Texte du congrès mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière (4/4) : Les syndicats et le CIO

Le Congrès mondial de l’Internationale à laquelle est affiliée la Gauche Révolutionnaire, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI), a eu lieu du 22 au 27 janvier 2022. À cause de la pandémie et des restrictions de voyage, nous avons dû nous réunir par Zoom pour ces six jours de discussion de très haute qualité. Il y avait des camarades de toutes les sections du CIO, en Europe, Asie, Afrique et Amériques. Le Congrès mondial permet de discuter en profondeur de l’analyse de la situation, des perspectives, et des tâches de notre parti mondial et de la classe ouvrière. C’est également là que les délégués élisent la direction internationale sur la base de ces discussions.

Les délégués ont discuté et voté cinq textes (Situation mondiale, perspectives et relations mondiales ; Afrique et Amérique Latine ; Europe ; Les syndicats et notre approche ; Construction du CIO). Voici le dernier. Ici c’est le premier, le deuxième et là le troisième.

1. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) a toujours souligné l’importance du travail dans les syndicats. Marx, Engels, Lénine, Trotsky, et tous les grands dirigeants marxistes ont décrit les syndicats comme une forme élémentaire des luttes des travailleurs pour remettre en cause l’exploitation capitaliste.

2. Une condition d’affiliation à la Troisième Internationale sous Lénine et Trotsky était que les partis et les groupes devaient mener un travail conséquent dans les syndicats. En 1938, Trotsky a précisé que « l’auto-isolement capitulard hors des syndicats de masses, équivalant à la trahison de la révolution, est incompatible avec l’appartenance à la IVe Internationale ». La résolution de fondation du CIO en 1974 a réaffirmé « notre confiance dans le prolétariat industriel comme la force décisive dans la lutte pour le socialisme dans chaque pays. »

3. Pourtant, lors de la lutte de fraction de 2018-2019 au sein du CIO, il s’est avéré nécessaire de réaffirmer les points fondamentaux sur l’importance du travail syndical. Dans un certain nombre de nos anciennes sections, l’opposition avait rompu avec les méthodes et les traditions du CIO et avait laissé le travail syndical s’atrophier, ou devenir opportuniste ou presque inexistant. Dans certaines d’entre elles, le travail souvent laborieux dans les syndicats a été abandonné ou à peine suivi ou encouragé. Mais comme Trotsky l’a souligné : « Nous ne pouvons pas choisir l’arène et les conditions de notre activité en fonction de nos goûts et de nos dégoûts ». Sans minimiser les difficultés bureaucratiques réelles auxquelles sont confrontés les camarades travaillant dans les syndicats, la direction du CIO s’est résolument opposée à cet abandon de l’approche historique des marxistes vis-à-vis des organisations de masse de la classe ouvrière et de la construction d’un soutien au marxisme sur les lieux de travail.

4. Même avec tous les changements significatifs dans la structure et les conditions de travail, l’imposition d’une législation antisyndicale et le déclin des grèves et autres luttes industrielles au cours des dernières décennies, etc. qui ont tous affaibli le pouvoir des syndicats « traditionnels », de nouvelles possibilités existent pour l’unité de classe et l’action. La déqualification, par exemple, signifie que les travailleurs de l’artisanat et ceux des professions traditionnellement plus bourgeoises, comme l’enseignement, ont maintenant beaucoup plus en commun avec la majorité des travailleurs et ont développé un niveau de conscience syndicale beaucoup plus élevé. Une énorme réunion en ligne organisée par le principal syndicat d’enseignants et de travailleurs de l’éducation, le NEU, en Grande-Bretagne, réunissant jusqu’à 400 000 membres, pour discuter de questions liées au COVID, témoigne de ce processus.

5. Dans le même temps, le CIO a reconnu et analysé les changements dans la composition des classes. Dans les économies capitalistes avancées, il y a eu un déclin des secteurs « traditionnels » de la classe ouvrière industrielle, parallèlement aux changements technologiques et autres sur les lieux de travail. Pourtant, les secteurs de la production, de l’industrie et du transport constituent toujours une part importante de bon nombre de ces économies, avec un énorme potentiel de puissance collective, aux côtés de « nouvelles » sections de l’industrie dans la logistique et les communications électroniques. La taille et la force potentielle de la classe ouvrière en Asie, en particulier en Chine, et ailleurs, ont augmenté massivement en raison de la mondialisation et de la délocalisation de la production vers des économies à bas salaires.

6. La classe ouvrière est plus nombreuse que jamais et reste l’agent clé du changement social. Environ trois milliards de personnes sont employées sous une forme ou une autre dans le monde. Environ deux milliards d’entre elles appartiennent aux « secteurs informels » (par exemple, les travailleurs précaires et « irréguliers », les entreprises non enregistrées, les indépendants). Une tâche importante du mouvement des travailleurs est d’organiser et d’impliquer ces très nombreux travailleurs.

