Une économie mondiale au bord du gouffre

Au cours de la seconde semaine de mai, le système boursier du monde entier a été pris de convulsions qui ont fait craindre un effondrement général, peu de temps après que les places boursières aient atteint leur niveau record de cotation. Cet événement montre à quel point l’économie capitaliste est instable et que les classes dirigeantes ont de moins en moins de marge de manœuvre pour repousser la venue d’une crise majeure.

Article paru dans l’Egalité n°120

Au cours de ce crack boursier, qui pourtant n’était rien d’autre qu’une correction, certes brutale, des bulles spéculatives, les Bourses des pays impérialistes ont perdu entre 4 et 5%, alors que dans les pays dominés la chute a été beaucoup plus sévère : entre 10 et 25% selon les pays.

Les bulles spéculatives se forment lorsque des investisseurs se ruent sur des actions d’un secteur de l’économie dont on prévoit un fort taux de profits à l’avenir. Ainsi, ce secteur est surévalué par rapport à sa capacité réelle de générer des bénéfices. Et elles éclatent lorsque ces mêmes investisseurs, qui recherchent des profits immédiats à haut rendement, retirent massivement leurs investissements au moment où ils s’aperçoivent que les profits escomptés ne seront pas aussi importants que prévu.

Crack et spéculations

La croissance du capital financier (spéculatif) reflète l’intensification de l’exploitation de la classe ouvrière par les capitalistes. En effet, les politiques ultra-libérales menées par les différents gouvernements depuis les années 80 ont accru considérablement la part de la plus-value revenant à la bourgeoisie en s’attaquant aux acquis des travailleurs. Alors qu’il y a 20 ans, le magasine Forbes estimait à 140 le nombre de milliardaires dans le monde, aujourd’hui il en dénombre 793 (dont 102 nouveaux uniquement pour l’année passée). Dans le même temps la très grande majorité de la population mondiale s’est considérablement appauvrie.

Durant les dernières années, les investisseurs capitalistes, pleins aux as grâce à la dérégulation du marché et à la politique de crédits à bas coût, ont cherché désespérément de nouvelles sources de profits pour leur capital accumulé. Ils se sont donc jetés dans la spéculation monétaire, les « junk bonds » (actions à fort taux de rendement), les matières premières et les actions des pays dit « émergents ». Ceci a généré les bulles spéculatives des dernières années.

Mais suite à l’annonce d’un nouveau relèvement des taux d’intérêts par la Banque fédérale des USA, les spéculateurs ont craint une hausse de l’inflation et la fin de la période de crédits à taux d’intérêts très bas. Craignant un resserrement de la capacité de leurs investissements spéculatifs à générer des profits, ils ont donc vendu leurs actions à risque mais à fort rendement. Ils se sont reportés alors sur des investissements plus sûrs, mais à faible rendement, tels que les bons du Trésor.

L’économiste en chef de l’OCDE, Jean-Philippe Cotis, a affirmé que la correction drastique des cotations boursières sur le marché des investissements à risque de mai dernier était nécessaire. Mais dans le même temps, il a mis en garde en déclarant que malgré cela les risques sur la croissance économique mondiale étaient encore plus importants qu’auparavant. En effet, les causes qui ont produit la chute brutale des Bourses à travers le monde sont toujours là.

Par exemple, il n’y a pas une augmentation substantielle du capital investi dans de nouveaux moyens de production (machines, usines…) et donc dans l’économie réelle. Ainsi, aux USA, 30 à 40% des profits des entreprises américaines sont effectués par des compagnies financières spéculatives contre 10 à 15% durant les années 50-60 du siècle précédent. Ce chiffre dépasse les 50% si l’on compte les activités spéculatives des entreprises industrielles et commerciales. La spéculation prend donc une part de plus en plus importante dans l’économie. Pour l’instant, la croissance mondiale de l’économie réelle est toujours positive, 4,9% au niveau mondial pour l’année en cours, mais fondée essentiellement sur le rapport économique qui existe entre la Chine (secondairement les pays sud asiatiques) et les Etats-Unis. Mais si pour l’instant les USA et la Chine sont les locomotives de l’économie mondiale, cela ne pourra pas durer tant les éléments qui les lient commercialement sont instables et générateurs de problèmes encore plus importants.

Chine et USA : folles locomotives de l’économie mondiale

Ainsi la croissance sud asiatique est maintenue à haut niveau grâce à la consommation de leurs productions à bas prix par les Américains. Les Etats-Unis importent plus qu’ils n’exportent. Le déficit de la balance des paiements américaine était de 725 milliards de dollars en 2005 soit 7% du produit intérieur brut. Et selon la banque Morgan Stanley les consommateurs américains ont fait l’économie de 600 milliards de dollars en achetant massivement des produits venus de Chine au cours de la dernière décennie.

Mais ce haut niveau de consommation des Américains est permis grâce à une politique de crédits à bas coût et au surendettement des ménages qui atteint un taux de 130% (c’est-à-dire que pour chaque billet de 100 dollars qu’un américain gagne il doit en rendre 130 dollars à une maison de crédits !). Cette politique de crédit à bas prix et d’endettement est maintenue grâce entre autres à l’apport de fonds d’investissement étrangers aux USA, en particulier chinois : la Chine a acheté près de 1000 milliards de dollars de monnaies étrangères, dont les trois quarts sont des dollars. La balance commerciale entre la Chine et les Etats-Unis est en faveur de la Chine à hauteur de 201 milliards de dollars. Autrement dit, les pays d’Asie du sud-est soutiennent le marché américain afin de pouvoir écouler leurs marchandises. Les Etats-Unis sont donc le pays le plus gros débiteur vis-à-vis du reste du monde. Les ménages américains, l’Etat américain et nombre d’entreprises américaines sont sur le fil du rasoir et peuvent à tout moment basculer dans la banqueroute. Par exemple, si les taux d’intérêts directeurs de la Réserve fédérale augmentaient à nouveau, le coût des emprunts s’envolerait. La consommation américaine chuterait entraînant les pays d’Asie du sud-est dans la récession, car les entreprises de Chine ou d’ailleurs seraient incapables d’écouler leurs marchandises sur leur marché intérieur qui n’est pas solvable. Par ricochets, c’est l’économie mondiale qui pourrait entrer en récession.

Le capitalisme évolue de crise en crise plus importante encore. Les périodes d’accalmies ou de croissance ne sont en réalité que des intermèdes entre deux crises. Et les moyens que les capitalistes et leurs gouvernements trouvent pour repousser les crises ne font qu’accentuer la gravité de la crise à venir. Et petit à petit les politiques menées pas les gouvernements afin de préserver leur économie et les intérêts de la bourgeoisie nationale, mènent à l’accentuation des tensions à travers le monde. A plus long terme, la solution ultime qui leur reste c’est d’entrer dans une phase de guerre généralisée qui entraîne la destruction massive des forces productives – hommes et machines – et qui permet de mettre fin à la surproduction et à la baisse du taux de profit dans la période de reconstruction qui s’ensuit. Nous sommes aujourd’hui comme hier, et certainement bien plus qu’hier, devant la célèbre alternative : socialisme ou barbarie !

Par Yann Venier