Le terrorisme est-il « l’arme du faible »? Quelles tactiques dans la lutte pour le socialisme ?

Les attentats du 11 septembre 2001 ont donné le coup d’envoi de la « guerre contre le terrorisme » de George Bush. L’appel de Bush a trouvé un écho favorable en Israël, confronté à une vague d’attentats-suicides sans précédent, et en Inde où la guérilla indépendantiste cachemire a porté des coups sévères, non seulement au Cachemire, mais également contre le Parlement indien.

Les USA se réservent le droit d’intervenir dans tous les pays qui « abritent » des terroristes. Ils mènent déjà des opérations militaires contre la guérilla islamiste en Afghanistan et aux Philippines. Ce type d’opération pourrait se répéter en Colombie contre la guérilla des FARC, au Yémen, au Soudan, sans parler de l’Irak. La « lutte contre le terrorisme » sert donc de prétexte à l’impérialisme US pour intervenir militairement là où bon lui semble, c’est-à-dire là où son intérêt le lui dicte. Quelle doit être l’attitude des révolutionnaires socialistes face au terrorisme et à la guérilla ? Doivent-ils les soutenir sous prétexte qu’ils seraient « l’arme du faible » contre l’oppression et l’impérialisme » ? Toute forme de lutte armée est-elle du terrorisme ?

Article paru dans l’Egalité n°96

« Le peuple turc est lâche. Il faut lui montrer que l’Etat turc est vulnérable en punissant ses représentants ». Cette réflexion tombée de la bouche d’une militante du DHKP-C, un mouvement qui prétend mener une « lutte armée » contre le régime en Turquie, résume parfaitement la philosophie du terrorisme. Selon cette conception, la jeunesse et les travailleurs formeraient une masse passive. Une « avant-garde » éclairée et éclairante se donne donc pour mission de lui montrer la voie de la révolution en abattant des ministres, des généraux, des capitalistes bien en vue. Une version plus cynique existe, qui postule qu’il faut frapper l’Etat bourgeois en escomptant que l’inévitable répression qui s’ensuivra sortira les masses de leur mollesse et les poussera à la révolte… La réalité est tout autre. Les attentats ont pour effet que la population se range massivement aux côtés des autorités, ce qui leur permet de prendre des mesures répressives, non seulement contre les terroristes, mais également contre le mouvement ouvrier, la jeunesse et les minorités nationales. Les terroristes, totalement isolés, y voient bien sûr la confirmation de leurs préjugés sur l’apathie des masses. Toujours en Turquie, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) a finalement dû jeter le gant après l’arrestation de son leader Ocalan et la perte de ses bases arrières en Syrie (un pays qui occupe le Liban et qui opprime sa propre minorité kurde !).

Après 20 ans de guérilla pour l’indépendance, la cause kurde n’a, malheureusement, pas progressé vers une solution. Le Kurdistan est exsangue : 20.000 morts, 300 villages rasés, des centaines de milliers de déplacés. Le PKK n’a jamais recherché le soutien des travailleurs turcs, ne voyant en eux qu’une masse réactionnaire irrémédiablement acquise au nationalisme turc.

L’année passée pourtant, les travailleurs et les classes moyennes turcs sont massivement descendus dans la rue pour protester contre les effets de la crise économique suite à la dévaluation brutale de la livre turque. Bien que ce mouvement n’ait pas eu la même ampleur qu’en Argentine, il n’en a pas moins ébranlé le régime. L’isolement des organisations de gauche pratiquant la guérilla ou le terrorisme individuel les a empêchés d’intervenir pour donner une direction à ce mouvement et l’étendre.

La Palestine et Israël

Le conflit israëlo-palestinien a atteint un degré de violence inégalé depuis l’élection d’Ariel Sharon comme premier ministre d’Israël. Alors que la cote de popularité de Sharon était au plus bas en mars, les attentats-suicides de la Pâque juive (29 morts à Netanya) lui ont permis de regagner le soutien de l’opinion et de mener ses sanglantes opérations de représailles dans les territoires « autonomes » palestiniens, notamment à Jénine.
L’opération « muraille protectrice » était à peine terminée que de nouveaux attentats-suicides endeuillaient Jérusalem. L’armée israélienne utilise désormais les attentats comme prétexte pour pratiquer une réoccupation progressive des territoires si peu autonomes. Les organisations palestiniennes (Hamas, Djihad islamique, Tanzim-Fatah, FPLP) justifient les attentats-suicides comme étant « l’arme du faible » imparable, seule capable de forcer Israël aux concessions.

