Lois Aubry : la grande arnaque

La réduction du temps de travail est l’un des points les plus importants du bilan de l’équipe Jospin au début de cette nouvelle campagne présidentielle. Le gouvernement a, grâce à cette mesure, réussi le coup de force de partir d’une vieille revendication du mouvement ouvrier pour répondre aux attentes du patronat français :  » moderniser  » l’utilisation de la force de travail dans les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques.

Article paru dans l’Egalité n°94

En effet, le véritable enjeu de cette réforme n’était certainement pas de répondre aux aspirations des travailleurs de travailler moins pour faire diminuer le nombre de chômeurs (alors même que la plupart des entreprises françaises sont passées aux 35 heures, la baisse significative du taux de chômage tant espérée et tant annoncée se fait toujours attendre) mais bien d’adapter la force de travail aux besoins actuels du capitalisme et donc de généraliser la flexibilité par le biais de l’annualisation du temps de travail. L’objectif est, à terme, de résoudre le  » problème de productivité  » dans le secteur privé, cela va de soi, mais également dans le secteur public où des embauches massives ne peuvent se faire car elles seraient synonymes d’augmentation des dépenses publiques ce qu’interdisent les traités de Maastricht et d’Amsterdam.

En fait, cela ne fait que confirmer une tendance qui est allée en s’accentuant ces dernières années. Répondre aux enjeux actuels du capitalisme en terme de productivité ne peut se faire que d’une seule manière : s’attaquer aux acquis des travailleurs qui « rigidifient » encore les conditions de travail.

De ce point de vue, la mise en place des 35 heures peut apparaître aujourd’hui comme un chef d’œuvre de tactique politico-sociale. Ainsi, comme souvent, le gouvernement s’est attaqué d’abord au secteur le plus faible en terme de résistance (le secteur privé) en faisant passer au parlement la 1ère et la 2ème lois Aubry et en lançant leur application avant que ne sorte le décret Sapin qui s’attaquait à la fonction publique. La première loi Aubry parlait d’accords offensifs (qui créaient des emplois) et d’accords défensifs (qui maintenaient des emplois). Quelques années après, le bilan de ces accords n’est pas la résolution de la question de l’emploi – en admettant que les lois Aubry aient bien créé quelques milliers d’emploi, les plans de licenciement massifs qui se sont succédés en ont supprimé bien plus – mais la destruction de nombreux acquis des travailleurs.

En effet, il est clair aujourd’hui que l’enjeu des 35 heures était bien de réaménager le temps de travail en ne créant pas un seul emploi dans le public, et en en créant le moins possible -voire paradoxalement – en en supprimant, dans le privé (ce qui explique qu’on ait pu voir se mettre en place la distribution par l’Etat d’une prime originellement et officiellement destinée aux entreprises qui passaient aux 35 heures en embauchant et qui s’est en fait retrouvée versée aux entreprises qui passaient aux 35 heures sans licencier).

A l’heure du bilan, la réduction du temps de travail version Jospin n’aura donc été que le détournement d’une vieille revendication ouvrière arrangée de telle sorte qu’elle se fasse au service du patronat et au détriment des salariés. Ceux-ci, quel que soit le nombre d’heures travaillées, doivent toujours faire face à la même charge de travail, bien souvent pour un salaire moindre (les 35 heures payées 39 sont restées un beau rêve pour beaucoup de salariés) et des conditions de travail dégradées (des semaines de plus de 40 heures pouvant de nouveau exister).

De nombreux travailleurs ont tenté, avec leurs syndicats, de s’opposer à ces mesures, mais les luttes concernant les 35 heures se sont faites (et se font encore) de façon trop éclatée. En effet, même si les attaques concernaient tous les travailleurs du pays, du privé comme du public, il n’y a pas eu de riposte unitaire et centralisée. Dans cet état de fait, la responsabilité des directions syndicales est lourde : non seulement elles n’ont pas voulu organiser cette riposte unitaire et centralisée, mais elles l’ont même empêchée. Pour certaines, comme à la CFDT, il n’y avait pas lieu de combattre les projets de Jospin ; pour d’autres, à la CGT ou à la FSU, les discours vindicatifs se sont vite adoucis devant la volonté de ne pas trop gêner un gouvernement dit « de gauche »… Mais devant la dégradation des conditions de travail, les 35 heures façon PS sont une véritable bombe à retardement qui explosera encore certainement de mille manières. L’enjeu, pour les salariés, sera, encore une fois, d’unifier les luttes pour gagner.

Par Bazin