7. En général, les effectifs syndicaux ont diminué dans les pays capitalistes avancés et dans d’autres parties du monde, en raison des facteurs mentionnés ci-dessus et de l’incapacité des directions syndicales à défendre leurs membres. Le déclin des effectifs syndicaux peut en résumé s’expliquer, d’une part, par des décennies d’offensive bourgeoise et, d’autre part, par l’incapacité des directions syndicales réformistes/de droite à s’opposer sérieusement à l’attaque capitaliste et à défendre les intérêts fondamentaux des travailleurs. Les politiques pro-capitalistes de nombreux dirigeants syndicaux signifient qu’ils freinent ou trahissent consciemment les luttes des travailleurs, ce qui est un facteur majeur d’affaiblissement de l’attrait et de la force des syndicats. L’échec, dans la plupart des pays, de la coordination des syndicats pour mener des actions de grève sérieuses et soutenues, y compris des grèves générales, pendant la vague d’attaques brutales contre l’austérité, il y a dix ans, en est un exemple. Il n’est pas surprenant que cela ait eu un effet sur les effectifs syndicaux. Même dans l’Allemagne hautement industrialisée, les effectifs de la DGB ( la Confédération syndicale allemande) ont chuté de plus de 6 millions en 2016 à 5,85 millions aujourd’hui (en 1991, juste après l’unification allemande, les effectifs étaient de 11,8 millions). Selon un article de Forbes de 2019, « en 1985, le taux moyen de syndicalisation dans les pays de l’OCDE était de 30 % et aujourd’hui, ce taux est tombé à seulement 16 % ». La baisse de la syndicalisation est commune à la plupart des pays de l’OCDE et « les seuls à avoir progressé depuis 1985 sont l’Islande, la Belgique, l’Espagne et l’Italie ». Pourtant, le magazine ajoute notamment : « Compte tenu de l’insatisfaction économique, de la lenteur de la croissance des salaires et de la généralisation des inégalités, on constate un regain d’intérêt pour le recours aux syndicats afin de renforcer la voix collective des travailleurs et leur pouvoir de négociation » (et ceci a été écrit avant la crise de la Covid, depuis laquelle le taux de syndicalisation a augmenté dans certains secteurs, comme nous le verrons plus loin).

8. En outre, une faible « densité » syndicale n’empêche pas de puissantes luttes de classe, comme nous l’avons vu en France, où le pourcentage de travailleurs syndiqués était historiquement bas. Des syndicats plus petits et combatifs peuvent attirer des couches plus larges de travailleurs précédemment non organisés lors d’une lutte de classe plus intense. Comme Trotsky l’a souligné dans les années 1930 – lorsque l’affiliation syndicale ne dépassait généralement pas 20 à 25 % des travailleurs (et principalement des travailleurs qualifiés et mieux payés) – pendant les périodes de lutte de classe intense, les militants peuvent former des comités de grève ad hoc qui englobent tous les travailleurs, et pas seulement les membres du syndicat.

9. Alors que la plupart des travailleurs du monde néocolonial ne sont pas organisés dans des syndicats, une classe ouvrière potentiellement puissante a déjà émergé dans de nombreux pays. En janvier 2020 et janvier 2021, nous avons assisté au mouvement colossal de 250 millions de travailleurs en Inde, qui ont participé à des grèves générales organisées par dix grandes organisations syndicales.
10. Il est du devoir des marxistes, dans la mesure du possible, d’adhérer à un syndicat et d’y jouer un rôle actif, sinon nous laissons les travailleurs dans les syndicats à la merci de la droite et des réformistes. Engels décrivait les syndicats comme des « écoles de guerre » pour la classe ouvrière. Nos camarades peuvent se faire politiquement les dents dans les sections syndicales, les conseils syndicaux et les autres organisations basées sur les syndicats, en affrontant la droite et les réformistes avec nos idées et nos méthodes. Cela implique désormais, dans de nombreux cas, de s’attaquer aux politiques identitaires qui sèment la division – dont la terminologie et la pratique ont malheureusement infiltré le mouvement ouvrier dans de nombreux pays (nous devons réaffirmer le fait historique que si les travailleurs ont diverses « identités » – telles que la couleur de peau, l’ethnicité, le sexe, l’orientation sexuelle ou la religion – les syndicats peuvent jouer un rôle en les unissant en tant que travailleurs sur leur lieu de travail contre leur source d’exploitation, le capitalisme). Même avec le faible état d’organisation de nombreux syndicats, nos camarades bénéficieront grandement de la confrontation d’idées et de méthodes, illustrant la supériorité du marxisme. Par exemple, nous devrions reprendre les « concepts organisationnels » de personnalités telles que l’universitaire américaine Jane McAveley, par écrit et dans les forums syndicaux internationaux, etc., dans la mesure du possible, qui est promue par la bureaucratie syndicale dans un certain nombre de pays (elle préconise une organisation syndicale de base mais efficace sur le terrain, qui a trouvé un écho parmi une couche de militants frustrés par l’effet paralysant des bureaucraties syndicales, mais McAveley minimise la question des structures syndicales démocratiques et de la représentation politique, ainsi que d’autres questions essentielles). Avec notre programme d’action et nos appels à la démocratie syndicale, nous nous distinguons de toutes les autres tendances. Les camarades écossais impliqués dans la préparation du sommet de la COP26, fin 2021, ont défendu l’organisation d’un forum syndical sur la manière dont les travailleurs et les syndicats devraient lutter contre les nationalisations et la nécessité d’une « transition socialiste » pour faire face à la crise environnementale. L’activité des sections jeunesse des syndicats peut permettre de gagner de jeunes travailleurs. Le travail solidaire international dans les syndicats nous aidera également à construire un soutien pour le CIO dans d’autres pays.
11. Il est important que notre travail quotidien dans les syndicats et sur les lieux de travail – les luttes, les victoires et les défaites – soit régulièrement rapporté dans la presse, les sites web et les réseaux sociaux de notre parti. Cela permet d’ancrer les sections dans la classe ouvrière et d’attirer les contacts militants ouvriers. Mais nous ne nous contentons pas de décrire ce qui se passe sur les lieux de travail ; nous devons également proposer des tactiques et un programme de lutte nécessaires pour affronter les patrons et transformer les syndicats.

12. Bien que notre travail syndical soit varié, dépendant souvent de la taille et des ressources de chaque section, le CIO a été en mesure de mener des activités cohérentes et de réaliser des gains impressionnants. L’ampleur de notre travail syndical et notre orientation stratégique vers la classe ouvrière organisée sont visibles dans les exemples ci-dessous.

