Soutenue par les socialistes (PSOE), cette alliance est dénoncée à la fois par la CNT, par les socialistes de droite et par le parti communiste espagnol qui la présente, fidèle à la ligne ultra sectaire des staliniens d’avant 1934, comme « social-fasciste ».

Pour réaliser le front unique entre communistes et socialistes de gauche, outil indispensable pour vaincre le fascisme, Trotsky est pour l’entrée de la Gauche communiste dans le PSOE. Mais Nin s’y oppose et va lancer le POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste), fusion du BOC et de la Gauche communiste.

Ceci facilite le jeu des staliniens et de la Troisième Internationale qui vont opérer un tournant à 180 ° en abandonnant à une échelle internationale leur ligne ultra-sectaire pour la collaboration de classes en poussant la création des fronts populaires.

Contre-révolution et révolution

Pendant ce temps, Franco et les réactionnaires ont tout le loisir pour préparer leur coup d’Etat, sans que le gouvernement, par calcul pour bloquer la révolution, ne cherche à véritablement le contrer. Quand le coup d’état éclate le 16 juillet 1936, le gouvernement refuse d’armer les ouvriers et démissionne.

Les armes seront obtenues par les travailleurs eux-mêmes qui organisent la lutte avec la grève générale appelée par l’UGT et la CNT avec l’instauration de comité populaires de défense. Très vite des éléments de double pouvoir apparaissent entre les comités et le nouveau gouvernement : milices ouvrières paysannes et aussi tribunaux révolutionnaires élus qui organisent la confiscation des biens, notamment ceux immenses de l’Eglise catholique, la remise en marche de la production et à certains endroits la collectivisation des terres. Franco et ses forces perdent des casernes, des positions et commencent à reculer.

Mais la CNT refuse de combattre ses alliés gouvernementaux et le POUM, tout en dénonçant les réformistes et les staliniens, cherche un raccourci en refusant de lutter pour la création de véritables soviets, ne permettant pas aux travailleurs de voir le jeu des staliniens et des socialistes. Une marge de manœuvre leur est ainsi laissée, avec la formation d’un nouveau gouvernement de collaboration de classes, au nom de la défense de la république, et avec l’objectif d’étouffer la révolution. Les comités de défense, les comités de soldats sont dissous. Toutes les institutions bourgeoises sont rétablies. Le parti communiste espagnol, bras armé de Moscou, acquiert alors une importance dominante et contrôle désormais les Brigades internationales.

Tardivement la CNT et le POUM cherchent à s’opposer aux staliniens. La grève générale avec affrontement est lancée à Barcelone à la suite de l’interdiction de manifester le 1er mai 1937. Une répression féroce s’abat. Andrès Nin est arrêté et exécuté. Une police politique stalinienne se lance contre tout opposant.

Une fois tout risque de révolution effacé, l’union soviétique va progressivement ôter son soutien logistique et livrer les travailleurs à la contre-révolution. En 1939 Franco vainc définitivement, le franquisme s’installe, des milliers de travailleurs seront impitoyablement poursuivis, condamnés à la mort ou à l’exil.

Une des leçons que l’on peut tirer de l’échec de la révolution espagnole c’est que l’existence d’un parti ne suffit pas. Sans programme révolutionnaire véritable, sans une direction volontairement révolutionnaire et conscience de chacune de ses tâches à chaque étape du processus révolutionnaire, la classe ouvrière ne peut pas arriver par son simple élan, même s’il est puissant et obstiné comme en Espagne dans les années 30, à surmonter les pièges réformistes et anarchistes mis à disposition de la bourgeoisie.

Par Geneviève Favre