Le Congrès mondial de l’Internationale à laquelle est affiliée la Gauche Révolutionnaire, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI), a eu lieu du 22 au 27 janvier 2022. À cause de la pandémie et des restrictions de voyage, nous avons dû nous réunir par Zoom pour ces six jours de discussion de très haute qualité. Il y avait des camarades de toutes les sections du CIO, en Europe, Asie, Afrique et Amériques. Le Congrès mondial permet de discuter en profondeur de l’analyse de la situation, des perspectives, et des tâches de notre parti mondial et de la classe ouvrière. C’est également là que les délégués élisent la direction internationale sur la base de ces discussions.
Les délégués ont discuté et voté cinq textes (Situation mondiale, perspectives et relations mondiales ; Afrique et Amérique Latine ; Europe ; Les syndicats et notre approche ; Construction du CIO). Voici le premier.
1. Ce 13ème congrès du CIO se déroule dans une période historique de crises et de bouleversements du capitalisme. Alors que toutes les tendances de la crise étaient présentes avant 2020, l’apparition de la pandémie de COVID-19 a agi comme un accélérateur et a tout changé. Certains commentateurs décrivent même les événements mondiaux comme étant « avant COVID » et « après COVID ».
2. Le capitalisme mondial, comme nous l’avons expliqué dans nos analyses, est aujourd’hui confronté à une série de crises multiples et convergentes. Celles-ci sont : économique, sociale et politique, sanitaire, des relations interétatiques et environnementale. Bien que dans certains pays, il y ait un certain répit vis-à-vis de la pandémie de Covid-19, au niveau mondial, elle continue de façonner la situation économique, sociale et politique, comme en atteste le nouveau variant, Omicron, qui sera suivi par d’autres. L’aggravation de la crise environnementale a également un impact plus direct sur les événements économiques, sociaux et politiques.
3. La classe ouvrière et le CIO sont maintenant dans une nouvelle ère historique de bouleversements et de turbulences. Elle est marquée par des événements qui se déroulent à une vitesse fulgurante, dans lesquels il y a beaucoup d’incertitudes. Bien qu’il y ait des tendances claires dans la situation mondiale, il y a beaucoup d’aspects qui ne sont pas encore clairs et qui restent incertains.
4. Toutefois, ce qui est certain, c’est que le capitalisme ne sera pas en mesure de résoudre les crises systémiques latentes auxquelles il est confronté. Il ne sera pas non plus en mesure de « se redémarrer », comme l’ont affirmé certains commentateurs bourgeois. Toutes les « certitudes » précédentes ont été anéanties par cette crise. Une nouvelle ère brutale de polarisation avec des caractéristiques de révolution et de contre-révolution a commencé. La croissance sans précédent des inégalités se traduit par une fracture de classe brutale. Un petit nombre d’oligarques pillent la planète au détriment des pauvres. En 2020, les 1 % les plus riches ont volé plus de 4 000 milliards de dollars. Dans le même temps, l’Organisation internationale du travail estime que les heures de travail perdues dans le monde équivalent à 255 millions d’emplois à temps plein, soit une perte de 4 000 milliards de dollars. Les entreprises US ont surfé sur de luxueuses marges de profits, au plus haut depuis 70 ans, aux deuxième et troisième trimestres 2021. La classe ouvrière US a vu son salaire horaire moyen réel réduit de 0,5 % en septembre et octobre 2021. Dans cette situation mondiale hautement polarisée, les marxistes et la classe ouvrière sont confrontés à de nouveaux défis et exigences, qui incluent la reconstruction ou la construction du mouvement ouvrier et révolutionnaire dans le contexte d’une profonde confusion idéologique et d’une désorientation à gauche.
5. L’année 2020 a connu un profond marasme économique au plus fort de la pandémie. Tous les pays ont été touchés. Cela a inévitablement été suivi d’une certaine croissance limitée et instable dans les principaux centres de l’impérialisme. Cependant, la situation est totalement différente dans la plupart des pays d’Asie du Sud, d’Amérique latine et dans certaines parties de l’Afrique, où une récession ou un marasme économique dévastateur se poursuit avec des conséquences sociales et économiques horribles. Même dans des pays comme le Nigeria, qui a officiellement enregistré une croissance de son économie, le niveau de vie a plongé. La question clé est de savoir si cette reprise peut être durable et conduire à une relance de l’économie mondiale. Certains ont affirmé que l’application d’un « New Deal vert », avec des investissements massifs dans de nouvelles « industries vertes », peut conduire à une nouvelle période d’essor capitaliste et à une « quatrième révolution industrielle ». Ce n’est pas une perspective réaliste pour le capitalisme dans la décennie 2020.
6. Après l’arrêt de l’activité mondiale en 2020, un certain rebond était inévitable aux US, dans l’UE et en Chine. Cependant, la croissance limitée qui a eu lieu a été superficielle et éphémère. Bien que certaines économies clés soient formellement revenues à la situation qui existait avant la pandémie, cela s’est fait sur une base extrêmement ténue.
7. Malgré des reprises mineures, l’économie mondiale est en période de crise depuis le krach de 2007-2008, soit depuis plus de treize ans. Cela en fait l’une des plus longues crises de l’histoire du capitalisme. Cela illustre l’ère de la pourriture et de la désintégration du capitalisme, par opposition à une ère d’essor et de croissance. En période d’essor et de croissance, les crises économiques ont tendance à être peu profondes et de courte durée. Les phases de croissance ont tendance à être plus longues et plus solides. Pendant les périodes de crise, toute croissance tend à être peu profonde et de courte durée, et les récessions plus profondes et plus longues. Le capitalisme de l’époque actuelle se trouve dans cette dernière phase.
8. En outre, des signes clairs indiquent que la « reprise » est déjà en train de s’arrêter ou de ralentir, en particulier aux US et en Chine. La croissance économique a considérablement ralenti au troisième trimestre 2021 aux US. Sur une base annualisée, l’économie américaine a progressé de 2 % au cours des trois mois précédant la fin du mois de septembre, soit sa plus faible croissance trimestrielle depuis la récession due à la pandémie en 2020.
9. En Chine, l’activité industrielle du troisième trimestre n’a augmenté que de 3,1 %, sous les 4,5 % prévus. La croissance mondiale espérée de 6 % en 2021 devrait maintenant tomber à 3 % en 2022 et pourrait même chuter davantage.