13. L’élection de la camarade Carmel Gates au poste de Secrétaire générale de la NIPSA, le plus grand syndicat d’Irlande du Nord, au début de cette année, est une grande réussite pour les camarades d’Irlande et pour l’ensemble du CIO. Cette victoire est le résultat de décennies de travail remarquable des camarades dans l’une des situations objectives les plus difficiles d’Europe occidentale, dans une société divisée sur des bases sectaires. La conquête de cette position pose de grandes opportunités et de grands défis. La droite contrôle actuellement l’organe exécutif de la NIPSA, qui s’appuie sur le caractère officiel. Il y a urgence à essayer d’utiliser ce poste pour construire la base de la NISPA. En effet, développer une nouvelle couche de cadres dans les syndicats est une tâche essentielle partout.

14. En Angleterre et au Pays de Galles, nous avons des camarades dans les instances dirigeantes nationales de plusieurs syndicats, dont Unison, le RMT, la Napo (agents de probation), le NEU (syndicat des enseignants). Dans le PCS (fonctionnaires et secteur public), où nous avions auparavant une position forte dans les instances dirigeantes, nos deux camarades restants au sein de l’exécutif du PCS ont perdu leurs sièges lors des dernières élections. Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs, notamment du fait que la direction de Serwotka s’est opposée à nos camarades au cours des dernières années dans un contexte de virage à droite, et du fait du faible niveau d’activité des membres du PCS (deux tiers des membres du PCS travaillent à domicile depuis le confinement). Nous sommes actifs dans environ 35 conseils syndicaux (organes locaux de délégués syndicaux) en Grande-Bretagne et avons des positions plus importantes/ dirigeantes dans environ 20 de ces organes.

15. En Écosse, nous avons des camarades qui occupent des positions dirigeantes dans de grandes sections de Unison (10 000 dans la région de Glasgow et 2 000 dans celle de Dundee), et dans le CWU (syndicat des télécoms, 2 500 membres).

16. En France, nos camarades mènent des activités principalement au sein de la CGT. Par exemple, des camarades occupent trois postes de secrétaire d’Union locale CGT, plusieurs camarades ont des responsabilités locales, et un camarade est secrétaire national nouvellement élu d’un petit syndicat CGT dans l’intérim.

17. Dans le monde néo-colonial, nos camarades participent souvent à la construction de nouveaux syndicats. En Malaisie, par exemple, les camarades travaillent en étroite collaboration avec les dirigeants du nouveau syndicat des travailleurs de la glace. À Pune, les camarades aident les travailleurs de la construction à s’organiser. Au Nigeria, les camarades ont une approche flexible, selon les circonstances, travaillant au sein des syndicats, intervenant par le biais du CDWR (Campagne pour les droits démocratiques et les droits des travailleurs), et travaillant en tant que DSM dans le cadre de diverses alliances « travail-société civile ».

18. La crise de la Covid a mis en lumière le rôle clé des travailleurs  » essentiels  » dans les services publics et les transports (santé, éducation, services sociaux), montrant ainsi que c’est la classe ouvrière qui fait tourner la société. La situation post-confinement a vu une intensification des grèves industrielles dans de nombreux pays, les travailleurs étant déterminés à mener des actions plus résolues pour se défendre contre les nouvelles attaques des patrons. La grève de six semaines des travailleurs des deux principaux hôpitaux de Berlin – pour certains travailleurs sur la question des salaires dans les sociétés de services sous-traitées, et pour les infirmières et autres personnels, sur l’amélioration des effectifs – montre une fois de plus que l’action militante gagne du soutien et des membres. Deux-mille cinq-cents nouveaux membres ont rejoint le syndicat du secteur public au cours de cette lutte et une nouvelle couche de militants s’est développée, beaucoup d’entre eux prenant pour la première fois des responsabilités au sein de la lutte. Cependant, ce conflit montre également les limites de certaines forces de gauche, qui n’ont pas proposé une stratégie claire capable de défier pleinement l’appareil. Les camarades allemands ont pu établir des relations avec certains des militants de la grève et, à ce jour, ont gagné deux infirmières pour l’organisation grâce à leur intervention.

19. La situation post-pandémique se caractérise par une pénurie de main-d’œuvre et de matériaux dans certains secteurs de l’économie, comme le manque criant de chauffeurs de poids lourds en Grande-Bretagne (le Brexit est également un facteur dans ce cas). Cela peut encourager les travailleurs, dans certains secteurs, à utiliser leur pouvoir de négociation relatif pour lutter pour des salaires et de meilleures conditions de travail. À l’échelle mondiale, la flambée des prix de l’énergie et les problèmes d’approvisionnement alimenteront les revendications pour une hausse des salaires. Dans le monde néo-colonial, la crise est encore plus profonde. Les taux encore élevés d’infection par la Covid et les faibles niveaux de vaccination rendent ces économies vulnérables à une faible reprise économique et à une forte inflation. Les travailleurs n’auront d’autre choix que de se battre pour de meilleurs salaires afin de survivre.

20. Dans d’autres secteurs de l’économie, la pandémie a accéléré les fermetures et les pertes d’emplois.Dans la plupart des cas, les dirigeants syndicaux conservateurs sont loin de répondre aux besoins des travailleurs. Le syndicat des métallurgistes en Allemagne, IG Metall, a conclu des accords de compromis dans l’industrie automobile, des équipements et des machines, où des dizaines de milliers d’emplois ont été supprimés, ainsi que la fermeture de petites usines. Les travailleurs sont de plus en plus mécontents du fait que les suppressions d’emplois ont été présentées dans le contexte de changements industriels, par exemple la transition vers l’électrique, alors qu’en réalité, les lignes de production sont déplacées vers des pays où les travailleurs sont payés moins cher. Des protestations locales ont eu lieu, mais aucune action de grève coordonnée sérieuse n’a été menée pour résister au massacre de l’emploi, car les dirigeants syndicaux voulaient souvent une  » caution  » pour calmer la colère des travailleurs et montrer qu’ils faisaient quelque chose.

21. Les législations antisyndicales ont toujours un effet de blocage dans de nombreux endroits. Cependant, de plus en plus de travailleurs arrivent à la conclusion qu’ils n’ont rien à perdre à bafouer les lois.

