Tempête au MRAP

Fondé en 1949 par des résistants, des déportés, des rescapés des camps de la mort, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) vient d’affronter une des plus graves crises de son existence.

Article paru dans l’Egalité n°86

Après un communiqué de presse daté du 16 janvier 2001, des adhérents, des militants, des responsables historiques, de nombreux comités expriment leur désapprobation et le plus souvent leur indignation parfois accompagnée de leur démission.

Le communiqué « crimes et humanité »

Diffusé quelques jours après le souhait exprimé par l’ancien garde des sceaux R. Badinter d’une libération anticipée de M. Papon, le texte déclare que « le MRAP qui a vocation à défendre les droits de l’Homme, estime que la prolongation de la détention d’un homme de 90 ans et malade de surcroît n’est pas satisfaisante dans une démocratie. (…) Notre démocratie s’honorerait à faire preuve d’humanité à l’égard précisément de celui qui en conduisant des enfants, des vieillards et des hommes à la mort en a été totalement dépourvu. » La tempête est d’autant plus violente qu’elle survient après les remous déclenchés par les slogans antisémites criés en marge de la manifestation du 7 octobre 2000 pour la Palestine à laquelle avait appelé le Mrap et d’autres organisations. Certains alors, n’ont pas hésité à traiter le MRAP d’antisémitisme tel A.Klarsfeld sur France 3 et Canal +. En dépit de toutes les explications apportées par la suite, ce communiqué du MRAP relève-t-il de la maladresse, de l’erreur regrettable ou de la grave faute due à un tortueux calcul politique ?

Papon et les droits de l’Homme

Le fonctionnement du MRAP repose sur une succession de délégations de pouvoirs aboutissant au Secrétariat général qui dispose selon les statuts d’une grande liberté d’initiative. Cependant dans cette affaire une telle précipitation montre une surprenante méconnaissance des sensibilités qui composent le mouvement, la commission antisémitisme n’ayant même pas été consultée. L’urgence était-elle si grande qu’on ne puisse pas prendre un peu de temps pour débattre, quelles que soient les pressantes sollicitations des journalistes après que Badinter ait donné son avis personnel en faveur de son collègue ancien ministre, au lendemain de l’indécente requête déposée par les avocats de Papon devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour « traitement inhumain et dégradant ». Il est évident que le communiqué du MRAP qui avait auparavant œuvré pour la mise en accusation de Papon, finalement condamné à 10 ans de réclusion en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité, ne pouvait qu’être interprété comme un soutien inouï pour une libération anticipée. Pourtant, ce criminel qui bénéficie déjà d’un régime de faveur à la Santé, envoya sans remords, par sa seule signature de haut fonctionnaire à la préfecture de Gironde, quelques 1500 juifs à la déportation en 1942.

Des justifications a posteriori

Les rédacteurs du texte se justifient d’une façon embarrassée et peu convaincante : ils auraient voulu éviter que Papon ne se transformât en martyr, lui qui se présente comme une victime des associations, en devançant la possible décision de la Cour Européenne. « Nul doute que perdre sur ce terrain concourrait à atténuer dangereusement le jugement » si était constatée « la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, dont l’application ne saurait selon la jurisprudence de la Cour souffrir la moindre exception » . Il ne faudrait pas qu’il y ait « une condamnation de la France (…) sans qu’aucune organisation des droits de l’Homme n’ait daigné élever la voix ».

Ainsi depuis l’effet désastreux du premier communiqué, de nombreuses réunions, parfois houleuses, ont conduit les instances dirigeantes à publier plusieurs textes à usage interne et externe pour tenter de réparer l’erreur. L’expression du MRAP aurait été « incomprise » parce que trop « elliptique », les droits de l’Homme sont indivisibles et il est inhumain de condamner à une mort lente en prison des détenus gravement malades et des vieillards, y compris Papon. Celui-ci devrait cependant aussi rendre des comptes pour les Algériens massacrés le 17 octobre 1961 par les policiers sous son autorité de préfet de police. Le MRAP replace le cas Papon dans une situation d’ensemble, rappelant le travail mené en faveur de la dignité humaine, dénonçant les conditions scandaleuses de détention et l’intolérable maintien en prison des jeunes, des sans-papiers, des femmes enceintes, des malades mentaux, sans oublier le combat contre la double-peine et la situation des anciens d’Action directe (là, le MRAP, prudent, ne demande pas leur libération !)

Conclusion : le travail continue

Alors que les instances n’ont pas désavoué le communiqué et même si le Conseil national a validé l’orientation du MRAP par un vote majoritaire de 27 voix sur 51, il a été cependant décidé qu’à l’avenir une consultation plus large se lancerait lors des sujets sensibles. Biens sûr, la plupart des comités locaux qui s’investissent dans les permanences juridiques pour la régularisation des sans-papiers, dans la lutte contre les discriminations et pour la vie de Mumia Abu-Jamal, devront se contenter de toutes les mises au point et continueront leur travail.

Par MNL, membre de la GR et du MRAP Paris