10. En outre, la réouverture des économies dans les principaux pays impérialistes a entraîné de nouveaux problèmes pour le capitalisme. Les chaînes d’approvisionnement des secteurs clés de l’économie sont fortement perturbées, ce qui affecte de nombreuses marchandises et produits. Cette situation résulte de divers facteurs, notamment les répercussions du COVID et l’absence de travailleurs sur certains lieux de travail, les pénuries de main-d’œuvre, les matériaux se trouvant au mauvais endroit après les confinements, les perturbations dans les transports et le manque de disponibilité de certains produits de base. La pénurie de semi-conducteurs a eu un effet paralysant sur des sections de l’industrie automobile et d’autres secteurs. Le géant industriel allemand, Volkswagen, et le californien Apple en ont tous deux souffert. Volkswagen estime avoir perdu 500 millions d’euros de profits et Apple 6 milliards de dollars en raison de la pénurie mondiale de semi-conducteurs, entre autres problèmes. La perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et le manque de matières premières sont l’un des principaux facteurs de ralentissement de la croissance dans les économies des principaux pays impérialistes. Le capitalisme connaît une crise des chaînes d’approvisionnement, mais aussi une demande léthargique et plus faible que prévu dans les principales économies impérialistes. Il est également confronté à une pénurie de main-d’œuvre dans certains pays, dans des secteurs importants de l’économie.
11. L’inflation a augmenté dans de nombreux pays, entraînant la menace d’une stagflation sur les principales économies dans la période à venir. L’économiste Nouriel Roubini prévient à juste titre qu’une stagflation du type de celle des années 1970 est désormais possible, associée à une grave crise de la dette. C’est ce qui se passe déjà dans de nombreux pays du monde néo-colonial comme l’Argentine, le Nigeria et surtout le Venezuela, où l’on observe une hyperinflation estimée à plus de 10 000 % par an. Dans l’UE, l’Allemagne a l’un des taux d’inflation les plus élevés, à 6 %. La hausse des prix des denrées alimentaires, des coûts de l’énergie et d’autres produits de base a déjà d’importantes répercussions politiques et sociales. Elle a également plongé les capitalistes dans un dilemme sur comment y faire face et a provoqué des divisions entre eux. Certains affirment qu’il s’agit d’une situation temporaire que le « marché » finira par corriger. D’autres proposent d’agir pour la contenir ou l’enrayer, en prenant des mesures qui menacent de réduire ou d’interrompre toute reprise économique.
La bombe à retardement de la dette mondiale
12. En plus de cela, la dette mondiale est une bombe à retardement. Au deuxième trimestre 2021, elle a presque atteint le chiffre stupéfiant de 300 000 milliards de dollars US. Une crise majeure de la dette est imminente, qui peut avoir des conséquences importantes pour le système financier mondial et l’économie mondiale. Le poids du remboursement de la dette dans le monde néo-colonial est écrasant. Un défaut de paiement par certains pays du monde néo-colonial pourrait aggraver la crise financière mondiale. L’Argentine a déjà fait défaut sur ses paiements d’intérêts en mai 2020. Un accord temporaire a été conclu, mais le problème a été remis à plus tard, en 2022, lorsque la crise ressurgira.
13. La crise de la dette peut même toucher certains des plus puissants pays impérialistes. Une indication du déclin de l’impérialisme US est le fait que la dette US s’élève actuellement à environ 28 000 milliards de dollars. La menace d’un défaut de paiement est apparue en octobre 2021, lorsque les républicains ont tenté de bloquer la proposition de Biden de relever le plafond de la dette. Une crise a été évitée jusqu’en décembre, mais un accord a été bricolé, repoussant ainsi l’échéance. Cependant, cette question peut à nouveau éclater car le problème fondamental n’a pas été résolu. Tout défaut de paiement aux US serait sans précédent et aurait des conséquences dévastatrices tant au niveau national qu’international.
14. Cependant, la perspective d’un défaut de paiement de la dette dans le monde néo-colonial est plus probable. Le Tchad, la Zambie et l’Éthiopie ont tous demandé l’annulation de leur dette, ce qui est actuellement bloqué par les banques du secteur privé. Selon la Banque mondiale, au moins 35 pays sont actuellement exposés au « surendettement extérieur ». Il y a 65 pays endettés envers la Chine, ce qui provoque déjà tensions et problèmes. La crise mondiale de la dette est une question qui risque de devenir un problème majeur dans l’économie et la politique mondiales.
15. Les capitalistes dans les pays industrialisés ont introduit une série de mesures de relance et des interventions de l’État sans précédent pendant la crise de 2020. Ces mesures ont permis d’éviter un effondrement total. Elles ont représenté un changement majeur de politique, imposé à la bourgeoisie par la pandémie. Ce changement a représenté un tournant vers les politiques keynésiennes, qui n’avaient pas été appliquées de cette manière durant l’ère pré-Covid. Il serait erroné de conclure que cela signifie que la classe dirigeante a abandonné les politiques néo-libérales, notamment les privatisations qui, dans de nombreux pays, ont été menées en même temps que cette intervention accrue de l’État. Sous l’impact de la crise et des mouvements sociaux, la bourgeoisie oscillera entre les deux – mesures néolibérales et intervention accrue de l’Etat – ou une combinaison des deux en fonction de ce qu’elle juge nécessaire à chaque étape.
16. L’échec de la COP26 illustre l’impossibilité de gérer la crise environnementale sur une base capitaliste et nationale. Les crises de l’eau et de la production alimentaire dans certaines régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine menacent de déclencher des guerres d’approvisionnement en eau et en nourriture. Alors que l’élite se réunissait à Glasgow, la Chine était confrontée à une série de pannes d’électricité dans certaines provinces. Elle a intensifié la production de charbon pour tenter d’y faire face. Les États-Unis ont également exhorté leurs alliés à augmenter la production de pétrole en raison de la hausse des prix. Aujourd’hui, les principaux producteurs de pétrole ont libéré une partie de leurs réserves, bien que la Russie ait libéré moins que prévu, et l’Arabie Saoudite a accepté d’augmenter l’offre. Dans certains pays impérialistes, certains investissements dans la nouvelle « industrie verte » sont déjà en cours. Cela peut avoir un certain effet. Cependant, cela n’offrira pas de porte de sortie au capitalisme. Cela entraînera également de nouveaux conflits et de nouvelles luttes pour les nouveaux marchés et industries qui s’ouvriront. La période précédant la COP26 a vu l’émergence de grandes manifestations, en particulier parmi les jeunes, sur l’environnement. Ces mouvements, principalement de la jeunesse petite-bourgeoise, mais pas exclusivement, se sont ensuite calmés mais ont été extrêmement significatifs. L’aggravation de la crise écologique signifie que d’autres mouvements sur cette question importante vont sans doute éclater et, dans de nombreux pays, attirer des sections de travailleurs et de pauvres qui sont de plus en plus touchés par les effets de la crise environnementale.
