Dans une tribune au journal Le Monde daté du 5 mai 2001, Pierre Vidal Naquet, cet opposant de la première heure à la guerre d’Algérie, réagit à la sortie du livre du Général Aussaresses.
Article paru dans l’Egalité n°87
Le sujet de la torture de civils et de militaires par les forces françaises en Algérie est a nouveau à la une alors que Lionel Jospin vient de donner son aval à l’édification d’un monument à la mémoire des soldat français tués en Algérie.
« C’était le temps de la police, et au sein de l’armée, celui de la gendarmerie: les juges étaient peu regardants et n’hésitaient pas à inculper des hommes sortis ensanglantés d’un interrogatoire policier. Après la police -[…] ce fut l’armée, notamment, mais pas exclusivement, la 10e DP dont le chef, le général Massu reçut […] tous les pouvoirs de police dans le département d’Alger et diffusa aussitôt l’ordre de torturer, et c’est à eux qu’étaient dévolus les « pouvoirs spéciaux » votés le 12 Mars 1956 par une très large majorité incluant les députés communistes et les socialistes. C’est à l’intérieur de ce dispositif para que fonctionna l’unité très spéciale, le commando de tueurs que dirigeait le commandant Aussaresses, celui là même qui vient de publier un livre qui provoque quelques remous. »
La question qui revient sans cesse est celle de la responsabilité de l’Etat français. A-t-il oui ou non encouragé ces pratiques ? S’est-il opposé à celles-ci ?
« Le pouvoir gaulliste décora et promut les officiers tortionnaires, à commencer par le général Massu . Et si ce dernier fut chassé d’Alger, c’est parce qu’il avait critiqué la politique algérienne du président. Autrement dit, la torture ne fut jamais pour le général de Gaulle un problème politique. » On sourit d’ailleurs doucement devant les propos scandalisés de Chirac, qui demande « ingénument » à ce que toute la lumière soit faite sur ce sujet, comme s’il n’était pas déjà au courant ! Quand à Lionel Jospin, il demande que l’on laisse travailler les historiens. Mais rien par rapport à la responsabilité de l’Etat français dans ces atrocités.
Rien à attendre de ce côté. « Et le droit ? On sait, hélas, qu’il est plastique et que la volonté politique peut le tordre dans un sens ou dans l’autre. Poursuivre Aussaresses pour apologie de crimes est une solution. L’amnistie et la prescription semblent s’opposer aux poursuites pénales. » Une fois de plus on se rend compte du fonctionnement à deux vitesses de la justice.
L’Etat français est bien plus prompt à dénoncer les manquements aux « droits de l’homme » dans les autres pays tant que cela ne va pas à l’encontre de ses intérêts économiques (cf. la Chine). Existerait-il une torture politique occidentale « propre » et une autre « sale » ?
Par Virginie Prégny