La colère gronde à Amazon Montélimar

Dans le contexte particulier de la pandémie du covid-19 et la décision du gouvernement d’user de la stratégie du confinement, les entreprises n’étant pas de première nécessité ont initialement été invitées à fermer ou du moins à revoir drastiquement leur fonctionnement à la lumière des fameux « gestes barrières ».

Interview de Robin Collignon, salarié sur le site d’Amazon Montélimar et syndicaliste CGT

Qu’en a-t-il été sur le site Amazon Montélimar ? Comment vos conditions de travail ont-elles été adaptées ? Comment ont réagi la direction et les salariés ?

RC : Bien évidemment comme nous nous y attendions, Amazon n’a pas envisagé une seule seconde la fermeture, niant catégoriquement le danger et prétendant avoir une activité vitale pour la population, ce qui est bien entendu faux puisque les articles de première nécessité ne représentent qu’une partie très minoritaire de ce qui est vendu sur le site. Lors de la première semaine de confinement, les seules mesures mises en place ont été le nettoyage des scanners avec des lingettes qui n’étaient pas virucides, et la consigne de distanciation sociale de 1 mètre, qui était impossible à tenir notamment au moment des changements d’équipes ou des dizaines de salariés se croisent dans les vestiaires.

Cette semaine là, rien n’a été fait pour diminuer l’effectif sur la plate-forme, bien au contraire, des intérimaires ont été formés chaque jour pour remplacer les salariés qui s’étaient mis en arrêt pour garde d’enfants la semaine d’avant, et aussi pour anticiper les droits de retrait, vu que nous avons directement réagi en informant les salariés de ce droit.

Depuis, la direction, sous la pression médiatique et de l’inspection du travail, a cessé les intégrations d’intérimaires, et mis en place d’autres mesures qui limitent les regroupements et les croisements de salariés, avec des sens de circulation, la fermeture des vestiaires, l’espacement des pauses, la distanciation sociale passée à 2 mètres (c’était déjà compliqué à 1…). Elle a également demandé une intensification du nettoyage des locaux, ce qui fait peser une surcharge de travail sur les salariés de l’entreprise sous-traitante. Mais le risque principal reste la manipulation de milliers d’articles et de colis par jour par de nombreuses personnes successives. Et pire, pour se couvrir et mettre la responsabilité de cette mise en danger sur le dos des travailleurs, l’entreprise a recours à des mesures de répression, en demandant des volontaires pour une équipe de « prévention » dont la finalité est en réalité le flicage et la sanction des salariés qui ne respecteraient pas les consignes de sécurité. De nombreux abus de pouvoir ont également eu lieu de la part des managers, avec des comportements agressifs, et des convocations abusives par les Ressources Humaines. Comme l’ont dit de nombreux collègues : « non seulement la boite nous met en danger en nous faisant bosser en période de crise sanitaire, mais en plus de ça, ils nous gueulent dessus et nous sanctionnent en disant que c’est notre faute »…

Avec la CGT, vous vous êtes rapidement mobilisés pour dénoncer ces conditions. Beaucoup de salariés ont fait usage de leur droit de retrait et quatre débrayages ont déjà eu lieu en mars, plus un cinquième cette semaine.

Cela a notamment permis de faire venir l’inspection du travail rapidement. Celle-ci a pointé du doigt plusieurs défaillances (sur au moins 4 sites en France) et a préconisé la mise en demeure du site de Montélimar (risque niveau moyen) jusqu’à mardi 14 avril.

Quelles sont ces défaillances ? Qu’est-ce que prévoit le syndicat pour la suite ?

RC : L’inspection à relevé un manque de distributeurs de gel hydro-alcoolique sur le site, trop espacés pour permettre aux salariés de se désinfecter les mains fréquemment. La direction s’est couverte en distribuant une fiole de gel à chaque salarié, ce qui n’était pas ce que préconisait l’inspection, c’est à dire un distributeur par poste de travail, et d’en mettre plus dans les zones de picking. Également, il a été constaté que la distanciation sociale était toujours compliquée à tenir à la sortie du site. Pour l’instant, rien n’a changé. Une absence de formalisation d’un plan de prévention pour les entreprises extérieures (nettoyage, sécurité, agences intérim présentes sur le site) à été relevée. L’inspection a bien spécifié que la distribution de masques, dont Amazon s’est servi pour faire un coup de com’ , ne devrait être que le « dernier maillon d’un ensemble de dispositions », autrement dit, ça ne devrait venir qu’à la toute fin des mesures mises en place et ça ne suffit pas à cacher toutes les lacunes. Idem pour la prise de température à l’entrée du site, dont l’inspection a rappelé que ça ne faisait pas partie des préconisations gouvernementales.