17. D’autres mouvements sociaux importants ont émergé au cours de la période récente et continueront à éclater. Les mouvements explosifs des femmes qui ont eu lieu dans de nombreux pays en sont le reflet. La position vicieusement réactionnaire du candidat d’extrême droite, Kast, lors des récentes élections chiliennes, a fait que la question des droits des femmes a été un thème important de la campagne. Cependant, nombre de ces mouvements sont également en proie aux idées de division des « politiques identitaires » qui s’opposent à une analyse et une approche de classe de toutes ces questions sociales importantes. Il est important pour les marxistes d’aborder ces questions dans une perspective de classe et de les lier à la nécessité d’une alternative socialiste.
Déclin de l’impérialisme US et essor de la Chine
18. Le changement historique de la situation mondiale est marqué par l’accélération du déclin de l’impérialisme US et la montée de la Chine. Ce phénomène façonne tous les aspects des relations mondiales de cette période. Il signifie la fin d’un monde unipolaire dirigé par l’impérialisme US. Le nouveau monde multipolaire donne lieu à une série d’affrontements et de conflits – économiques, politiques, diplomatiques et militaires – dans des zones de tension critiques. L’ère dans laquelle nous nous trouvons actuellement sera marquée par une augmentation des conflits, y compris des guerres, dans de nombreux domaines. L’augmentation spectaculaire des dépenses mondiales en armement est une indication de ce à quoi se préparent certaines puissances. Les arsenaux militaires mondiaux devraient doubler de taille d’ici 2030 par rapport à 2016. Les tensions et les affrontements mondiaux présentent certaines caractéristiques des affrontements qui ont eu lieu à l’approche de la guerre de 1914-18.
19. Le déclin spectaculaire de l’impérialisme US est illustré par la baisse de sa part du PIB mondial. En 1960, il était de 40 %. En 1985, il était tombé à 29,86 %. Au XXIe siècle, en 2014, il était tombé à 20 % et en 2020, à 15,9 %. La part de la Chine, en revanche, est passée de 8,73 % en 2011 à 18,33 % en 2020. (Sur base de parité de pouvoir d’achat.) La capacité de la Chine à obtenir cette croissance et ce développement découle directement du caractère de l’État, que nous avons qualifié d’hybride, une forme particulière de capitalisme d’État. Si la Chine n’avait pas eu une économie planifiée centralisée dans le passé, qui a ensuite évolué vers une forme particulière d’économie capitaliste avec un élément important de propriété d’État, de direction et de contrôle par l’État, elle n’aurait pas pu atteindre un tel développement.
20. Ce point est important, car il est crucial de réfuter l’idée utopique soulevée par certains selon laquelle l’Inde ou le Brésil pourraient répéter ce que la Chine a fait au cours des dernières décennies. Toutefois, on peut douter que ce développement se poursuive au même rythme en raison de la perspective de crises économiques et sociales internes/nationales. Au niveau mondial, il est probable qu’il n’y aura pas de vainqueur clair dans la lutte entre les US et la Chine. La prochaine ère sera celle d’un monde multipolaire. Il ne sera pas centré sur un seul pôle central. Deux grands pôles émergent, avec d’autres puissances plus faibles qui luttent pour s’affirmer et étendre leurs sphères d’influence. Aucune situation ne sera stable ou fixe. Des changements et des oscillations rapides se produiront dans la lutte pour gagner de l’influence. Ces conflits revêtent déjà un caractère non seulement économique mais aussi militaire.
21. À ce stade, le principal champ de bataille oppose la Chine aux États-Unis en Asie du Sud-Est. L’UE envisage de lancer une « passerelle globale » en réponse à la « route de la soie » de la Chine. Toutefois, ce projet ne constituera pas de défi majeur pour la Chine et pourrait devenir une impasse. La région asiatique combinée possède la plus grande capacité de pouvoir d’achat de l’économie mondiale. L’impérialisme US et les autres puissances occidentales sont contraints de tenter de défendre leurs intérêts et de résister à l’influence et à l’expansion croissantes de la Chine. Les barrières commerciales érigées contre la Chine reflètent ce conflit d’intérêts et les tentatives d’empêcher la Chine de renforcer davantage sa position économique. D’autre part, les récents événements survenus dans les îles Salomon, bien que de faible ampleur, sont extrêmement significatifs. Sous la pression de la Chine, le gouvernement des îles Salomon a coupé les liens avec Taïwan, ce qui a provoqué des émeutes et le déploiement de petites unités militaires australiennes.
22. La formation du bloc AUKUS (Australie, Royaume-Uni et US) et le déploiement de forces militaires navales supplémentaires dans la région reflètent ces processus. L’annulation des contrats français pour les sous-marins australiens a accentué les tensions de toutes parts et illustré l’instabilité existante. De manière plus significative, Biden a réuni la « QUAD » (les US, l’Inde, le Japon et l’Australie) dans le but d’établir une alliance anti-Chine. Il est également en train d’attirer le Vietnam dans son orbite.
23. De l’autre côté, en Asie du Sud, la Chine a attiré le Pakistan, l’Afghanistan, le Bangladesh et le Sri Lanka dans son orbite et a considérablement étendu sa sphère d’influence. Pourtant, toutes ces alliances sont empreintes d’instabilité et de contradictions, comme l’ont récemment illustré les tensions entre la Chine et le Pakistan au sujet du programme « Belt and Road ».
24. Un important déploiement militaire est en cours dans la mer de Chine du Sud. Cela pourrait conduire à l’éclatement d’un conflit « accidentel ». Cependant, un conflit pourrait également avoir lieu pour des raisons non accidentelles.