22. Notons que les luttes sur les lieux de travail se multiplient (comme aux États-Unis) et que le nombre de syndiqués augmente, dans certains pays, car le confinement a montré la nécessité d’une organisation et d’une action collectives. En Grande-Bretagne, par exemple, le recrutement syndical est en hausse depuis quatre années consécutives, bien qu’il concerne principalement le secteur public, comme c’est le cas dans d’autres pays. Le nombre de syndiqués a augmenté dans le secteur de l’éducation (petite enfance et écoles) et dans le secteur des soins sociaux en Écosse, où l’on a également constaté une forte augmentation du nombre de nouveaux délégués syndicaux dans les administrations locales et les écoles (et qui tendent à être des femmes et des jeunes). Tous ces secteurs sont durement touchés par la crise de la Covid et montrent que les travailleurs sont plus susceptibles de se syndiquer s’ils voient une raison concrète de le faire.

23. À tout moment, il est nécessaire de trouver un juste équilibre dans notre travail au sein des syndicats. Nous devons éviter les pièges du sectarisme, du gauchisme et de l’opportunisme. Il est également nécessaire de veiller à ce que les camarades qui travaillent dans le domaine syndical ne s’enferment pas dans des  » problèmes spécifiques aux lieux de travail  » et que nos camarades soulèvent des questions politiques plus larges. Au cours des années de conflit en Irlande du Nord, les camarades de la NISPA ont amené le syndicat, officiellement du moins, à adopter une position de classe sur la répression d’État et même à défendre une « économie socialiste ». Marx et Engels ont applaudi chaque avancée concrète de la classe ouvrière à travers les luttes syndicales, mais ils sont aussi allés plus loin. Utilisant leur autorité au sein de la Première Internationale, ils ont essayé d’orienter les syndicats vers une lutte généralisée contre le capitalisme tout en soutenant toutes leurs luttes quotidiennes. Tout en collaborant avec certains dirigeants syndicaux, Marx et Engels ont également souligné leurs limites, ainsi que celles des syndicats dans leur ensemble : « Les syndicats (…) ne sont pas encore tout à fait conscients de la force qu’ils représentent contre le système lui-même de l’esclavage salarié. Ils se sont trop tenus à l’écart des mouvements sociaux et politiques plus généraux », a commenté Marx.

24. C’est en gros l’approche de nombreux dirigeants syndicaux aujourd’hui. Ils ne prennent pas d’initiatives pour construire de nouveaux partis ouvriers de masse et, dans de nombreux cas, ils font sciemment obstacle à de tels développements. Certains se distancient de la social-démocratie de droite mais adoptent une position « apolitique » qui, en fin de compte, nuit aux syndicats et aux intérêts de leurs membres. Le syndicalisme « apolitique » s’est développé au sein d’une couche de militants après la défaite du corbynisme au sein du parti travailliste en Grande-Bretagne. Les idées semi-syndicalistes se sont développées dans certains pays. Pourtant, comme l’a commenté Engels, cet état d’esprit va changer, car quand les syndicats  » gardaient vivante l’opposition des travailleurs à la… toute-puissance de la bourgeoisie « , il y avait une  » admission qu’il y avait besoin de quelque chose de plus que des syndicats et des grévistes pour briser le pouvoir de la classe dominante « . Il est de notre devoir de soulever avec audace la nécessité de construire un nouveau parti de masse de la classe ouvrière. Nous devons être attentifs aux différentes manières dont les nouveaux partis de masse de la classe ouvrière peuvent être formés, tout en appelant systématiquement à la participation des meilleurs militants ouvriers, des mouvements sociaux et de jeunesse, etc.

25. La Fédération sud-africaine des syndicats (SAFTU) a annoncé son intention de créer un nouveau parti, mais le processus est douloureusement lent, car elle s’efforce de « catalyser » un nouveau parti ouvrier. Sous la pression, un deuxième « Sommet de la classe ouvrière » a été convoqué pour le 27 octobre 2021 mais il n’a pas eu lieu. Nos camarades se sont correctement engagés dans ce processus et ont présenté un document pour le débat sur la voie à suivre pour un tel parti, qui contredit les arguments des staliniens qui ont essayé de stopper les progrès en lançant leur propre parti et d’autres qui hésitent.

26. Nous avons vu de nombreux dirigeants syndicaux jouer un rôle de collaboration avec les gouvernements capitalistes pendant la crise de la Covid, au nom de l' »unité nationale » et de la « paix sociale ». Cela reflétait le « double rôle » que les syndicats peuvent jouer, à différents moments ; comme moyen de faire progresser les luttes des travailleurs mais aussi de les freiner. Les dirigeants syndicaux peuvent chercher n’importe quelle excuse pour annuler une action, mais parfois leur trahison est flagrante. En septembre 2020, les dirigeants syndicaux nigérians ont annoncé une grève générale contre la hausse des prix du carburant et de l’électricité, pour ensuite annuler l’action juste avant qu’elle ne commence, après avoir conclu un accord pourri qui acceptait les arguments du gouvernement. Les campagnes et les revendications syndicales, en fait la lutte de classe, ont été  » mises au placard  » par des dirigeants syndicaux conciliateurs pendant le confinement, qui, en Grande-Bretagne, comprenait le syndicat de la fonction publique de  » gauche « , le PCS, et le syndicat des travailleurs du transport, le RMT. Nos camarades ont dirigé l’opposition à ces compromis, tandis que des organisations comme le SWP et le CPB ont approuvé la suppression par le secrétaire général du PCS, Mark Serwotka, d’une campagne nationale sur les salaires. Trotsky a souligné dans un article inachevé, « Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste », que sous l’immense pression de la société bourgeoise, les syndicats peuvent devenir des obstacles utilisés pour immobiliser la classe ouvrière, afin de l’empêcher d’organiser une défense efficace de ses acquis. De mars à juillet 2020, il n’y a presque pas eu de grèves en Grande-Bretagne et de nombreuses structures syndicales ont été fermées – un tableau désolant qui se répète dans de nombreux pays.

