La grève de Minneapolis

Mis en place en 1933 par le président démocrate Roosevelt, après la crise de 29, la série de réformes et de mesures du New Deal sous des aspects progressistes visait essentiellement la stabilisation du système économique pour les profits des capitalistes en même temps qu’un contrôle de la contestation des défavorisés. Les chômeurs et les travailleurs se rendaient compte qu ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour échapper un tant soit peu à la misère.

Article paru dans l’Egalité n°110

Des luttes se développaient partout dans le pays; des milliers de chômeurs s’organisaient dans des comités, des actions se développaient contre les expulsions des locataires, des fermiers pauvres, noirs et blancs, s’organisaient ensemble…L’année 1934 connut un million et demi en tout de grévistes dans différents secteurs industriels. C’est dans ce contexte que se lança en février 1934, la lutte des camionneurs de Minneapolis.

Le rôle essentiel des militants trotskistes

Minneapolis était réputée pour ses conditions de travail insupportables (certains travailleurs débutaient à 3h du matin et terminaient à 18h !), des salaires misérables et ses syndicats corrompus. Le syndicat des camionneurs ne développait aucune lutte, collaborait avec le patronat et ne syndiquait que les ouvriers qualifiés.

Des militants trotskistes étaient investis dans une section locale du syndicat, la  » local 574 « , et organisaient plusieurs centaines de travailleurs du transport du charbon, autour de revendications offensives : augmentation des salaires, amélioration des conditions de travail, syndicalisation de tous les travailleurs…

A un moment où le rôle réel du gouvernement et la corruption de l’AFL, l’American federation of labour (l’unique fédération syndicale de l’époque), n’étaient pas élucidés par la classe ouvrière, le but des militants trotskistes était de permettre aux travailleurs de percevoir la trahison des dirigeants syndicaux et la nécessité de ne compter que sur leurs propres forces pour décider et organiser les luttes, en refusant toute collaboration ou compromis avec le patronat.

C’est pourquoi ils se démarquèrent de la direction locale en créant un organe officieux, le comité d’organisation, indispensable pour la préparation de la grève.

Organiser l’indépendance des travailleurs

Le mouvement s’organisa par la base. Les travailleurs surent que l’acceptation de leurs revendications ne passerait que par une lutte combative et une mise en grève de tous les salariés. Car il leur apparut rapidement qu’ils ne seraient pas soutenus par leur syndicat, ni par la fédération AFL.

Le mouvement se forma selon les règles de la démocratie ouvrière. Réunis en assemblées générales, les travailleurs décidaient collectivement. En avril, un comité de grève structurait la lutte, élu et révocable.

La grève se prépara dans les moindres détails. Il était important que les hommes sentent que leurs efforts étaient bien dispensés, qu’ils prennent une part active dans la lutte et qu’ils croient en la victoire. Pour stimuler cette confiance, les travailleurs devaient anticiper une organisation sans faille de la grève.

La principale stratégie était de monter des piquets de grève aux limites de la ville, au niveau des grandes routes, des stations d’essence, des marchés et des terminaux de transport afin de paralyser la ville. Dans chaque piquet, un responsable était en contact avec le siège général et donnait informations, instructions et responsabilités aux grévistes.

Un immense garage fut utilisé comme siège central. Tout avait été envisagé pour assurer les conditions de survie et prolonger la durée du mouvement : un centre de premier secours tenu par des médecins volontaires ; des équipes s’occupant du ravitaillement ; un service spécial de réparation des véhicules utilisés pour constituer les piquets…

Les femmes ont joué un rôle important dans le déroulement de la lutte. Organisées en comités, elles assurèrent de nombreuses fonctions : préparation de la nourriture, tâches de secrétariat pour rédiger les instructions, diffusion de journaux, financement de la lutte, présence dans de nombreux piquets de grève. Leur détermination et leur forte implication développèrent la solidarité avec les autres secteurs.

Lutte et conscience de classe

Si avant le début de la grève, beaucoup de travailleurs n’avaient pas encore conscience de leur condition de classe et avaient encore des illusions sur l’impartialité de la police et de la presse, le durcissement du conflit inversa la tendance. Conscients de représenter la classe ouvrière et de défendre ses intérêts, l’implication de tous fut totale et il n’y eut aucune trahison. C’est cette même conscience de classe qui apporta aux grévistes le soutien des ouvriers du bâtiment et de l’électricité. Sous l’impulsion de la « local 574 », les organisations de chômeurs participèrent au comité de grève. Le patronat ne put alors avoir en réserve des briseurs de grève faciles à manipuler.

Pour mettre fin à la grève, le patronat usa de provocations et de violents moyens de répression : police, arrestations, attaques des piquets de grève, grévistes battus, tués… Mais ces pressions n’intimidèrent pas les ouvriers et ne détruisirent pas la solidarité. C’est que les capitalistes n’avaient plus seulement en face d’eux une masse de travailleurs mais une organisation armée d’ouvriers.

Une conclusion victorieuse et exemplaire

Après une seconde grève en avril et une troisième au mois de juin, le gouvernement craignit une extension de la lutte. Aussi l’augmentation des salaires et la syndicalisation des travailleurs non qualifiés furent acceptées.

La « Local 574 » était passée de 70 membres à 7000 membres et organisa les travailleurs d’une même branche et non plus par entreprises comme le pratiquait l’AFL. Ceci fut essentiel dans le développement de la conscience de classe.

Les tentatives de la presse bourgeoise pour dénoncer les militants trotskistes et décrédibiliser les grévistes furent un échec complet. Ces derniers furent reconnus comme des constructeurs sincères et efficaces de la lutte et le mouvement créa le premier journal syndical, The Organizer.

C’est que sans chercher à s’accaparer des postes clés de la grève, ou à devenir des petits barons de syndicat, les militants de la « local 574 » surent offrir aux travailleurs des perspectives et des tactiques claires et efficaces. En développant le soutien et l’extension de la grève, ils assurèrent une plus large conscience de classe. En interpellant les directions locales et nationales du syndicat et en créant une structure alternative, ils démontrèrent la nécessité de l’ indépendance de classe et de l’auto-organisation des travailleurs.

Cette victoire donna lieu à d’autres luttes dans tout le pays. Mais les directions de l’AFL et le puissant syndicat CIO, the Congress of Industrial Organizations, jouaient (déjà !) le double jeu de l’alliance avec le patronat. Dans le Times, Lewis, dirigeant du CIO, affirmait qu’ « une convention signée avec le CIO est l’assurance efficace contre les occupations ou toute autre forme de grève. » Il s’agissait d’atténuer l’esprit de révolte des travailleurs en les canalisant.

Face à cela, le manque d’un parti des travailleurs se fit cruellement sentir et permit à ces dirigeants syndicaux, véritables laquais aux ordres du patronat et de Roosevelt, de refuser d’appeler à la grève pendant la seconde guerre mondiale…

Le triomphe des camionneurs de Minneapolis restera ainsi un triomphe éphémère car sous le système capitaliste, le gouvernement, au service des patrons, aura vite fait d’enrayer les acquis durement gagnés par les travailleurs. Mais elle fut et demeure exemplaire. Grâce à elle, les ouvriers ont pu prendre conscience de leurs capacités à s’organiser pour résister aux attaques des employeurs mais également de la force qu’ils représentent.

Mais c’est organisée en un véritable parti révolutionnaire avançant le programme socialiste que la classe ouvrière pourra renverser le système capitaliste.

Par Lise De Luca et Geneviève Favre