25. La croissance et l’expansion économiques de la Chine se sont accompagnées d’une augmentation massive de ses capacités militaires. Ceci fait écho à l’augmentation spectaculaire des dépenses d’armement au niveau international, les différentes puissances se préparant à défendre ou à contester leurs sphères d’influence. La classe dirigeante des US est ébranlée par l’accélération de la capacité nucléaire de la Chine. On estime aujourd’hui que l’arsenal nucléaire chinois quadruplera pour atteindre au moins 1 000 ogives d’ici 2030. La Chine construit un nouveau sous-marin nucléaire tous les 15 mois et dispose actuellement de 350 navires de guerre, contre 293 pour les États-Unis. La Chine possède actuellement la plus grande marine du monde. L’expansion nucléaire de la Chine et, par exemple, le récent lancement d’un missile à partir d’un planeur hypersonique dans l’espace, capable de survoler le pôle Sud et d’échapper ainsi aux missiles de défense américains, ont terrifié les stratèges militaires américains et déclenché de nombreux signaux d’alarme aux États-Unis. Les États-Unis ne comprennent pas comment les Chinois sont parvenus à ce résultat technique et soulignent la probabilité que, dans certains de ces aspects, les Chinois soient en avance sur les États-Unis. C’est un écho de ce qui s’est passé dans l’ancienne URSS qui, dans les années 1960, était en avance sur les États-Unis dans certains domaines.
26. Taïwan est désormais un élément central de ce conflit. Après avoir réprimé les manifestations à Hong Kong et mis en place un système plus répressif et autoritaire, le dirigeant chinois Xi Jinping semble avoir les yeux rivés sur Taïwan, qui constitue une aspiration clé pour le régime. Xi a réitéré avec force que Taïwan est une ligne rouge pour eux, et qu’ils ne toléreront aucune déclaration officielle d’indépendance ou de soutien à celle-ci. Xi a clairement indiqué que l’un de ses objectifs est de ramener Taïwan au sein de la Chine. La nature explosive de la période dans laquelle nous nous trouvons signifie qu’il ne peut être exclu que le régime chinois intervienne militairement pour occuper Taïwan. S’il tentait de le faire, il pourrait probablement y parvenir en quelques jours.
27. Une telle opération pourrait découler du fait que le régime gonfle le nationalisme chinois dans le but de couper court à toute crise sociale ou politique qui se développe dans le pays. Si le régime chinois s’engage dans cette voie, la réaction des US est incertaine. Cela est lié à la situation nationale aux États-Unis et à l’affaiblissement de la position mondiale de l’impérialisme US.
28. Pourtant, le conflit autour de Taïwan n’est pas seulement politique ou géopolitique. Il comporte également un élément économique. Taïwan est vital tant pour le capitalisme occidental que pour la Chine économiquement parlant. C’est le plus grand producteur de semi-conducteurs, essentiels à l’économie moderne. Taïwan produit 63 % de part du marché mondial. 90 % des semi-conducteurs utilisés par les entreprises technologiques US sont fabriqués à Taïwan. La Chine dépend également des semi-conducteurs taïwanais. Bien qu’à ce stade, la Chine ne dispose pas encore des capacités de conception dont disposent les US pour les semi-conducteurs, cela peut changer.
29. Les récents événements en Chine ont confirmé l’analyse du CIO sur le caractère de forme spéciale de capitalisme d’État qu’est l’État chinois. Cette forme spéciale de capitalisme d’État est apparue en raison de l’histoire de la Chine qui a été un État ouvrier déformé avec une économie planifiée centralisée. L’urbanisation massive qui a eu lieu – de 27 % en 1992 à 61 % en 2020 – s’est accompagnée d’inégalités criantes. Elle s’est accompagnée d’un endettement massif et de bulles immobilières. La dette représente 270 % du PIB. L’effondrement d’Evergrande – le promoteur immobilier le plus endetté au monde – a illustré la crise imminente et le risque d’un affrontement entre les différentes ailes de l’élite dirigeante en Chine.
30. Xi Jinping, craignant que des sections de la classe capitaliste, notamment dans les secteurs de la technologie et du développement immobilier, n’accumulent trop d’indépendance et ne menacent les intérêts de l’aile qui domine actuellement le parti et l’État, prend des mesures pour les garder sous contrôle. L’État intervient de plus en plus dans l’économie et la répression s’intensifie. Xi a combiné ces mesures avec une utilisation accrue de la rhétorique « socialiste ». Lors du sixième plénum du Comité central du Parti communiste chinois, il a déclaré à tort qu’il appliquait le « marxisme du XXIe siècle ». La « pensée Xi Jinping » a été introduite dans le programme scolaire pour aider « les adolescents à établir une croyance marxiste ». Dans un style bonapartiste classique, de plus en plus de pouvoir a été concentré entre les mains de Xi Jinping. Il tente de trouver un équilibre entre les différentes sections du parti, notamment une aile « maoïste » et les partisans d’éléments de « capitalisme libéral » plus forts, qui craignent de revenir à l’ère « maoïste ». Pourtant, toutes ces manœuvres peuvent se retourner contre le régime à l’avenir.
31. Il n’est pas exclu que des sections de la classe capitaliste qui sont bridées par le régime puissent se présenter comme des défenseurs de la « démocratie ». Ils pourraient obtenir le soutien d’une couche subissant la répression, comme les jeunes ou la communauté LGBTQ, que le régime réprime brutalement. Un cocktail explosif est en train de se préparer dans la société chinoise, qui pourrait connaître d’importants bouleversements et mouvements sociaux, notamment de la classe ouvrière, qui est potentiellement le prolétariat industriel le plus fort du monde. Ces mouvements peuvent provoquer des scissions et des divisions au sein du régime, ce qui aura un impact important sur les événements internationaux et la lutte des classes.
Une défaite humiliante pour les US et les puissances occidentales en Afghanistan
32. L’impérialisme US et les autres puissances occidentales impliquées ont subi une défaite humiliante en Afghanistan. Le 11 septembre a marqué un tournant dans la situation internationale avec les interventions militaires de l’impérialisme US qui ont suivi. La défaite en Afghanistan marque un autre tournant, illustrant la moindre puissance de l’impérialisme US. Cette défaite est, à certains égards, pire que celle qu’ils ont subie au Vietnam. Celle-ci a été un coup dur pour l’impérialisme US, mais il en est ressorti comme la puissance impériale décisivement dominante. La défaite en Afghanistan illustre le déclin rapide de l’impérialisme US dans un nouveau monde multipolaire. Elle reflète également le sentiment d’opposition aux « guerres sans fin » dans de larges couches de la population US.