27. A contrario, le CIO a soulevé la nécessité d’une action de classe indépendante et a développé un programme complet pour faire face à la catastrophe de la Covid, y compris en appelant au contrôle des travailleurs sur la santé et la sécurité sur le lieu de travail. En utilisant notre méthode transitoire, nous avons habilement lié les besoins de la classe ouvrière pendant la crise de la Covid avec la nécessité de changer la société sur une base socialiste.

28. Dans la foulée des confinements, de nouvelles attaques contre les droits des travailleurs, telles que la politique de  » licencier et réembaucher  » de nombreux patrons (licencier des travailleurs pour ensuite les réembaucher avec des salaires et des conditions de travail inférieurs) sont des questions syndicales essentielles. Nombre de nos sections devront actualiser leurs revendications et leur programme afin de tenir compte des nouveaux développements, tels que le  » télétravail  » et le travail de bureau, ce qui implique de mettre en avant des revendications pour que les syndicats exercent un contrôle démocratique sur les conditions de travail (à domicile ou sur le lieu de travail traditionnel), ainsi que sur la santé et la sécurité, etc.

29. La pandémie a révélé la faiblesse non seulement des dirigeants syndicaux de droite mais aussi du programme des dirigeants de gauche. La South African Federation of Trade Unions a présenté, en fait, un programme « minimum et maximum » – des revendications réformistes avec « socialisme » rajouté à la fin. Avant la pandémie, la Saftu a appelé à un plan de relance et à une réduction des taux d’intérêt – des politiques que le gouvernement de l’ANC s’est empressé de mettre en place comme mesure d’urgence lors de l’apparition de la Covid. Ce n’est qu’au cours des derniers mois que la Saftu a appelé à la nationalisation des banques, et encore, en termes de propriété publique des « banques oligopolistiques ».

30. Les grèves d’avertissement menées par les syndicats du secteur public en Allemagne au sujet des salaires ont impliqué un nombre important de travailleurs, indiquant les possibilités de développer des actions. Mais les dirigeants syndicaux n’ont pas voulu aller plus loin, ce qui a suscité de vives critiques de la part de certaines catégories de travailleurs, dont le personnel hospitalier. Même certains dirigeants/militants syndicaux de gauche ont présenté l’accord comme « bon vu les circonstances ». Mais parmi les infirmières, en particulier, le sentiment était que l’augmentation était bien trop faible, compte tenu de la charge de travail et du manque de personnel. À la fin de l’année, un accord encore plus mauvais a été conclu dans une autre partie du secteur public, ce qui a suscité quelques critiques. Toutefois, en l’absence d’une opposition de gauche organisée, celle-ci n’a pas encore trouvé d’expression claire.

31. Les jeunes ont été les plus touchés par les effets de la crise de la Covid, beaucoup d’entre eux ayant perdu leur emploi ou étant confrontés à des conditions d’emploi encore plus précaires. Il est vital que nous mettions en avant nos revendications de classe pour les jeunes travailleurs dans les syndicats. En Angleterre et au Pays de Galles, les camarades ont relancé la campagne Youth Fight for Jobs, qui bénéficie déjà d’un soutien syndical important et peut jouer un rôle important dans le développement de notre base parmi les jeunes travailleurs.

32. L’incapacité de la bureaucratie syndicale à organiser efficacement les travailleurs précaires, les jeunes travailleurs en particulier, a donné une impulsion au développement de nouveaux syndicats « militants » plus petits dans certains pays. Les syndicats britanniques IWGB et United Voices, par exemple, qui comptent chacun environ 3 à 4 000 membres, ont remporté quelques victoires pour les jeunes travailleurs (souvent des immigrants) occupant des emplois précaires, comme les employés de Deliveroo. Des actions de grève récurrentes ont eu lieu dans les centres Amazon depuis des années en Allemagne. Des grèves sauvages des coursiers Gorilla (principalement de jeunes immigrés) ont eu lieu récemment à Berlin. Ces actions impliquant principalement de jeunes travailleurs précaires ont été organisées non seulement par de nouveaux petits syndicats, mais aussi par des syndicats établis. L’entrée de ces jeunes travailleurs dans le domaine des luttes industrielles est un développement important qui fera des émules dans d’autres pays.

33. Les marxistes ne sont pas fétichistes des formes d’organisation, y compris celles des syndicats. Là où de nouveaux syndicats sont capables de gagner une base, nous pouvons nous orienter vers eux. Cependant, il est nécessaire de combattre habilement les idées anarchistes et anarcho-syndicalistes ou semi-anarcho-syndicalistes qui prévalent souvent dans ces petits syndicats. Les faiblesses organisationnelles et idéologiques font que certains des nouveaux petits syndicats ne peuvent se développer que jusqu’à un certain point. Et si ces nouveaux syndicats sont capables de se développer et de ne pas tomber dans le conservatisme et la bureaucratisation, il faut gagner la bataille de la démocratie syndicale, avec l’élection de responsables sur la base d’un salaire ouvrier, etc.

