La lutte contre le CPE pouvait elle permettre une grève générale ?

Pendant près de deux mois de lutte contre le gouvernement, lentement parmi les jeunes et une partie grandissante des travailleurs, l’idée que seule une grève générale ferait reculer les classes dirigeantes s’est posée. Le gouvernement l’a senti et pour éviter l’extension, a finalement reculé sur le CPE.

Article paru dans l’Egalité n°119

La grève générale, c’est une des armes les plus puissantes des travailleurs. Quand elle se produit, l’économie du pays est paralysée, les capitalistes se révèlent incapable de faire tourner le pays : leur inutilité se révèle donc à ce moment. Dans toute grève générale se pose directement la question du renversement du capitalisme, de la possibilité de construire une société débarassée de l’exploitation.

La grève générale se pose quand les travailleurs décident pour imposer leurs revendications de bloquer l’économie. Pour qu’une grève générale se développe, il faut aussi que la majorité des travailleurs soit convaincue que c’est le moment pour gagner sur une série de revendications, ou de changer une situation politique. C’est souvent la volonté des classes dirigeantes de pousser au bras de fer qui amène les travailleurs à la compréhension qu’un tel mode d’action les rend capables de gagner. Dans une grève générale, le pouvoir des grévistes s’oppose à celui de l’Etat et pose la question de qui dirige le pays, les travailleurs ou les capitalistes. Elle pose la question du pouvoir ouvrier contre le gouvernement capitaliste.

Les grèves générales en France, en 36 et 68, ont remis en cause le gouvernement et le pouvoir du patronat. Les comités de grève notamment en 36 étaient organisés par les travailleurs et les syndicats et ils ont montré la possibilité pour les travailleurs de gérer les choses eux-mêmes. Cela remettait en cause le fondement du capitalisme : la propriété privée des moyens de production. Il s’est établi, au plus haut degré de la lutte, une situation de double pouvoir : celui des travailleurs organisés, face à celui de la bourgeoisie défendu par le gouvernement.

Comme en mai 68, pendant le mouvement contre le CPE, la jeunesse était en avant de la lutte et a fait augmenter le niveau de radicalisation des travailleurs par sa lutte. De plus, jeunes et travailleurs se retrouvaient sur une même revendication : le retrait du CPE. Plusieurs éléments étaient réunis pour que la grève se généralise. Le mouvement était soutenu par une majorité de travailleurs et de jeunes et le gouvernement était totalement discrédité avec Villepin et Chirac à 25%. Pourtant la grève générale n’a pas existé. Les travailleurs et les jeunes ont rencontré deux principaux obstacles.

L’obstacle des directions syndicales

Contraintes à une journée de grève commune le 28 mars, les directions des syndicats et organisations de jeunesse ont refusé d’appeler à poursuivre la grève le 29, malgré l’appel de la coordination nationale étudiante. Elles se sont contentées d’une nouvelle grève le 4 avril et ont répondu favorablement aux négociations avec Sarkozy et les députés de l’UMP. Les directions syndicales ont laissé passer la quasi totalité de la loi « Egalité des chances » sans mobiliser, les partis de « gauche » aussi se voyant gérer à nouveau les affaires et proposant pour cela une précarité plus sociale. Alors que le mouvement était encore très fort, elles se sont contenté de ce petit succès, laissant ainsi le CNE en place.

En refusant d’appeler à des assemblées générales sur tous les lieux de travail, d’appeler à reconduire la grève et à l’étendre, en limitant les slogans au seul CPE, les directions syndicales et partis de « gauche » ont retiré aux travailleurs les moyens de construire la grève générale nécessaire pour faire reculer le gouvernement de façon significative. Les travailleurs et les jeunes étaient dépendants à la fois de la réaction du gouvernement et de l’attitude des directions syndicales pour pouvoir agir. Beaucoup de travailleurs, prêts à engager une lutte frontale contre le gouvernement, se sont rendus compte qu’ils ne seraient pas soutenus. Plus les travailleurs et les jeunes sont désorganisés et isolés, plus les directions syndicales, tout comme les partis soit disant de gauche, peuvent peser et freiner le développement des luttes et encore plus le développement d’une grève générale.

Le manque d’un programme de revendications pour construire la grève générale

Beaucoup de travailleurs se sentaient démunis, conscients qu’en cas de victoire d’une grève générale, il n’y avait pas de réelle force politique représentant leurs intérêts. L’absence de comités de grève et d’une fédération de ceux ci empêchait également que les travailleurs constituent eux même cette force politique. Il aurait fallu un véritable programme de lutte pour pouvoir aller jusqu’au bout.

Un véritable programme de revendications aurait donné un contenu à la grève générale. Le retrait du CPE était un levier pour s’en prendre à toute la loi, au CNE mais aussi pour que les travailleurs de chaque secteur y incluent leurs propres revendications, contre tout licenciement et fermetures de sites, contre les privatisations, les contrats précaires, la casse des services publics, pour de vrais emplois et de vrais salaires, un logement décent… bref contre toute le politique de Villepin-Sarkozy !

La principale leçon est donc que les travailleurs et les jeunes doivent s’organiser eux-mêmes. Le manque de programme et de perspectives a été criant lors de cette lutte et a montré combien un outil de combat, un parti qui puisse aider au développement et à la coordination des luttes, leur donner une orientation qui s’en prenne réellement au capitalisme pour imposer les mesures qui sont vitales pour les travailleurs. Un tel parti est nécessaire pour discuter des revendications, des modalités de la lutte dans chaque secteur, dans les syndicats et élaborer un plan de riposte au gouvernement et au patronat.

Ce mouvement a permis l’apparition d’une nouvelle génération prête à lutter de façon déterminée. En remettant à l’ordre du jour les questions de la nécessité de liens entre les luttes des travailleurs et des jeunes, des assemblées générales, des comités de grève… la jeunesse en lutte contre le CPE a renoué avec les traditions du mouvement ouvrier.

Cette lutte montre l’urgence qu’il y a à pour tous ceux qui veulent se battre de construire un parti de lutte et des syndicats combatifs contre le capitalisme et le gouvernement qui est à son service qu’il soit PS ou UMP.

Par Leïla Messaoudi