Elections 2002 : Nouvelle occasion manquée pour avancer vers une nouvelle force politique organisant les jeunes et les travailleurs ?

Pendant plus de la moitié du 20ème siècle, une grande partie des ouvriers, et des employés s’organisaient et votaient pour deux grands partis : le PCF et le PS (qui s’appela aussi la SFIO). Jusqu’à la fin des années 70, c’est même le PCF qui fut le principal organisateur et représentant de la classe ouvrière.

Article paru dans l’Egalité n°94

La jeunesse, très massivement, s’engageait dans les structures jeunes de ces partis ou des structures proches. Aujourd’hui, cela ressemble à un champ de bataille après un désastre. Les partis ne sont que des appareils électoraux, le PS ne sert plus que la bourgeoisie et le patronat, le PCF se présente comme un parti réformiste classique, parlant de dépassement du capitalisme, mais incapable d’exister sans ses accords avec le PS. Gayssot, ministre des Transports, est une sorte de résumé à lui tout seul de l’évolution du PCF. Il a condamné des grèves de cheminots, privatisé Air France, continué le démantèlement de la SNCF, et même déclaré le 19/12 (retranscrit dans Le Monde) qu’il fallait en finir avec cette idée que seule le lutte permettait de faire avancer les choses.

Cette phrase est celle des journalistes et des politiciens bourgeois, ou des patrons mais en aucun cas celle du parti qui avait fait sienne l’analyse marxiste que le moteur de l’histoire est la lutte des classes.

Il n’y a donc plus de grand parti qui organise réellement les jeunes et les travailleurs. Quant à savoir s’il y en a un qui peut orienter leurs luttes de façon réellement victorieuse, la question est tranchée depuis bien plus longtemps encore, mais il faudra encore des luttes, des analyses pour comprendre qu’il y a un lien réel, direct entre Staline et Hue et entre Blum et Jospin. En leurs temps, ces dirigeants ont pour maintenir leur statut de dirigeant officiel des travailleurs, stoppé les luttes quand elles pouvaient mener plus loin, réfréné les revendications pour qu’elles n’effraient pas trop la bourgeoisie : 36, 47, 68, autant d’années qui sont des occasions gâchées et qui auraient pu voir les travailleurs aller vers la révolution. Au lieu de cela, d’importants acquis sociaux sont engrangés mais moindres que ce qu’il aurait été possible d’obtenir, et surtout le capitalisme est resté en place. Et depuis 20 ans, les gouvernements au service de ce système et le patronat reprennent morceau par morceau ce que les travailleurs avaient acquis.

Désorientés par ces attaques qu’aucun des partis qui les endormaient ne les avait préparés à affronter, les travailleurs résistent mais souvent au dernier moment. Et il faut si souvent le faire que de nombreuses attaques gouvernementales ou patronales finissent par passer. Une méfiance envers les partis et les syndicats s’est instaurée, et tout ce que ceux-ci ont à proposer est si faible et flou (face aux licenciements, la CGT a lancé une campagne « de nouveaux droits pour les salariés » là ou les travailleurs auraient certainement préféré un simple « zéro licenciement ») que cette méfiance se transforme en défaitisme.

La classe ouvrière a engrangé des acquis car ils représentaient à la fois des améliorations immédiates des conditions de vie et de travail et des éléments du combat pour le socialisme. Ses partis, ses syndicats défendaient cette perspective (tous avaient le socialisme et la socialisation des moyens de production dans leurs statuts), garantissaient le maintien des acquis en organisant les luttes, permettaient d’en gagner de nouveaux. Aujourd’hui, mis à part le PCF, en paroles uniquement, tous acceptent le capitalisme, et sont prêts à le gérer loyalement. Comme les acquis (salaire, temps de travail, protection sociale) ne sont accordés par la bourgeoisie que par peur que les travailleurs aillent plus loin, celle-ci n’a aujourd’hui plus aucune crainte : les dirigeants des anciens partis ouvriers passent leur temps à expliquer aux travailleurs que le seul système possible c’est le capitalisme.

Dès lors, l’absence de force organisant, défendant et représentant les travailleurs est plus que cruciale. Un parti qui ne se contente pas de rechercher les suffrages des travailleurs mais les aide à organiser leurs luttes, à les rendre victorieuses et à renverser le capitalisme fait cruellement défaut.

Ce parti ne naîtra pas d’un seul coup et il oscillera certainement entre réforme et révolution mais un nouveau parti ouvrier est nécessaire. Pour être réellement efficace, il devrait être révolutionnaire mais le niveau de conscience actuel laisse penser qu’il ne sera pas si clair que cela.

Pourtant ce parti est nécessaire et indispensable. Il permettrait d’unir les luttes, de redonner une identité politique à la classe ouvrière. En luttant pour une véritable alternative au capitalisme, un socialisme réellement démocratique, il donnerait une véritable direction aux luttes, sortirait du carcan du contre pouvoir pour se placer sur le terrain du pouvoir. Toute une nouvelle génération de militants pourrait ainsi réactualiser le marxisme, populariser les nouvelles formes de lutte… Le pas en avant serait significatif.

Ce parti serait une transition vers le parti révolutionnaire de masse qui sera indispensable pour réellement renverser le capitalisme. Il n’y a pas de schéma absolu, par exemple une très forte remontée des luttes et du niveau de conscience pourrait placer directement à l’ordre du jour la construction d’un parti révolutionnaire.

Mais comme le montre la situation en Argentine, où malgré des mouvements sociaux massifs il y un rejet des partis, et en Italie où le Parti de la refondation communiste (fort de 100 000 membres) n’a d’autre orientation que de construire des « forums sociaux » restant ainsi sur le terrain du contre-pouvoir, le chemin sera long.

C’est ce que n’ont pas l’air ou pas l’envie de comprendre les principales forces qui se placent en rupture, plus ou moins avancée, avec la gauche plurielle : LO, LCR et courants oppositionnels du PCF. Le vide politique est tel que chacun a sa stratégie, voulant le combler seul en plaquant des formes d’organisation et des limites politiques qui ne peuvent que rebuter les jeunes et les travailleurs désormais très méfiants. Un nouveau parti des travailleurs n’émergera que par l’action des travailleurs eux-mêmes et par les luttes. Pour aller dans ce sens, les premiers cadres devront être souples (les élections auraient pu permettre cela, les législatives le peuvent encore), regroupant l’ensemble des forces organisées ou non qui se placent sur ce terrain, et se constituer autour de la lutte pour une véritable alternative au capitalisme : le socialisme !

Par Alexandre Rouillard