L’Etat et les socialistes

La question de l’Etat est l’une des plus importantes à comprendre et l’une des plus complexes, car c’est l’une des plus embrouillées par l’idéologie bourgeoise. C’est par le combat contre l’Etat bourgeois que se fera nécessairement la révolution. C’est-à-dire que nous devons faire face à l’Etat bourgeois à chaque étape de la lutte de classes. Connaître sa nature et son rôle est donc primordial pour les révolutionnaires.

Article paru dans l’Egalité n°114

L’Etat un phénomène historique

L’Etat n’a pas toujours existé. Les premières formes d’Etat sont apparues avec les classes sociales. Cette différenciation sociale s’est effectuée lorsque les techniques et le mode de vie ont pu permettre la création d’un surproduit social, c’est-à-dire une production de biens supérieure à ce qu’il était nécessaire socialement à la vie de la communauté. Ce surproduit social fut accaparé pour diverses raisons par une minorité de la communauté, qui de ce fait fut libérée de la nécessité de travailler pour subvenir à ses besoins. La majorité de la communauté s’est mise à travailler pour la minorité. Les classes sociales étaient apparues.

Et il est évident que le vol du surproduit social, que l’on connaît encore aujourd’hui sous le capitalisme, n’aurait pas pu se maintenir années après années, générations après générations, s’il n’était pas imposé à la fois par des moyens de répression et par l’idéologie dominante. Les classes sociales libérées de l’obligation de travailler pouvaient dès lors investir leur temps dans d’autres tâches que celles du travail nécessaire à leur vie. Certains se spécialisèrent donc dans le maniement des armes, d’autres dans le travail intellectuel (religion, philosophie, politique…).

On a là, l’origine de l’Etat qui naît en même temps que les classes sociales, pour que la classe dominante puisse imposer à la classe dominée l’obligation du travail par tous les moyens nécessaires : la force et la propagande, le sabre et le goupillon ! Et le lien qui unit la classe dominante à l’Etat est organique, c’est-à-dire que nécessairement les membres dirigeants de l’Etat sont recrutés parmi la classe dominante. Comment pourrait-il en être autrement, puisque les membres de la classe dominée sont astreints au travail et non aux activités de direction.

Quelles que soient les différentes sociétés qui ont vu le jour depuis ce temps – de l’Antiquité fondée sur l’exploitation du travail des esclaves par les maîtres d’esclaves au capitalisme fondé sur l’exploitation du prolétariat salarié par les capitalistes et la bourgeoisie – toutes ont connu l’existence d’un Etat. Quelle que soit la forme (monarchie, république, etc.) qu’il a prise, il a servi à maintenir l’exploitation de la classe dominée par la classe dominante et le vol du surproduit social par cette dernière.

Prendre son contrôle ou le détruire ?

Le rôle de l’Etat est donc essentiellement d’être un outil de domination de classe dans les mains de la classe dominante mais aussi un outil de partage de la plus-value et de conciliation entre les différents capitalistes. Il ne peut en être autrement, contrairement à ce que racontent les idéologues bourgeois qui voient en lui un outil de prétendue conciliation entre les classes, quasiment extérieur à la société : un médiateur au-dessus du champ de bataille de la lutte des classes. Les réformistes estiment que c’est en prenant le contrôle de l’Etat bourgeois de type parlementaire qu’ils pourront transformer petit à petit la société capitaliste en société socialiste au moyen de réformes. A chaque fois que l’Etat a mis en place des réformes dans l’intérêt de la classe ouvrière, c’est suite à une lutte d’ampleur de cette dernière. Une lutte qui allait remettre en question les bases de la société capitaliste comme en 1936 ou en 1968 en France. La bourgeoisie, à ces moments critiques pour elle, a préféré lâcher du lest plutôt que tout perdre. L’étiquette politique des ministres des gouvernements ne jouait pas un rôle fondamental. Depuis que le rapport de forces est plutôt en défaveur des travailleurs, l’Etat sert à reprendre un à un les acquis gagnés et les anciens réformistes sont devenus gestionnaires du capitalisme, s’attaquant aux travailleurs. Les réformes sociales ne sont obtenues que par les luttes !

