100 ans de la mort de Lénine : De la Première guerre mondiale à l’avènement de 1917 : « Tout le pouvoir aux soviets ! » [Partie 3/4]

La Première Guerre mondiale est sans doute une des périodes les plus sombres pour le mouvement ouvrier et de l’histoire du capitalisme. Neuf millions de morts et 20 millions de blessés, dont 8 millions d’invalides, pour un repartage du monde pour des monopoles de marché et les intérêts impérialistes de la bourgeoisie. Lénine déclare dans un article sur la social-démocratie :

« La guerre européenne et mondiale présente tous les caractères d’une guerre bourgeoise, impérialiste, dynastique. La lutte pour les marchés et pour le pillage des autres États, la volonté d’enrayer le mouvement révolutionnaire du prolétariat et de la démocratie à l’intérieur des pays belligérants, la tentative de duper, de diviser et de décimer les prolétaires de tous les pays en jetant les esclaves salariés d’une nation contre ceux d’une autre au profit de la bourgeoisie, tel est le seul contenu réel de la guerre, telle est sa signification. »

En 1914, la IIe Internationale trahit la classe ouvrière : ses différents partis soutiennent la guerre. Lénine cherche à rassembler tous les militants socialistes opposés à la guerre. Une conférence se tient en 1915 à Zimmerwald en Suisse contre la guerre. Lénine défend l’idée qu’il faut rompre avec la Deuxième Internationale et leurs partis sociaux-traîtres, et que les travailleurs doivent lutter contre leur propre impérialisme.

En 1916, Lénine rédige un court texte intitulé L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, où il clarifie son analyse sur le sujet. Il y montre qu’en devenant de plus en plus grosses, les entreprises ont besoin de plus en plus de matières premières et de marchés de plus en plus vastes. Incapables de se cantonner aux frontières nationales, elles tendent donc à se lancer à l’assaut du monde. C’est cela qui explique la colonisation depuis la fin du XIXe siècle. La Première Guerre mondiale est une guerre impérialiste, qui s’explique par la concurrence entre les États pour se répartir les marchés et les matières premières.

La Révolution de février et les débats stratégiques sur le pouvoir

Le soviet de Petrograd pendant la Révolution russe (1917)

En février 1917, éclate la Révolution de février sous l’impulsion de la Journée de lutte internationale de lutte pour les droits des femmes (le 8 mars correspondait au 23 février dans l’ancien calendrier géorgien), et des ouvrières du textile à Petrograd. Les soviets qui s’étaient « arrêté » après l’échec de la Révolution de 1905 se reforment et le tsar est renversé. Un gouvernement provisoire, constitué de libéraux, des mencheviks et des SR (socialistes-révolutionnaires) arrive au pouvoir et instaure des libertés démocratiques… sous la pression des masses. Lénine, pensait comme la plupart des marxistes que le passage par le capitalisme était nécessaire et devait précéder le socialisme.

Trotsky réfutait cette thèse et pensait au contraire que la Russie pouvait directement passer au socialisme, c’est la théorie de la « Révolution permanente », qu’il développe en 1905, ou encore la « Loi du développement inégal et combiné » :

« Forcé de se mettre à la remorque des pays avancés, un pays arriéré ne se conforme pas à l’ordre de succession : le privilège d’une situation historiquement arriéré — ce privilège existe — autorise un peuple, ou bien, plus exactement, le force à s’assimiler du tout-fait avant les délais fixés, en sautant une série d’étapes intermédiaires. »

Trotsky, Histoire de la Révolution russe

Lénine se range du côté de Trotsky. Son premier travail est de convaincre sur cette base les membres de son parti, qui considèrent souvent que les vues de Trotsky sont une hérésie. Pour favoriser une jonction entre les luttes des ouvriers et celles des paysans, Lénine pousse aussi les bolcheviks à soutenir les demandes des paysans qui réclament une division équitable de la terre entre ceux qui la travaillent.

Le rôle du parti révolutionnaire, l’État et les soviets

Comme en 1905, le parti doit pouvoir accueillir tous les meilleurs militants. Pendant l’année 1917, le Parti bolchevik passe de 4 000 à 250 000 membres. Dans le même temps, le parti se cherche des alliés. Alors que les mencheviks et la droite des Socialistes-révolutionnaires (SR) soutiennent le gouvernement provisoire bourgeois, les SR de gauche se rapprochent des bolcheviks.

Pour Lénine, le parti bolchevik doit se battre pour ses idées au sein des organisations de la classe ouvrière, c’est-à-dire des soviets, qui assument un rôle politique et économique réel, concurrençant l’action du gouvernement provisoire – une situation de « double pouvoir ». Les bolcheviks gagnent ainsi une majorité au soviet de Petrograd à la fin du mois d’août. C’est là que le slogan « Le pain, la terre, la paix – Tout le pouvoir aux soviets ! » gagne sa popularité. La guerre continue de ravager la société russe et impacte la classe ouvrière.

Les historiens bourgeois ou politiciens au service du Grand Capital, ont tendance à considérer que la « bonne » révolution est celle de février. Celle qui voulait instaurer une « démocratie parlementaire » comme en Occident. Au contraire, nous pensons que la Révolution d’Octobre est la continuité historique de celle de février. Mais c’est bel et bien l’action inébranlable du parti bolchevik, armé de son programme pour la conquête du pouvoir par les travailleurs eux-mêmes, qui aura été déterminante pour la victoire d’octobre.

En juillet, Lénine passe dans la clandestinité. Il en profite pour écrire son ouvrage le plus important, L’État et la révolution. Il définit l’État comme étant, dans une société de classes, l’instrument de l’oppression d’une classe sur l’autre. Lénine en conclut que les révolutionnaires ne peuvent conquérir l’État en utilisant les institutions existantes : il faut au contraire « détruire » l’État bourgeois par une révolution. Mais contrairement aux anarchistes, Lénine ne pense pas qu’une société sans classe et sans État puisse suivre immédiatement la destruction de l’État bourgeois. La classe ouvrière doit s’organiser de façon à réprimer les tentatives des capitalistes pour reprendre le pouvoir, et a donc besoin de son propre État : c’est ce que Lénine appelle la dictature du prolétariat. Puis, les classes disparaissant, l’État deviendra inutile et s’effacera.

En octobre 1917, à Petrograd, un comité militaire se met en place, dirigé par Trotsky et dominé par les bolchéviks. C’est Trotsky qui a convaincu Lénine que l’appel à l’insurrection devait venir des soviets, et non du seul parti. Les révolutionnaires, déterminés, prennent le pouvoir dans la nuit du 25 octobre 1917 (7 novembre pour le calendrier occidental). Le gouvernement provisoire s’effondre en une nuit. Il s’agit désormais de construire un État socialiste prolétarien.