Nigeria : des militaires tirent sur des manifestants non armés

Les militaires nigérians ont tiré sur des manifestants non armés au péage de Lekki, à Lagos, en début de semaine. Au lieu de prendre des mesures contre les responsables, le président nigérian Buhari a gardé le silence.

Ceci fait suite à un mouvement spontané de protestation de masse, principalement des jeunes, contre la brutalité policière – qui a fait face aux canons à eau, gaz lacrymogènes, des tirs à balles réelles et au moins 15 morts. Les protestations ont réussi à forcer le gouvernement à dissoudre la tristement célèbre Escouade spéciale contre le vol (Special Anti-Robbery Squad ou SARS). Mais presque immédiatement, le chef de la police a déclaré que les membres du SARS seraient réincorporés dans la police, et qu’une nouvelle unité militarisée, le SWAT, serait créée. Cela a relancé les manifestations.

Soweto, un membre éminent du Mouvement Socialiste Démocratique (l’organisation sœur de la Gauche Révolutionnaire, section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Nigeria), de Lagos, s’est entretenu avec The Socialist (le journal hebdomadaire de notre organisation sœur en Angleterre et Pays de Galles, le Socialist Party) sur les turbulences actuelles.

Soweto a expliqué que l’étincelle qui a allumé les protestations était une vidéo du 3 octobre qui a été diffusée. Elle montrait un jeune homme arrêté puis abattu par un membre du SARS. La police est alors partie avec la voiture du jeune homme !

Le fait que les jeunes soient ciblés par la police n’est pas nouveau. Le SARS existe depuis le début des années 1990. Mais aujourd’hui, si un jeune conduit une voiture, transporte un ordinateur portable ou un smartphone, il est automatiquement considéré comme un criminel et risque d’être extorqué, arrêté et même tué extrajudiciairement par la police.

M. Soweto a souligné que des protestations contre le SARS et la brutalité policière avaient déjà eu lieu, mais que le mouvement s’est maintenant enflammé en raison d’une crise sociale, économique et politique plus large au Nigeria.

Lors de ces manifestations, des problèmes tels que le manque d’emplois, la corruption, les mauvaises routes et l’absence d’électricité ont été mis en avant. Un récent rapport de l’organisation patronale a déclaré que 102 millions de Nigérians, soit près de la moitié des 205 millions d’habitants du pays, vivent dans une « extrême pauvreté ». Pour les jeunes, la situation est désastreuse. Seuls 14,7 millions des 40 millions de Nigérians âgés de 15 à 34 ans pouvant travailler sont employés.

Le gouvernement Buhari, malgré ses promesses au moment d’entrer en fonction en 2015, n’a absolument pas réussi à s’attaquer à ces problèmes sociaux urgents, comme le sous-financement chronique des systèmes de santé et d’éducation. Pour aggraver les choses, le gouvernement a récemment augmenté les prix du carburant et de l’électricité. Tout cela alors que l’inégalité des richesses entre les riches et les pauvres s’est massivement creusée.

Cette dernière atteinte au niveau de vie a suscité une colère générale parmi les masses, qui a poussé les dirigeants du Congrès du travail et du Congrès des syndicats nigérians à déclencher une grève générale en septembre pour s’opposer à la réduction des subventions, à la hausse des prix et des impôts et aux retards dans la mise en œuvre du salaire minimum. Mais, à la dernière minute, les dirigeants ont annulé la grève et accepté l’argument du gouvernement capitaliste selon lequel la « situation financière catastrophique » du Nigeria signifiait « inéluctabilité de la déréglementation ».

Comme l’a rapporté le Mouvement Socialiste Démocratique à l’époque : « À Bénin City et à Ibadan, les syndicalistes et d’autres personnes sont rapidement descendus dans la rue pour protester contre la décision des dirigeants nationaux. Dans d’autres villes, des réunions houleuses de militants ont eu lieu ».

Soweto a souligné que cette capitulation des dirigeants (et les précédents) a fait naître chez les jeunes des soupçons, voire de l’hostilité, à l’égard du mouvement syndical, parallèlement à un rejet généralisé des principaux partis politiques.

Le Mouvement Socialiste Démocratique a pris l’initiative de lancer la Campagne pour les droits de la jeunesse (Youth Rights Campaign ou YRC) qui a un programme politique visant à mettre fin aux brutalités policières, et qui aborde également des questions plus larges sur la lutte contre le chômage, la pauvreté, etc. YRC est actif dans les manifestations, en distribuant des tracts et en participant aux débats.

YRC appelle à une grève générale de solidarité de 48 heures comme prochaine étape. Et si les dirigeants bureaucratiques des syndicats ne veulent pas agir, ils disent qu’un appel à la grève devrait être lancé aux membres de la base.

Soweto a expliqué qu’une partie du problème de ce mouvement spontané est le manque de structures démocratiques permettant aux participants de débattre du programme de revendications nécessaire pour changer fondamentalement la situation, et aussi pour rendre le mouvement démocratiquement responsable.

Rôle des militaires

Par exemple, Soweto a mentionné que des membres de l’armée se sont montrés aux manifestations comme des partisans de la jeunesse et du peuple, et contre la police.

Il a souligné que depuis l’indépendance du pays en 1960, l’armée a joué un rôle antidémocratique par le biais de coups d’État et de la répression. Mais aujourd’hui, le gouvernement combine des offres de concessions avec des allusions à des menaces. Le ministre de l’information affirme que les « protestations ont été détournées par des voyous et des personnes ayant un objectif caché ».

Un programme qui traite des forces répressives de l’État remet automatiquement en cause le pouvoir de l’élite capitaliste, une élite pourrie et corrompue qui a siphonné les richesses générées par les revenus pétroliers du pays.

Ainsi, la lutte pour les droits démocratiques est liée à celle pour les politiques authentiquement socialistes visant à transformer le Nigeria d’une société capitaliste extrêmement inégale en une société socialiste démocratique qui peut utiliser les vastes ressources humaines et la richesse naturelle au profit de tous.

Toutefois, Soweto a souligné qu’une telle transformation ne peut se faire que par un mouvement socialiste de masse menant à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement représentant la classe ouvrière et les pauvres. C’est pourquoi le Mouvement Socialiste Démocratique a contribué à lancer le Socilist Party of Nigeria, un parti plus large, afin de populariser le socialisme et ses idées, et la nécessité d’un parti des travailleurs pour lutter pour ces idées.

Nous invitons les jeunes, les syndicats, à montrer leur solidarité avec Youth Rights Campaign au Nigeria. Envoyez mail à YRC : youth_rights@yahoo.com