Les travailleurs en lutte (comme à Sediver, à Saint-Yorre que les gendarmes ont investi pour permettre l’arrêt du four, ce qui entraînera la fermeture du site et 285 licenciements) savent très bien ce à quoi servent l’Etat et son appareil ! A chaque moment dans n’importe quelle lutte, aussi économique soit-elle, la question du pouvoir et donc du pouvoir d’Etat est posée même si elle n’apparaît que lointaine. C’est dans la lutte quotidienne contre le patron, les capitalistes dans leur ensemble et contre leur Etat, que les travailleurs éprouvent leur force et trouvent les formes d’organisation qui leur conviennent. Au départ, la lutte contre le système peut paraître une tâche impossible, mais organisés dans un parti qui peut rassembler les expériences, unifier la classe et proposer des perspectives à chaque moment de la lutte des classes, les travailleurs comprennent qu’ils peuvent contrôler la société. C’est eux qui produisent les richesses. S’ils se lèvent tous ensemble, alors rien ne peut leur résister.

La lutte pour le pouvoir économique, l’expropriation de la bourgeoisie, et le pouvoir politique, la destruction de l’Etat bourgeois, sont donc liées. Au fur et à mesure que se développe la lutte de classes, cette question du pouvoir devient plus évidente. Et dans les phases révolutionnaires, elle devient centrale. Face au refus du vieil Etat d’accepter ses revendications, la classe ouvrière se dote alors de son propre Etat (c’est le cas avec la Commune de Paris ou durant les révolutions en Russie par la mise en place des soviets), véritable instrument démocratique du pouvoir ouvrier. Les deux Etats s’affrontent et leur confrontation ne peut aboutir que par la destruction de l’un – et c’est la révolution – ou la victoire de l’autre et c’est la contre-révolution.

La fin de l’Etat

Durant la révolution, le rôle de l’Etat ouvrier est d’imposer à la bourgeoisie et à ses alliés la nouvelle société. Il est évident que les classes dominantes ne se laissent pas retirer les rênes de la société sans réagir nationalement et internationalement. Les capitalistes, si souvent divisés, s’allient facilement lorsqu’il s’agit de mater une révolution, et ainsi rétablir l’exploitation. Vouloir limiter le pouvoir de l’Etat ouvrier, voire refuser tout Etat ouvrier comme peuvent le dire certains courants (Les Zapatistes de Marcos au Chiapas, par exemple), revient à vouloir affaiblir le pouvoir de la classe ouvrière révolutionnaire et par conséquent donner de la force à ses ennemis.

Durant cette période révolutionnaire, le rôle de l’Etat est d’être un outil de domination de la classe ouvrière sur les anciennes classes dominantes pour empêcher le retour à une société d’exploitation. C’est le socialisme qui est une démocratie pour l’ensemble des travailleurs. Tout comme la démocratie bourgeoise de type parlementaire est actuellement une démocratie pour les capitalistes entre eux et une dictature de ces derniers sur la classe ouvrière. La différence entre démocratie bourgeoise et démocratie ouvrière c’est que la première concerne une infime minorité de la population alors que la seconde concernera la majorité. Reposant sur les conseils d’entreprise, de quartiers, etc. organisés et rassemblés localement, régionalement, nationalement, cette démocratie directe aura pour but que chaque travailleur joue tout son rôle au sein de l’Etat ouvrier, chaque charge devenant éligible et révocable. Le surproduit social est alors réparti entre tous et non plus accaparé par une poignée. La satisfaction des besoins, grâce à l’abondance de richesses produites, est le véritable moteur de la société socialiste.

Au fur et à mesure que la socialisation des moyens de production s’accentuera, l’organisation de la société se fera avec la participation de tous aux décisions sociales, économiques, politiques… lesquelles ne seront plus distinctes mais formant un tout : le fonctionnement même de la société. L’Etat ouvrier disparaîtra peu à peu, n’ayant plus de base sociale pour exister, les classes sociales ayant disparu. Ce sera alors le communisme, la société sans classe sociale et sans Etat.

Par Yann Venier