33. Le retrait des États-Unis. et des puissances occidentales d’Afghanistan a renforcé la position de la Chine dans la région. Il a également renforcé la position du Pakistan. Toutefois, l’enthousiasme initial exprimé par Imran Khan et l’armée pakistanaise à la suite de la victoire des Talibans a été quelque peu tempéré, car la réalité de la crise qui se déroule est de plus en plus claire. Les questions ethniques et nationales en Afghanistan, ainsi que la catastrophe humanitaire qui existe, seront ressenties dans toute la région. Avec le Baloutchistan, où une forte lutte nationaliste est menée aux frontières de l’Afghanistan avec une minorité baloutche en Afghanistan, ainsi que les Pachtounes, les conditions sont réunies pour que le Pakistan soit davantage déstabilisé par ces événements.
34. La gestion du retrait par les US, tout comme l’incident des sous-marins australiens, a provoqué une forte augmentation des divisions au sein de l’OTAN. Les scissions qui sont apparues montrent que l’OTAN, comme toutes les autres organisations et alliances capitalistes occidentales, ne fonctionnera pas comme à une époque antérieure de plus grande stabilité. Biden s’est vanté que « l’Amérique est de retour ». Retour à quoi ? Elle est de retour à de plus grandes divisions et à des conflits, tout en étant dans une position beaucoup plus faible. C’est ce que montrent les divisions au sein des institutions internationales du capitalisme comme l’OTAN.
35. Certaines caractéristiques des lois de la révolution et de la contre-révolution sont les mêmes. La rapidité avec laquelle le régime de Ghani s’est effondré présente certaines caractéristiques de ce qui s’est passé à Cuba. Dans ce dernier pays, la chute du régime s’inscrivait dans un processus révolutionnaire. En Afghanistan, il s’agissait d’un processus contre-révolutionnaire. Ghani et Batista avaient perdu leur crédibilité et leur soutien, et leurs régimes ne tenaient qu’à un fil. Dans les deux cas, les organisations de guérilla ont pu prendre le pouvoir en raison de l’absence d’alternative. La différence est qu’à Cuba, le mouvement du 26 juillet a pu compter sur le soutien des masses une fois au pouvoir. Ce n’est pas le cas des Talibans.
36. L’Afghanistan, comme d’autres pays, est confronté à un effondrement économique quasi total. Il est dirigé par les Talibans qui s’appuient sur des sections des Pachtounes, qui représentent 44 % de la population. Pourtant, ils ont déjà dû faire face à d’importantes protestations face à leur tentative d’imposer une répression barbare, notamment à l’encontre des femmes. Des divisions ont déjà commencé à apparaître au sein du régime. La perspective de voir l’Afghanistan, un État défaillant, sombrer dans la guerre civile et se disloquer ne peut être exclue. Les conséquences d’une telle évolution se feront sentir dans toute la région et au niveau international. La crise migratoire qui découle de ces événements peut être utilisée et favoriser l’extrême droite dans certains pays. L’impérialisme US utilise la question de l’aide économique comme monnaie d’échange pour faire pression sur les talibans, ce qui pourrait éventuellement aboutir à une forme d’accord ténu.
Les puissances régionales luttent pour accroître leurs sphères d’influence
37. Le déclin de l’impérialisme US et le renforcement de la position de la Chine s’inscrivent dans un processus plus large où d’autres puissances tentent également de renforcer leur influence et leur position. La Russie a profité du déclin de l’impérialisme US pour renforcer son influence au Moyen-Orient, notamment en Syrie. Dans le même temps, elle s’affirme par un renforcement massif de ses troupes à la frontière ukrainienne où, selon certains rapports, elle a rassemblé 100 000 soldats en vue d’une éventuelle intervention en Ukraine, qui ne peut être exclue. La Turquie a également profité de cette nouvelle donne mondiale pour tenter de s’affirmer sur le plan international et renforcer sa sphère d’influence.
38. Dans le même temps, l’utilisation horrible et cynique des migrants à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, et la menace de Lukashenko de couper l’approvisionnement en gaz vers l’ouest illustrent comment ce conflit et d’autres peuvent avoir un impact direct sur l’UE. L’UE a montré sa totale hypocrisie pendant cette crise des migrants. Dans le même temps, la menace d’une nouvelle guerre des Balkans et d’un éventuel éclatement de la Bosnie, l’entité serbe de l’État menaçant de faire sécession – avec le soutien de la Russie – montre que les prétendus accords de paix tels que les accords de Dayton n’ont rien résolu. Cette crise peut faire voler en éclats les accords de paix antérieurs et les conflits passés pourraient exploser sous une forme plus aiguë, avec l’éclatement des tensions sous-jacentes non résolues. On le constate également en Irlande avec le Brexit, qui menace potentiellement d’accentuer le clivage sectaire, illustrant le fait que l’accord de paix du Vendredi Saint signé en 1998 n’a pas résolu la situation.
39. Ces événements et d’autres soulignent que sous le capitalisme, il n’y a pas de solution à la question nationale, qui est une question cruciale pour la classe ouvrière et les relations mondiales. L’émergence des questions nationales et ethniques a pris une plus grande importance. La façon dont la classe ouvrière et les marxistes abordent cette question sera d’une importance vitale dans la période à venir. La défense du droit à l’autodétermination et, en même temps, l’unité de la classe ouvrière et de tous les peuples et groupes ethniques opprimés sur une base socialiste ouvre la seule voie pour résoudre ces questions dans l’intérêt de tous les peuples opprimés.
40. Le régime de Poutine revêt un caractère répressif de plus en plus bonapartiste. Il utilisera ses interventions internationales pour attiser le nationalisme russe et se présenter comme combattant l’Occident. Le régime russe a vu son soutien s’éroder de plus en plus à cause de la dégradation de la situation économique et sociale. Un appareil répressif massif a été mis en place ; 33 % du budget du gouvernement russe est consacré à la sécurité et à la défense. Les services de police et de sécurité russes ont gonflé, avec 10 % de personnel en plus par rapport à 2014 ; les forces de police et de sécurité sont désormais plus importantes que les forces militaires russes actives. Pourtant, même cela ne suffira pas à empêcher l’éruption de grands mouvements avec la dégradation de la situation économique et sociale. Un facteur décisif est de savoir si les masses ne craignent plus d’affronter les forces répressives de l’État. Comme l’ont montré les événements au Myanmar, au Soudan, au Chili et ailleurs, lorsque cela se produit, même la machine étatique la plus brutale peut être défiée.