Cet argument est repris par une partie des partisans de la cause palestinienne en Europe. Ceux-ci invoquent également le désespoir pour expliquer le geste fatal de ces hommes-bombes. Si on peut comprendre le désespoir de ces hommes et femmes qui ont vu leur maison ou leurs champs détruits par les bulldozers, des parents et amis abattus comme des chiens, qui ont perdu leur emploi et toute sécurité d’existence à cause du bouclage de leur ville par l’armée israélienne, la compassion ne peut cependant tenir lieu de stratégie politique.
En plus, cette pitié fait peu de cas du désarroi des travailleurs et des jeunes israéliens qui, en l’absence de perspectives de paix, endeuillés et meurtris par les attentats, ne voient pour l’instant d’autre alternative que de faire bloc autour de « leur » gouvernement réactionnaire. Le mouvement des « refuzniks », ces soldats israéliens qui refusent de servir dans les territoires occupés, s’en trouve isolé. Beaucoup de soldats refusent de le rejoindre car ils sont persuadés qu’ils mènent une guerre contre le terrorisme.

Le gouvernement profite de ce climat d’union nationale pour faire passer une série de mesures anti-sociales qui susciteraient une levée de boucliers parmi les travailleurs israéliens en d’autres circonstances : coupes sombres dans les budgets sociaux (santé, enseignement…), hausses d’impôts, augmentation du prix des transports… Tout cela dans un pays qui connaît déjà un chômage de masse et où 1,5 million d’habitants (sur 6 millions !) vivotent sous le seuil de pauvreté. Un mouvement de masse de la population israélienne contre la pauvreté, l’austérité et la guerre, combiné avec l’élargissement du mouvement des refuzniks au sein de l’armée, changerait complètement la donne en faveur des Palestiniens. Les attentats font obstacle à un tel processus.

Pour une lutte des masses

Les révolutionnaires socialistes ne rejettent pas par principe la lutte armée. Mais celle-ci est toutefois contre-productive lorsque elle se substitue à la lutte des masses. C’est le cas de tous les mouvements de guérilla à travers le monde (Colombie, Népal, Turquie, Palestine…). Si les organisations palestiniennes armées bénéficient d’un large soutien de la population, ce soutien n’en reste pas moins passif. C’est-à-dire que ces milices décident seules de la stratégie à suivre, de leurs cibles, etc.

C’est la population palestinienne qui subit de plein fouet les représailles israéliennes qui suivent les actions sanglantes des milices contre les civils en Israël. C’est pourquoi il est vital que les travailleurs, la jeunesse et les couches populaires en général reprennent aux milices le contrôle de la lutte armée. C’est la population qui doit décider, via des comités d’auto-organisation indépendants de l’Autorité Palestinienne, de la stratégie, des tactiques et de la finalité de la lutte armée. Ces comités offriraient un espace pour départager les nationalistes et les islamistes d’une part, les socialistes d’autre part. Les socialistes expliqueront que le gouvernement israélien tire toute sa force du soutien que lui procure actuellement la classe ouvrière israélienne. Ils insisteront sur la nécessité pour les Palestiniens de gagner cette force immense à leur cause. Ils peuvent y arriver en limitant la lutte armée à l’auto-défense contre les incursions de l’armée et les empiétements des colons extrémistes (les fameux « avant-postes »).

Ils combineraient cette auto-défense avec une propagande active en direction des militaires dans les territoires occupés ; les comités chargeraient leurs représentants, élus et révocables à tout moment, de prendre une initiative en direction des travailleurs israéliens en vue de résoudre ensemble le contentieux national et les problèmes sociaux sur base d’un partenariat entre deux états ouvriers – l’un à majorité arabe, l’autre à majorité juive – qui mettraient toutes les ressources de leur économie au service du développement et du bien-être de la population sans distinction de religion ou d’ethnie.

Par Thierry Pierret (MAS/LSP)

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