Faillite des méthodes anarchistes dans la lutte révolutionnaire

Trotsky disait que l’héroïsme des travailleurs espagnols était tel qu’il eut été possible d’avoir 10 révolutions victorieuses dans la période 1931-1937. Pour exemple, on compte pas moins de 113 grèves générales et 228 grèves partielles en Espagne entre février et juillet 1936 !

Article paru dans l’Egalité n°120

Mais la politique réformiste menée par le Front populaire et l’incapacité des dirigeants anarchistes à développer une véritable orientation conduiront à la défaite de la révolution espagnole.

La forte implantation des anarchistes dans la classe ouvrière espagnole

A cette période, l’anarchisme dispose en Espagne d’une influence beaucoup plus importante que dans les autres pays industrialisés d’Europe occidentale. La CNT (Confédération Nationale du Travail) de tendance anarcho-syndicaliste, dirigée par des membres de la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique), rassemble autour d’elle les éléments les plus combatifs du prolétariat espagnol, même si elle n’a pas de perspective ni de programme clairs. En 1918, elle réunit déjà plus d’un million de syndiqués. Cette prépondérance des anarchistes en Espagne s’explique par plusieurs raisons : le rôle de premier plan qu’a joué la CNT dans l’organisation de la grève générale insurrectionnelle de 1917 et l’inconsistance du Parti Communiste Espagnol, affaibli par sa politique sectaire qui l’isole des masses.

Il existe donc en Espagne un mouvement ouvrier de masse, fortement influencé par les anarchistes. Si les travailleurs ont suivi les anarchistes c’est qu’ils pensaient qu’ils représentaient leur classe, et ce bien plus que les socialistes réformistes.

Des méthodes révolutionnaires mais pas de programme socialiste

En juillet 1936, la masse des ouvriers sous l’influence anarchiste ainsi que la majorité des cadres organisateurs de la classe ouvrière se lancèrent dans la lutte sur une ligne révolutionnaire. Cette lutte aurait dû aboutir à la prise du pouvoir par les travailleurs mais ce fut loin d’être le cas. En effet, lors de la révolution espagnole, les dirigeants de la CNT et de la FAI ont toujours refusé d’engager une lutte pour un pouvoir dont ils ne sauraient que faire, vu qu’il serait contraire à leur principe. Ainsi, Horacio Prieto, secrétaire national du comité de la CNT, utilisa son autorité pour préserver les institutions de la Généralité de Catalogne et obtenir l’entrée de quatre ministres anarchistes dans le gouvernement de défense républicaine du socialiste Caballero. Et cela alors que le rapport de force était en faveur des travailleurs.

Les dirigeants anarchistes affirmeront par la suite qu’ils auraient pu prendre le pouvoir mais qu’ils ne l’ont pas fait, non parce qu’ils ne le pouvaient pas mais parce qu’ils ne le voulaient pas. On cerne ici toute la faillite de la théorie anarchiste, prise au piège de ses propres contradictions : n’ayant pas d’alternative ni de stratégie pour contrer la politique de la classe dominante, les anarchistes font de la politique à la place de la classe dominante. En renonçant à exercer la dictature du prolétariat, ils acceptèrent dans les faits d’exercer la dictature de la bourgeoisie. Comme le disait Trotsky, :  » Renoncer à la conquête du pouvoir c’est le laisser volontairement à ceux qui l’ont, aux exploiteurs « .

Une erreur à ne pas répéter

Bien plus que beaucoup d’autres, des dizaines de milliers de militants ouvriers anarchistes ont fait preuve d’un courage et d’un dévouement exemplaire. Mais cela ne pouvait suffire. Par l’absence d’une véritable analyse marxiste, les dirigeants anarchistes n’ont pas combattu les forces staliniennes et réformistes, contre révolutionnaires qui ont mené à l’échec de la révolution espagnole.

A aucun moment les anarchistes n’ont défendu la création de véritables conseils des travailleurs pour qu’ils mettent en place un Etat ouvrier au bénéfice des travailleurs et des paysans. Ces soviets sont l’outil indispensable pour permettre aux travailleurs de prendre le pouvoir.

Refusant d’analyser et de comprendre la nature de l’Etat bourgeois, ils ont collaboré avec le gouvernement et n’ont pas lutté pour la constitution d’un Etat ouvrier. La leçon est encore valable aujourd’hui : une situation de « simple » contre-pouvoir n’est pas stable très longtemps. Si l’Etat oppresseur de la bourgeoisie n’est pas remplacé par l’Etat démocratique et libérateur des travailleurs, basé sur les conseils ouvriers, alors à un moment la bourgeoisie reprend le dessus et n’hésite pas à liquider ces milliers de travailleurs qui ont failli l’exproprier.

Ce qui a manqué en 36, c’est un parti révolutionnaire de masse avec un programme socialiste et une direction capable d’analyser la situation politique et d’avancer une stratégie, d’amener de réelles perspectives au mouvement ouvrier. Cette même conclusion peut être tirée de nombreux mouvements qui ont remis en question le système capitaliste. C’est pourquoi les leçons de la révolution espagnole sont entièrement d’actualité.

Par Lise de Luca