34. Il ne fait aucun doute qu’un degré avancé de dégénérescence bureaucratique s’est produit dans certains syndicats et que les cadres syndicaux privilégiés et hautement rémunérés sont de plus en plus éloignés de la vie et des conditions de vie de leurs membres. De nombreux syndicats ont adopté un rôle de « service » et de gestion. La participation de la base est de plus en plus faible, le taux de participation aux élections syndicales est très bas et l’âge moyen des membres actifs a augmenté. Aux États-Unis et dans d’autres pays, de nombreux dirigeants syndicaux sont notoirement corrompus (par exemple, le récent scandale autour du United Autoworkers’ Union). De nombreux membres de la base des syndicats sont dégoûtés par la bureaucratie corrompue qui vend les membres en échange d’une richesse relative et du confort de leur position. Dans les anciens États staliniens, de nombreux syndicats ne sont rien de plus que des « syndicats jaunes » qui travaillent main dans la main avec des régimes réactionnaires et gangsters. Cependant, il est correct de s’orienter vers ces syndicats lorsqu’ils organisent ou peuvent mobiliser un nombre important de travailleurs. Lénine a demandé aux bolcheviks de travailler dans les syndicats gérés par les Tsaristes parce qu’on y trouvait un nombre important de travailleurs, et Trotsky a même préconisé de travailler dans des syndicats sous des régimes fascistes, où il n’existait pas de syndicats indépendants. Dans le monde néocolonial, de nombreux syndicats bénéficient du patronage de l’État et des patrons, tandis que la faible bourgeoisie de ces pays s’appuie sur les syndicats pour maintenir son pouvoir. Dans des situations exceptionnelles, lorsque les dirigeants syndicaux agissent systématiquement pour écraser les bases du soutien militant, le départ de membres et leur adhésion à un autre syndicat ou la création d’un nouveau syndicat peuvent être valables.

35. Pourtant, la majorité des syndicats sont toujours l’expression de la classe ouvrière organisée. D’une manière générale, nous visons à construire et à renforcer les syndicats existants en mobilisant les membres autour d’un programme de lutte pour l’action et pour la démocratie syndicale. Même les directions les plus droitières et les plus dégénérées peuvent être contraintes par la pression de la base à agir ou à être écartées. La victoire de la gauche aux élections à la direction nationale d’Unison, en Grande-Bretagne, plus tôt cette année, montre que même ce qui semblait être une emprise de fer de la droite peut être brisé. Cela n’a pas été spontané, mais a nécessité des années d’activité de la part des militants de gauche, ainsi que l’opposition croissante des membres d’Unison aux accords pourris de la direction de droite avec la direction, aggravés par la crise des Covid.

36. Comme l’a montré le puissant mouvement du « printemps arabe » en Égypte et en Tunisie il y a dix ans, même les syndicats liés à des régimes réactionnaires et bonapartistes peuvent servir de canal aux vagues de grèves et autres actions de masse de la classe ouvrière visant à renverser les dictateurs. Les syndicats peuvent jouer un rôle conservateur à un moment donné et un rôle insurgé à d’autres moments. Plutôt que de rejeter les syndicats d’une manière sectaire, nous mettons en avant des revendications pour démocratiser complètement les structures, pour le contrôle de la base et la responsabilité de tous les élus, et pour que les syndicats soient des organisations de campagne et de lutte de classe. Au fur et à mesure que le rythme des luttes de classe s’accélère, les syndicats, même les plus à droite, ne seront pas à l’abri de la radicalisation d’une grande partie de la classe ouvrière et de la jeunesse, ce qui se traduira par un afflux de nouveaux membres militants et par un conflit aigu avec les dirigeants conservateurs.

37. Pendant les luttes ouvrières, l’auto-organisation des travailleurs peut se développer en dehors des structures syndicales existantes. De plus en plus, des comités d’action de la base et des comités/réseaux de solidarité peuvent se former dans une tentative des travailleurs en grève de contrôler leur lutte et d’empêcher le sabotage et la capitulation de le bureaucratie. La lutte des travailleurs du magasin Debenham en Irlande du Sud, qui a duré un an et dans laquelle nos camarades sont constamment intervenus, a vu des éléments d’organisation locale par les travailleurs dans une tentative de contourner la direction conservatrice de leur syndicat.

38. De nombreuses luttes sociales et de classe ( de quartier, sur le logement, etc.) se déroulent en dehors des structures syndicales. Certains des militants de ces campagnes considèrent les syndicats avec méfiance, et comme susceptibles de jouer un rôle bureaucratique et castrateur. Néanmoins, nous devrions chercher à associer le mouvement ouvrier organisé à ces autres luttes – en associant les meilleurs militants syndicaux et le pouvoir potentiel des syndicats aux campagnes. Pendant la lutte contre la poll tax en Grande-Bretagne au début des années 1990, malgré le refus de la bureaucratie syndicale d’agir « illégalement », nos camarades ont constamment cherché à porter la campagne auprès des militants syndicaux et des sections locales, etc. pour demander du soutien et pour lier les luttes.

39. De nombreux dirigeants syndicaux de « gauche » qui sont passés à droite, sinon en paroles, du moins en actes, peuvent également être balayés par les membres qui, à travers leur propre expérience douloureuse des conditions de travail, des salaires et des pensions, de la politique de « licenciement et de réembauche », etc. apprennent qu’une direction combative est nécessaire. Les dirigeants syndicaux de « gauche » peuvent également faire des zigzags sous la pression des membres, et parfois même adopter certains éléments gauchistes, comme nous l’avons vu avec l’attitude de la direction actuelle du PCS envers la lutte actuelle aux services d’immatriculation des véhicules.

40. En dépit de ces processus généraux, cependant, des scissions dans les syndicats et les fédérations syndicales peuvent également se produire lorsque les travailleurs s’impatientent face à des directions étouffantes et conservatrices, en particulier dans le monde néocolonial où les masses sont confrontées à une situation désespérée et où les problèmes sont posés de manière très aiguë. « Les syndicats ne sont pas des fins en soi ; ils ne sont que des moyens sur la voie de la révolution prolétarienne », écrivait Trotsky dans les années 1930, et il affirmait que dans certaines circonstances, il est nécessaire  » de rompre directement avec l’appareil conservateur des syndicats « . Dans certaines situations, les marxistes aidaient à créer de nouveaux syndicats pour remplacer les syndicats désespérément antidémocratiques et bureaucratiques. En Afrique du Sud, nous nous sommes principalement orientés vers la South African Federation of Trade Unions, une scission de 2017 de la Cosatu (qui est toujours liée au gouvernement ANC). La Saftu est principalement implantée parmi les travailleurs industriels, bien qu’elle bénéficie également d’un soutien croissant de la part des travailleurs du secteur public. Nous avons établi une relation avec les militants de Saftu par le biais de notre campagne EPWP.

