Algérie : les Kabyles à nouveau bouc-émissaires de l’Etat Algérien

Le 21ème printemps Kabyle aura été particulièrement meurtrier. Des dizaines de jeunes ont payé de leur vie l’expression de leur colère après l’assassinat par un gendarme du lycéen Massinissa Guermah dans les locaux de la gendarmerie de Béni Doula près de Tizi Ouzou le 18 avril dernier.

Article paru dans l’Egalité n°87

La jeunesse Kabyle a rapidement réagi par des manifestations massives que les gendarmes réprimeront aussitôt. 21 ans après la répression du printemps 1980 qui sera la réponse du pouvoir aux revendications culturelles kabyles, ce même pouvoir renoue avec les mêmes méthodes. Les gendarmes tireront à balles réelles sur les manifestants, iront arrêter des lycéens en plein dans leur classe, une institutrice sera tuée lors des manifestations.

Pouvoir assassin !

La répression n’a pas réussi à entamer la résistance du peuple Kabyle, et des manifestations de protestation et de solidarité se sont multipliées. En Kabylie tout d’abord, puis à Alger où les étudiants organiseront une grève de solidarité.

Mais la plus importante manifestation jamais organisée en Kabylie a rassemblé le 21 mai plus de 500.000 manifestants à Tizi Ouzou, capitale de la Grande Kabylie. C’est à l’appel des comités de villages et archs (tribus) de Kabylie qu’elle a eu lieu. Les comités ont appelé au boycottage des commissions d’enquête mises en place par le président Bouteflika soit-disant pour faire la lumière sur ces émeutes : aucune commission de ce type n’a vu son travail aboutir en Algérie.

Ils réclament aussi des poursuites judiciaires contre les auteurs des « assassinats », l’arrêt des interpellations, le renoncement aux poursuites judiciaires contre les manifestants et le départ « immédiat » et « sans conditions » de toutes les brigades de gendarmerie. Tous les villages de Grande Kabylie ont répondu massivement à l’appel de la coordination des villages mise en place jeudi 17 mai à Illoula. On a même vu des Moudjahidate, combattantes de la guerre d’indépendance contre le pouvoir colonial participer à la marche.

Revendication culturelle et revendications politiques et sociales

Les structures mises en place par les Kabyles sont celles que ce peuple a souvent mises en place dans sa lutte contre les diverses oppressions et occupations lors de la guerre d’indépendance contre la France par exemple. Ces structures inquiètent grandement le pouvoir algérien comme elles l’avaient inquiété au lendemain de la victoire de la révolution algérienne sur la France en 1962. A chaque apparition d’un problème en Kabylie le pouvoir brandit l’épouvantail du séparatisme. L’Algérie s’est construite en s’unissant contre le colonisateur français. Le pouvoir a toujours traité les revendications culturelles comme une remise en cause de cette histoire, et à terme une remise en cause de l’indépendance de l’Algérie par rapport à la France.

Le pouvoir algérien a l’habitude d’utiliser des bouc-émissaires pour justifier sa dictature, et ne pas parler du chômage (25 % de la population), de la misère et du marasme économique. La « menace » islamiste a été combattue de cette manière. Jusqu’à récemment (et cela se pratique toujours dans certains endroits), la chasse aux islamistes se caractérisait par une débauche de moyens expéditifs et totalitaires : rafles dans les quartiers populaires, déportation dans des camps de jeunes « désœuvrés » soupçonnés par là même d’être militants intégristes…

Ceci permettait au pouvoir un bloc politique comportant le RCD, Kabyle, jusqu’à la récente répression qui mènerait à bien la politique de privatisations tout en parlant surtout de la lutte contre les « intégristes ».

Mais, il lui est difficile de pouvoir aller aussi loin contre les revendications Kabyles. Le peuple algérien subit dans son entier la misère tandis que la clique au pouvoir s’approprie les secteurs de l’économie qui sont peu à peu privatisés. De plus, la « lutte » contre les intégristes a justifié un durcissement de la dictature algérienne qui opprime l’ensemble de la population.

En avançant des revendications culturelles (reconnaissance du tamazight comme langue, avec enseignement…) mais en dénonçant également la misère et la dictature, les abus de la gendarmerie, les Kabyles font ce que tout peuple opprimé doit faire : appeler les ouvriers et les paysans, la jeunesse du pays tout entier qu’ils soient arabophone ou berbèrophone à lutter avec eux.

Les revendications Kabyles doivent être satisfaites. Les comités de villages en s’élargissant et se démocratisant encore plus, en s’étendant et se fédérant à l’échelle du pays, pourraient constituer le véritable début d’un second pouvoir opposé à la dictature, capable de prendre en main les affaires du pays.

En avançant vers une Algérie socialiste dans laquelle chaque minorité aura ses droits reconnus, c’est la révolution algérienne qui pourra ainsi à nouveau avancer.

Par Alex Rouillard