41. L’UE a vu des divisions importantes se creuser pendant la crise de la Covid et aussi en réponse aux rivalités entre les États-Unis et la Chine. Une triple division existe en son sein : entre les pays du nord, du sud et de l’est. La perspective de nouvelles divisions et de nouvelles crises est probable. Une crise majeure due aux antagonismes nationaux est toujours possible, car cette possibilité est inhérente à la structure de la monnaie européenne, entre autres facteurs. Suite à la crise du Brexit, il n’est pas exclu que d’autres pays, comme la Pologne, suivent le mouvement, déclenchant une crise plus profonde de l’UE et sa reconfiguration au fur et à mesure que d’autres pays la quittent. La probabilité d’une telle évolution augmentera en cas de nouveau crash économique ou financier.
Les conséquences dramatiques du déclin des US au Moyen-Orient
42. Le déclin de l’impérialisme US a des conséquences dramatiques dans les champs de la mort du Moyen-Orient. Alors que l’influence des US a diminué, d’autres puissances comme la Russie et, dans une certaine mesure, la Chine, ont accru la leur. Dans le même temps, une reconfiguration des alliances et des relations dans la région a commencé parmi les élites dirigeantes. Cependant, la manière dont cela va évoluer est extrêmement incertaine. Dans le même temps, pour les masses, la vie continue comme une horreur sans fin.
43. La Syrie a été partiellement ramenée à l’âge de pierre par les bombardements, et la moitié de sa population a été déplacée. Assad a maintenu sa dynastie au pouvoir mais avec une économie enfoncée dans le sol et une position affaiblie dans la région. Cette situation s’est répétée dans les pays touchés par l’échec du Printemps arabe à progresser, à renverser les régimes et à établir des gouvernements des travailleurs et des pauvres. Cela a permis à une série de régimes répressifs criminels d’arriver au pouvoir. La farce des élections en Libye a vu une bande de seigneurs de la guerre, dont le fils de Kadhafi, se présenter aux « élections ». Assad a été aidé à s’accrocher au pouvoir par le soutien de Poutine, qui a renforcé sa position au Moyen-Orient alors que l’impérialisme US s’est considérablement affaibli. De manière significative, les Émirats arabes unis et la Jordanie ont rouvert les canaux avec Assad après une rupture de plusieurs décennies. L’Irak a accueilli des pourparlers entre les ennemis jurés que sont l’Iran et l’Arabie saoudite. Les Émirats arabes unis ont également « normalisé » leurs relations avec Israël. Cependant, des tensions subsistent dans tous ces événements, ce qui ne conduira pas à une situation stable dans la région.
44. Les US s’étant partiellement retirés de la région, la Russie, la Chine et les élites locales sont intervenues pour tenter d’accroître leurs sphères d’influence et de prendre l’avantage. L’évolution de cette situation dans la période à venir est incertaine. Des accords et des alliances temporaires peuvent être conclus, qui peuvent ensuite s’effondrer rapidement. Cependant, il est probable qu’elle entraînera de nouveaux conflits et affrontements d’intérêts. De manière inquiétante, de hauts responsables israéliens de la défense affirment qu’ils se préparent à un conflit armé avec l’Iran, bien qu’il puisse s’agir de simples déclarations manœuvrières en arrière-plan des discussions visant à relancer l’accord sur le nucléaire iranien. Cependant, un conflit militaire ne peut être exclu, ce qui déstabiliserait totalement la situation.
45. Alors que les élites dirigeantes étudient les réalignements au sommet pour leurs propres intérêts, les masses continuent à vivre un cauchemar sur le terrain. La répression sanglante du peuple palestinien par le régime israélien se poursuit. La guerre brutale par procuration entre l’Arabie saoudite et les forces soutenues par l’Iran au Yémen se poursuit, les forces iraniennes semblant renforcées à ce stade. L’Irak a vu le formidable mouvement uni rassemblant à la fois les travailleurs et les jeunes sunnites et chiites en 2019-20, qui n’a malheureusement pas progressé et s’est heurté à la limite d’un mouvement de masse sans alternative organisée et sans programme, ni voie claire à suivre. Un effondrement économique dramatique et un conflit sectaire meurtrier incluant les forces de Daesh existent actuellement. Le carnage qui sévit dans tout le Moyen-Orient illustre le fait qu’il n’y a pas d’avenir pour ces sociétés sans l’arrivée au pouvoir d’un mouvement uni de la classe ouvrière, doté d’un programme socialiste pour rompre avec le capitalisme et les propriétaires terriens. La poursuite du capitalisme signifiera la perspective d’un plus grand nombre d’États en faillite, comme le Liban et quelques autres sont déjà devenus une réalité dystopique.
La crise aux États-Unis
46. La crise à laquelle l’impérialisme US est confronté au niveau international se reflète dans la tourmente qu’il affronte au niveau national. Moins d’un an après avoir remporté la présidence, ce qui a été accueilli avec un sentiment de soulagement par de grandes couches de la population, Biden a dû affronter crise après crise. Les US restent une société hautement polarisée et explosive. L’impression de ne pas avoir réussi à faire quelque chose de substantiel, surtout dans un contexte d’inflation croissante, a fait chuter la cote de popularité de Biden de +19 en janvier 2021 à -10 en octobre. C’est un effondrement plus important que Obama ou Clinton à ce stade de leur mandat ! Cette situation s’est reflétée dans les récentes élections au New Jersey, où les Démocrates ont tout juste réussi à s’imposer, et en Virginie, où ils ont perdu face aux Républicains. Le fait que 48 % des personnes interrogées aient encore une opinion favorable de Trump, contre 46 % pour Biden, montre la situation politique polarisée et tendue qui existe. À ce stade, elle laisse entrevoir une progression des Républicains lors des élections de mi-mandat en 2022 et la reprise du contrôle du Sénat. Toutefois, la volatilité de la situation est telle que cela n’est pas certain.