41. En général, cependant, nous incitons les travailleurs à se réapproprier les syndicats. Dans les pays capitalistes avancés, en particulier, les travailleurs n’abandonnent pas facilement leurs syndicats et en créent de nouveaux. Ils tenteront d’abord de démocratiser et de reconstruire ces organisations.

42. Dans d’autres parties du monde, en particulier dans les anciens États staliniens, nous aidons à construire des syndicats indépendants là où ils n’existent pas encore. Nous sommes en discussion avec des sympathisants au Kazakhstan engagés dans ce travail.

43. Les idées hostiles à toute direction semblent être revenues à l’ordre du jour dans certains pays. L’hostilité à la direction (ne s’adresser qu’à « la base ») peut avoir des significations très variées dans différents pays et, dans certains cas, il indique une tentative saine d’organiser les travailleurs sur le lieu de travail en opposition aux patrons et à la bureaucratie syndicale. Dans le passé, une approche grossière de la base par des groupes sectaires consistait à envoyer de jeunes militants sur les lieux de travail industriels et à exiger que les militants syndicaux n’occupent jamais de postes permanents dans les syndicats, qu’ils soient élus ou non. Aux États-Unis, le DSA connaît un débat sur les mérites de cette approche. D’une part, cela indique que les forces principalement petites-bourgeoises du DSA reconnaissent de plus en plus qu’une atmosphère plus militante se développe dans les syndicats. D’autre part, cela menace de reproduire les mêmes erreurs que celles commises dans le passé par les sectaires, lorsque des individus de la classe moyenne rejoignaient les syndicats et faisaient la leçon aux travailleurs sur la marche à suivre, recevant souvent des travailleurs un accueil mitigé.

44. Tout en étant ouvert aux initiatives audacieuses sur les lieux de travail, le fait que de jeunes camarades occupent des emplois dans l’industrie et dans les entreprises, qu’ils commencent des apprentissages, etc. est très important pour le développement de notre travail dans les entreprises et doit être encouragé. Le CIO a rejeté la politique grossière des gauchistes consistant à envoyer des forces extérieures dans les syndicats pour soi-disant réveiller les travailleurs de leur torpeur. Nous avons correctement défendu le type d’activité patiente qui était nécessaire pour gagner les meilleurs travailleurs à nos idées et pour construire une forte opposition de gauche dans les syndicats afin d’éliminer les dirigeants réformistes et pro-capitalistes. Cela peut parfois inclure de présenter des camarades à des postes syndicaux à plein temps (lorsqu’il existe des élections à ces postes), en s’engageant à ne prendre que le salaire moyen des travailleurs qu’ils représentent, à aider à promouvoir un programme de gauche combatif dans le syndicat, à améliorer notre profil et notre influence et à recruter. Rien ne peut remplacer la construction patiente d’une base solide au niveau des lieux de travail pour nos idées dans les syndicats. Mais nous pouvons utiliser des positions élues à de hauts niveaux pour présenter avec audace nos idées et gagner des militants syndicaux à notre bannière, y compris là où nous avons relativement peu de syndicalistes à l’heure actuelle.

45. La construction d’une véritable opposition de gauche dans le mouvement syndical est une tâche essentielle pour les camarades de nombreux syndicats. Le développement de l’opposition via des « gauches larges », des « réseaux » et des « alliances », etc., varie d’un pays à l’autre, mais dans la plupart des cas, ils ne sont pas répandus dans les syndicats ni ne sont forts, à ce stade. Nous combinons ce travail avec le renforcement de nos propres forces en même temps. Il s’agit d’une approche de type « front uni » que le CIO poursuit avec succès depuis des décennies, dans laquelle nous collaborons avec d’autres forces de gauche tout en conservant notre droit de présenter nos propres revendications, notre programme et nos idées révolutionnaires. Dans de nombreux syndicats, cependant, comme le syndicat des travailleurs de l’éducation en Grande-Bretagne, le NEU, les blocs de gauche traditionnels ont évolué vers la droite. Les anciennes organisations de gauche larges ont éclaté et/ou se sont transformées en leur contraire et ne jouent plus un rôle constructif. Cela reflète souvent les perspectives et les intérêts d’une couche d’anciens militants de gauche usés et cyniques, ou d’anciens militants de gauche qui n’en ont que le nom, qui font désormais obstacle à une véritable activité de la base de la gauche élargie. Les militants de gauche ont également tendance à s’intégrer dans l’appareil syndical, comme on le voit en Allemagne et dans de nombreux autres pays.

46. Nous ne pouvons pas être limités par de tels forces de « gauche large » qui ne jouent plus un rôle constructif. Au sein du PCS en Grande-Bretagne, des camarades ont pris l’importante initiative de créer un nouveau « réseau de gauche large », bien qu’il soit petit et à un stade précoce de développement. Comme l’a montré l’élection du secrétaire général de Unite, il est nécessaire de construire une gauche large efficace dans ce syndicat.

47. Notre programme et nos revendications pour les syndicats sont essentiels pour construire des organisations de gauche large avec d’autres. En même temps, nos commissions syndicales sont plus importantes que jamais, tout comme le fait d’améliorer constamment notre profil et notre programme marxiste dans les syndicats.

48. Dans la mesure du possible, nous devrions essayer d’initier des organisations intersyndicales de type gauche large . Le NSSN en Grande-Bretagne est un bon exemple du succès de cette approche, menée depuis 15 ans. Le groupe de pression en ligne du NSSN pour la conférence du TUC de septembre 2021, qui a accueilli les discours d’un groupe impressionnant de quatre secrétaires généraux de syndicats, a été suivi par 300 syndicalistes. Nos camarades qui ont pris la parole ont profité de l’occasion pour appeler à une action coordonnée des syndicats afin de faire échec aux dernières attaques des conservateurs et de gagner les revendications salariales du secteur public. Les camarades allemands continuent à construire le VKG (réseau de syndicalistes combatifs), bien qu’il doive développer un appel plus large aux jeunes travailleurs, car il a tendance à être dominé par des militants de gauche plus âgés.

