Les enjeux de la grève générale

La grève générale est une question d’une importance vitale pour le mouvement révolutionnaire mais elle n’est pas la solution miracle, l’étape ultime qu’il faut chercher systématiquement dans toutes les luttes. Dans certaines périodes historiques cruciales, par exemple lors de la révolution d’Octobre 1917, cette tactique aurait été une catastrophe pour le mouvement ouvrier. En outre, la mise en avant de ce type d’action doit être établie à partir d’une analyse très précise de la situation du mouvement ouvrier.

Article paru dans l’Egalité N°103

En effet, si ce mot d’ordre de grève générale est lancé sans que la classe ouvrière ait réuni les conditions objectives et subjectives nécessaires pour le mettre pleinement en œuvre, le résultat sera une démobilisation et une perte de confiance dans ses propres forces de la partie la plus avancée du prolétariat, laquelle aura ressenti une coupure entre ses positions et le reste de la classe ouvrière. Le mot d’ordre de la grève générale n’est donc pas à mettre en avant de manière systématique et mécanique.

C’est ce qui s’est passé en 1922 en France quand une grève générale a été lancée, entre autres par le Parti Communiste, après le meurtre par les forces de police de trois grévistes au port du Havre. Seulement une partie infime de la classe ouvrière suivit ce mot d’ordre car les conditions subjectives dans la conscience de classe des travailleurs, qui commençaient seulement à relever la tête après la première guerre mondiale, ne leur permettaient pas de s’approprier massivement cette action.

La situation actuelle n’a rien de comparable. Aujourd’hui les conditions objectives et subjectives de la classe ouvrière ont connu une nette évolution dans toute l’Europe. Face à l’offensive néo-libérale des gouvernements et des patrons, à travers la multiplication des luttes, la question de la grève générale est revenue à l’ordre du jour. Les travailleurs grecs en 2001 ont suivi massivement deux grèves générales contre le gouvernement Simitis (de droite) sur la question des retraites puis de l’annualisation du temps de travail. En Espagne, en juin 2002, le gouvernement Aznar a dû se confronter à la colère des deux millions de manifestants et des dix millions de grévistes comptabilisés par les syndicats. Au Portugal, en Italie, les travailleurs ont de même expérimenté la voie de la grève générale.

C’est que, face à l’intransigeance des capitalistes et leur volonté de mener les attaques jusqu’au bout, les travailleurs ont vu la nécessité de construire une riposte à la hauteur de l’offensive. En France en mai dernier, il était ainsi évident chez une majorité des travailleurs, grévistes comme non grévistes, que la situation exigeait un blocage de l’économie. La grève générale est alors devenue une revendication de la base et est apparue comme le seul moyen de créer un rapport de forces imposant le retrait des attaques.

Qui gouverne la société ?

Ce rapport de forces aurait peut-être mis le gouvernement Raffarin en difficulté, même si elle aurait été essentiellement localisée dans le secteur public. Mais il a surtout terrifié par avance les dirigeants syndicaux. Car une grève générale pose toujours la question du pouvoir, elle est une première étape dans le processus révolutionnaire. Les travailleurs ne peuvent qu’y constater la puissance du mouvement ouvrier organisé et prendre confiance dans leurs propres forces. De plus, en voyant qu’ils peuvent bloquer l’économie, ils prennent également conscience de leur poids essentiel dans la production et, à l’inverse, du rôle de parasites oppresseurs des classes dirigeantes dont le pouvoir ne se justifie en rien. La société de classes apparaît dans toute son inégalité et la question de l’alternative politique devient alors centrale en même temps qu’apparaît plus ou moins clairement l’exigence d’avoir un gouvernement au service des intérêts des travailleurs. Si la grève générale avait eu lieu, notre tâche aurait ainsi été d’avancer la question du gouvernement ouvrier et du parti des travailleurs. Blondel a bien compris ce qui était en jeu en commençant par déclarer qu’une grève générale en France serait  » insurrectionnelle « . C’est la grande différence entre le mouvement actuel et celui de 95 : au gouvernement Juppé, les dirigeants syndicaux voyaient Jospin se poser en alternance. Aujourd’hui qui mettre ? Le vide politique créé par la décrédibilisation actuelle des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, conséquence notamment de la politique de droite du gouvernement Jospin, ne serait pas un obstacle s’il n’existait que chez les dirigeants syndicaux. Le problème principal du mouvement de mai est que les travailleurs eux-mêmes sont confrontés à un manque d’alternative. La grève générale était perçue comme un moyen de contrer les attaques du camp opposé mais certainement pas comme la première étape pour changer le système.

L’exigence du programme socialiste

La chute du stalinisme et l’offensive néolibérale qui s’en est suivie, la confusion savamment entretenue entre stalinisme et nazisme d’une part et stalinisme et communisme d’autre part, ont empêché les travailleurs de rentrer pleinement en contact avec le programme socialiste ces dernières décennies. Même si aujourd’hui une grande partie de la classe ouvrière a conscience de ne pas partager avec le patronat et la bourgeoisie les mêmes intérêts, elle n’est pas encore convaincue de sa capacité à prendre le pouvoir ni de son rôle révolutionnaire. Ce qui explique le poids et le pouvoir de freinage des directions syndicales dans le mouvement de mai en France. Néanmoins, même si la grève générale n’a pas eu lieu en France, mêmes si les sinistres clowns Berlusconi, Aznar et compagnie se sont maintenus au pouvoir, la percée de cette question de la grève générale dans toute l’Europe témoigne du réveil de la classe ouvrière. Avec la chute de la croissance capitaliste, avec la multiplication des luttes, il est désormais évident que les prochains mois vont être le lieu d’une exacerbation de la lutte des classes et que la question de la grève générale sera au centre des enjeux. Plus que jamais il est de la responsabilité de tous les marxistes de mettre en avant le programme socialiste, tant dans l’organisation et la tactique des luttes que dans l’élaboration pour et par les travailleurs d’une alternative socialiste au capitalisme.

Par Geneviève Favre