47. Biden espère que l’adoption du projet de loi pour les infrastructures, d’un montant de 1200 milliards de dollars, commencera à inverser la tendance. Le rôle de cette augmentation des dépenses d’infrastructure – la plus grande mise à niveau des infrastructures depuis la présidence de Dwight Eisenhower dans les années 1950 – aura un certain effet tant sur le plan économique que politique. Toutefois, le chiffre global comprend 550 milliards de dollars de nouvelles dépenses au cours de la prochaine décennie. Il sera suivi par le projet de loi « Build Back Better », d’un montant de 1750 milliard de dollars, qui fait encore l’objet de discussions. Ce montant a été réduit par rapport à l’enveloppe proposée de 4000 milliards de dollars sur dix ans. D’autres mesures, telles que deux années d’enseignement gratuit dans les universités publiques pour chaque Américain, 80 milliards de dollars pour la reconversion des travailleurs et un système de congés familiaux et médicaux payés, ont toutes été abandonnées en raison des objections d’un petit nombre de sénateurs Démocrates. Les mesures incluses dans le projet de loi, lorsqu’il sera finalement adopté, auront un certain effet sur une certaine couche. Toutefois, le fait de revenir sur ce qui avait été promis renforcera l’impression que Biden n’a pas tenu ses promesses et qu’il a mené une présidence en demi-teinte.
48. Cette situation s’inscrit dans un contexte d’inégalités massives croissantes et de destruction du « rêve américain ». L’idée que chaque génération gagne plus que ses parents et que tous puissent gravir les échelons de la société était très forte à l’époque de l’essor du capitalisme. Aujourd’hui, elle s’est effondrée après des décennies de déclin. Les citoyens américains nés dans les années 40 avaient 90 % de chances de gagner plus que leurs parents. Pour ceux nés dans les années 1980, cette probabilité était tombée à 50 %. Aujourd’hui, elle est bien plus faible. Toute chance de progression sociale pour la masse de la population est aujourd’hui réduite à néant.
49. Cette chute, qui découle du déclin prolongé mais accéléré de l’impérialisme US, associée à l’explosion des inégalités, est à l’origine de la situation sociale et politique explosive que connaîtront les États-Unis dans les années 2020. Biden ne sera pas en mesure de résoudre ce problème. Cela signifie que des batailles de classe et politiques majeures sont à venir dans la période à venir aux US, ce qui aura un effet spectaculaire sur la situation mondiale.
50. Depuis l’élection de Biden, il y a eu une augmentation significative des grèves, au moins 1 700 entre mars et novembre 2021, parmi de nombreuses couches de travailleurs, y compris certaines sections qui ne sont pas organisées dans des syndicats. Les accords négociés par la bureaucratie syndicale ont été rejetés à plusieurs reprises par certaines catégories de travailleurs. Il s’agit d’une anticipation des luttes à venir. Le fait que 64 % des personnes considèrent la notion de syndicats de manière positive illustre le potentiel de renforcement du mouvement syndical dans la période actuelle. Les tentatives de syndicalisation des travailleurs chez Amazon, Google et d’autres grandes entreprises constituent également une évolution importante. Ces tendances sont également une condamnation de la bureaucratie syndicale et de son incapacité générale à tirer parti de ce potentiel. Cependant, une recrudescence de la lutte des travailleurs amènera avec elle une nouvelle génération de jeunes travailleurs dans la lutte au sein du mouvement syndical, ce qui est la clé pour secouer et finalement transformer les syndicats.
51. Le cocktail explosif qui existe aux US signifie que les événements qui précèdent la prochaine élection présidentielle de 2024 pourraient faire passer 2020 pour une répétition générale. Trump ou le trumpisme ne se sont pas évaporés. Il a consolidé son contrôle du parti républicain. Le régime interne du parti républicain, où les menaces de violence et d’intimidation contre ceux qui s’opposent à Trump ou le critiquent sont monnaie courante, illustre à quel point le parti a viré à droite.
52. Les changements qu’ils impulsent au niveau des États, en écartant les fonctionnaires qui ont légiféré à l’encontre Trump en 2020 et en les remplaçant par des loyalistes de Trump, ainsi que le redécoupage flagrant des circonscriptions électorales, menacent de produire une crise constitutionnelle majeure en 2024. Les républicains contrôlent actuellement toutes les composantes du pouvoir dans 23 États, tandis que les démocrates ne le font que dans 15 États. Trump ou un candidat trumpiste pourrait perdre le vote populaire et être quand même déclaré vainqueur. Cela provoquerait des affrontements massifs. La légitimité de l’ensemble du système électoral et gouvernemental s’en trouverait également ébranlée. Le commentateur britannique Martin Wolf a mis en garde dans son article du Financial Times intitulé « La mort étrange de la démocratie américaine » contre la menace d’un effondrement de « la démocratie libérale aux US ».
53. La situation tout entière réclame la construction d’un nouveau parti ouvrier de masse et une rupture avec les Démocrates. Cependant, Sanders, Ocasio-Cortez et la « gauche » des Démocrates refusent d’aller dans cette direction. En réalité, le DSA reste emprisonné dans les Démocrates, se présentant sous leur étiquette avec un programme limité. Le fait de ne pas avoir pris les mesures nécessaires et de ne pas avoir lancé un nouveau parti lors de la confrontation entre Sanders et Clinton a permis à Trump de rassembler ses forces, qu’il a maintenues et a ainsi compliqué la situation.
Des soulèvements multiples, des forces et des faiblesses
54. La crise qui frappe la société US est à l’image de la crise mondiale que traversera le capitalisme sauvage dans les années 2020. De multiples crises existent parallèlement à de multiples soulèvements des masses, reflétant la soif de changement. L’Équateur, le Chili, la Colombie, Hong Kong, l’Irak, le Liban, le Soudan, le Myanmar, l’Algérie et d’autres pays ont tous comporté de puissants éléments révolutionnaires. Ces mouvements ont été suivis par le soulèvement au Kazakhstan, au cours duquel le régime dictatorial de Tokaïev a ordonné un massacre brutal qui a contraint le mouvement à battre en retraite pendant un certain temps. On ne sait pas combien de temps. Ces événements seront gravés dans la conscience des masses. Il existe une division claire parmi les oligarques et Tokaïev a pu s’accrocher au pouvoir à ce stade. Les revendications de « révolution » et de « fin du néolibéralisme », contre le système, contre les élites riches et les gouvernements, et pour la démocratie ont toutes fait partie des cris des masses repris par ces mouvements.