49. La bataille pour les augmentations de salaire dans le secteur public après des années d’austérité est une caractéristique commune au niveau international et un véritable test pour les directions des syndicats. Les camarades d’Afrique du Sud en ont fait une partie importante de leur travail syndical – comme une question concrète à soulever et à appeler à l’action, et à utiliser pour analyser l’état des syndicats d’Afrique du Sud. En juillet 2020, la majorité des dirigeants syndicaux sud-africains ont signé un accord pourri sur cette question. Alors que nous appelons à une action syndicale coordonnée sur les salaires du secteur public, le reste de la gauche lance des appels abstraits à la  » grève générale  » sans rapport avec la situation sur le terrain.

50. Le CIO a toujours posé la question de la grève générale avec prudence, étant donné les enjeux, en particulier dans les pays où il n’y a pas de tradition d’appel à une telle action. Nous nous opposons au fait de réduire la grève générale à un simple geste ou une « valeur refuge » pour la colère des travailleurs, comme cela s’est régulièrement produit dans différents pays. Lorsqu’une grève générale limitée est appelée, nous insistons pour qu’elle fasse partie d’un plan de mobilisation et ne soit pas une fin en soi. Des grèves généralisées courtes avec des revendications spécifiques peuvent réussir à obtenir des victoires ou des concessions de la part des gouvernements ou des patrons, lorsqu’elles sont bien préparées. Une grève générale longue ou illimitée peut poser la question de savoir qui dirige la société et du pouvoir des travailleurs. Cela exige une préparation particulièrement sérieuse de la part des syndicats, y compris des comités d’action de masse aux niveaux local, régional et national qui maintiennent la grève, organisent la distribution de nourriture et de médicaments et d’autres produits d’urgence, etc. pour réussir. Ceci est particulièrement nécessaire pour atteindre et impliquer les travailleurs non organisés, les jeunes, les pauvres et, en particulier dans les pays néo-coloniaux, les petits commerçants, les travailleurs ruraux et les petits agriculteurs, etc. Une grève générale bien organisée augmentera considérablement la confiance et le pouvoir de la classe ouvrière et posera même la question d’un gouvernement de la classe ouvrière. Néanmoins, une grève générale ne peut que poser la question du pouvoir ; elle ne peut à elle seule réussir à prendre le pouvoir à la classe capitaliste. Le mouvement héroïque des masses au Myanmar contre la dictature militaire comprenait des grèves générales, mais il n’y avait pas de parti révolutionnaire de la classe ouvrière pour mener une lutte en vue de prendre le pouvoir. Des grèves générales mal organisées par les directions syndicales peuvent diminuer la confiance de la classe ouvrière et renforcer la main de la classe capitaliste. Depuis la pandémie, il y a eu deux grèves générales en Afrique du Sud qui ont été des flops.

51. L’unité du mouvement ouvrier, basée sur un programme socialiste de combat, est primordiale dans la lutte. Les patrons et les forces réactionnaires chercheront à provoquer des divisions et des scissions au sein du mouvement ouvrier, ce à quoi nous devons être en première ligne pour résister. L’ombre de la menace d’une division sérieuse dans les syndicats en Irlande est posée par la poussée des nationalistes pour le « verdissement » des syndicats. Inévitablement, des revendications pour des syndicats « orange » suivront si ce processus n’est pas arrêté [pression pour l’organisation de syndicats sur base sectaire]. Nos camarades du NIPSA et d’autres syndicats ont déjà joué un rôle important en repoussant la menace potentielle de division du mouvement ouvrier irlandais selon des lignes sectaires, et la plate-forme du NIPSA nouvellement gagnée peut grandement aider dans cette lutte.

52. Par-dessus tout, notre rôle sur les lieux de travail et dans les syndicats est de construire les forces du socialisme révolutionnaire, du trotskisme. Une tâche essentielle consiste à reconstituer nos forces dans les syndicats en recrutant des jeunes. Il incombe aux camarades syndicaux de longue date et aux sections, dans leur ensemble, de veiller à ce qu’une nouvelle génération soit gagnée à nos idées et méthodes dans les syndicats, en préparation des grandes batailles de classe à venir. Ces nouveaux camarades syndicaux doivent être imprégnés des méthodes et des idées du CIO dès le départ et être pleinement intégrés dans les sections. Bien qu’un certain degré de « spécialisation » au sein de l’organisation soit inévitable, il est important de veiller à ce que tous les nouveaux membres issus du milieu syndical soient capables de jouer un rôle à part entière dans les sections et les autres structures du parti et d’être actifs en tant que membres du parti (en vendant le journal, en participant aux activités de rue, en donnant l’exemple aux sections, etc.). De même, les sections, dans leur ensemble, doivent discuter de comment aider le travail des camarades syndicalistes. Les sections locales doivent discuter de leur orientation vers les lieux de travail importants et réagir rapidement aux conflits industriels. Les détails de la manière dont les camarades locaux développent le travail ouvrier – comment les camarades interviennent sur les piquets de grève, entreprennent des actions de solidarité, établissent des contacts pour l’organisation parmi les travailleurs, etc… – doivent être soigneusement discutés par tous les niveaux des sections du CIO. L’identification des camarades syndicalistes avec leur section et le CIO est importante pour rehausser notre profil et encourager une conscience révolutionnaire qui est maintenue dans le travail des camarades dans les syndicats. Le développement d’un fort courant marxiste/trotskyste dans les syndicats est la meilleure façon de se préparer aux batailles de classe orageuses qui nous attendent.