Également, il a été rappelé à l’employeur qu’il se devait de fournir les chiffres du nombre de salariés en suspicion Covid-19 aux représentants du personnel, ce que nous demandions depuis une dizaine de jours, mais que la direction refusait de nous fournir sous prétexte de secret médical (alors même que le secret médical ne concerne que l’identité des personnes atteintes, en aucun cas cela ne concerne l’effectif).

Pour la suite nous attendons la contre-visite, sans se faire d’illusion sur le fait que ça aboutirait à la fermeture du site, qui est notre revendication depuis le début. Cependant l’avis de l’inspection sur la réalité du danger nous donnera des atouts pour la bataille que nous allons mener aux prud’hommes pour légitimer nos droits de retrait, contestés par Amazon, et récupérer nos paies.

Aux Etats-Unis et notamment à Staten Island (état de New York), les salariés d’Amazon se mobilisent également avec une grande défiance vis à vis de leur direction et de Jeff Besos. Les mots de Chris Smalls qui s’adresse à lui en sont une belle illustration : « […] Je n’ai rien à faire de votre pouvoir. Vous vous croyez puissant ? Nous sommes ceux qui ont le pouvoir. Sans nous au travail, qu’est-ce que vous feriez ? Vous n’aurez pas d’argent. Nous avons le pouvoir. Nous créons la richesse pour vous. N’oubliez jamais ça… Je suis en train d’appeler tous les travailleurs d’Amazon à travers le pays et ils ont tous envie de débrayer aussi… Nous commençons une révolution et la population de tout le pays nous soutient ».

Est-ce que cela se rapproche de l’état d’esprit des travailleurs à Montélimar ?

La situation reste complexe mais quelles sont selon-toi les perspectives pour les semaines à venir ?

RC : Tout comme nos camarades américains et de tous les pays, les salariés d’Amazon Montélimar se rendent de plus en plus compte de leur valeur en tant que travailleur, et de l’antagonisme profond entre nous et Jeff Bezos, de la divergence totale de nos intérêts et des siens. L’attitude des dirigeants de l’entreprise face à cette situation à révélé un peu plus la façon dont nous sommes considérés, de simples chiffres qu’on envoie à l’abattoir pour le profit d’un patron ultra-riche. Devant un tel cynisme, la colère s’est très vite répandue, y compris chez certains salariés qui jusque là avaient plutôt tendance à relativiser les conditions de travail. A l’heure ou j’écris ces lignes, nous avons appris qu’un salarié espagnol d’Amazon agé de 20 ans est décédé du Covid-19. Les salariés se rendent compte qu’ils sont sacrifiés pour le profit et que Jeff Bezos se moque bien de leur faire risquer leurs vies. Une nouvelle combativité en a résulté, la preuve par les débrayages qui ont été assez importants la 1ere semaine, avec un nombre de grévistes que nous n’avions plus atteint depuis bien des années. De plus en plus de salariés relèvent la tète et se rendent compte que sans eux l’entreprise ne vaut rien, et que c’est eux qui créent toute cette richesse. D’autres écœurés par l’attitude d’Amazon, parlent de quitter la boite, ce à quoi nous devons bien répondre que ce serait une grande erreur. C’est nous qui faisons tourner l’entreprise par notre travail, c’est donc à nous de nous organiser collectivement et à nous mettre en lutte pour imposer nos conditions, et récupérer ce qui nous revient de droit.

Dans les prochaines semaines le bras de fer va continuer, nous incitons toujours au droit de retrait, et des débrayages auront sûrement encore lieu. Et quand la période d’épidémie sera derrière nous, il faudra se mettre en lutte massivement, sur tous les Amazon de France et même à l’international, pour revendiquer des augmentations massives de salaires et des conditions de travail décentes.

Rachel