55. Cependant, il leur manquait un programme et l’organisation pour les faire avancer, renverser les gouvernements en place et poser l’idée du socialisme comme alternative au capitalisme. Ces mouvements ont été principalement dominés par leur caractère spontané, et se sont arrêtés ou ont décliné lorsqu’ils ont été confrontés à l’obstacle de ce qu’il fallait faire ensuite. Les limites de la spontanéité et l’absence de programme et d’organisation ont été révélées dans tous ces mouvements.
56. Cependant, certains ont récemment reflété des avancées significatives en matière d’organisation et de conscience par rapport à certains des mouvements précédents. Le mouvement de masse en Colombie était plus organisé, et englobait les syndicats et la grève générale, par rapport au mouvement au Chili. Au Soudan, la formation de comités communautaires qui, dans certaines régions, ont partiellement repris les fonctions de l’État et impliqué les syndicats dans la lutte, sont des évolutions extrêmement significatives.
57. Une autre caractéristique de certains d’entre eux, au fur et à mesure de leur essor, a été la disparition de la peur parmi les masses. On l’a vu initialement à Hong Kong et au Chili, mais c’est maintenant une caractéristique clairement évidente au Soudan et au Myanmar. Le fait que les gens dans la rue soient prêts à mourir en affrontant la machine étatique est un point critique dans tout mouvement révolutionnaire. Ces mouvements ont révélé une incroyable résilience. Bien qu’ils aient rencontré des obstacles et se soient retrouvés dans une impasse pendant un certain temps, le désespoir des masses et la soif de changement ont conduit nombre de ces mouvements à éclater en une deuxième, troisième ou nouvelle vague, comme on l’a vu récemment au Soudan. Cependant, le fait de ne plus avoir peur des régimes ne suffit souvent pas à renverser nombre d’entre eux, pour lesquels l’organisation, un programme socialiste révolutionnaire et un parti de masse de la classe ouvrière et des pauvres sont nécessaires. Même si les régimes sont renversés, sans ces outils cruciaux dans les mains des masses, la question de ce qui suit ces régimes brutaux se pose avec acuité.
58. Le potentiel et la portée révolutionnaires des soulèvements de masse sont cruciaux. Cependant, il est erroné de tomber dans le piège, comme le font certaines forces de gauche, de simplement appeler à des mouvements de masse – le « mouvementisme » – et de simplement les encourager. La question centrale est d’aider les mouvements à prendre les mesures stratégiques, politiques et organisationnelles correctes pour faire avancer la révolution, et à voir les limites du maintien dans le capitalisme et à accomplir un changement révolutionnaire de la société selon des lignes socialistes. Sans cela, comme cela a été démontré à Hong Kong, au Liban, au Myanmar et dans d’autres pays, même le mouvement le plus résistant et le plus déterminé se retrouvera dans une impasse ou même face à une défaite sanglante.
La répression, les partis de gauche et les perspectives pour le socialisme
59. La classe dirigeante a répondu à ces soulèvements par une répression brutale. Les classes dirigeantes internationales se préparent à des mouvements de cette ampleur. Il y a eu un renforcement des appareils répressifs, y compris dans les pays impérialistes. L’État en général a pris un caractère plus bonapartiste dans de nombreux pays. C’est une illustration supplémentaire de la nature de la période dans laquelle nous nous trouvons. La situation sociale et la polarisation politique qui existent signifient que tous les aspects de la lutte des classes prendront inévitablement un caractère plus aigu et plus brutal. Dans ce processus, des caractéristiques, dans certains cas des caractéristiques fortes, de la contre-révolution sont et continueront d’être présentes. L’extrême droite et certaines forces fascistes autour de Trump aux États-Unis, de Bolsonaro au Brésil ou de Modi en Inde continueront à représenter une menace dans cette ère de révolution et de contre-révolution. Cela vaut également pour les forces populistes racistes et d’extrême droite en Europe et ailleurs.
60. L’acuité de la lutte et la brutalité de la situation peuvent initialement constituer un choc pour la jeune génération. Cependant, celle-ci peut rapidement s’endurcir grâce à l’expérience acquise en participant aux luttes qui éclatent.
61. La profondeur de la crise a pour contrepartie la désorientation et le repli idéologiques et politiques continus des partis de gauche dans tous les pays. Ils ont capitulé devant les pressions du moindre mal et ne parviennent pas à poser l’idée d’une rupture avec le capitalisme ou à soulever l’idée du socialisme. Ils défendent souvent l’idée que « ce type de capitalisme doit prendre fin ». Ils laissent ainsi entendre qu’il peut être remplacé par un autre type de capitalisme, ce qui correspond à la limite de leur programme et de leur politique. Cela a renforcé le retard dans la réémergence de l’idée du socialisme comme alternative au capitalisme.
62. Toutefois, cette situation commence à changer au sein d’une petite couche. En Grande-Bretagne et aux US, une majorité de jeunes voient l’idée du socialisme d’un œil favorable, même s’ils n’ont pas une idée claire de ce que c’est. De manière déformée, cela reflète le rôle du facteur subjectif. Le soutien à l’idée du socialisme parmi les jeunes de ces deux pays est un sous-produit de Sanders et Corbyn, malgré leurs limites et leur échec à expliquer un véritable programme socialiste. Les marxistes peuvent contribuer à ce processus en soulevant audacieusement la question du socialisme de manière transitoire, en apportant de la clarté sur ce que c’est et comment l’atteindre.
63. La profondeur de la crise mondiale du capitalisme dans son agonie signifie que le sort de l’humanité dépend de la capacité de la classe ouvrière à reconstruire et à renforcer ses organisations et à construire une force politique avec un programme socialiste. Il est clair que le vieux monde se meurt et que le nouveau tarde encore à naître. Par une application habile de la méthode marxiste dans les années 2020, avec un programme principiel, basé sur des tactiques flexibles, le CIO peut jouer un rôle crucial dans la construction des forces nécessaires pour permettre au nouveau monde de voir le jour. Le sort de la classe ouvrière et des opprimés du monde entier dépend de la réalisation de cet objectif.