Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ont été assassinés par les corps francs (milices réactionnaires de soldats) sous l’ordre du gouvernement dirigé par Friedrich Ebert, dirigeant principal du MSPD (parti social-démocrate d’Allemagne- majoritaire) et président de la République plus tard. En pleine révolution, ces assassinats des deux figures principales du mouvement révolutionnaire allemand laissaient le Parti communiste allemand (KPD), tout juste fondé, sans direction politique.
La révolution allemande de 1918
En novembre 1918, la classe ouvrière allemande, fatiguée et abîmée par la Première Guerre mondiale, et les soldats en mutinerie renversaient l’empereur Guillaume II et la monarchie avec. Les conseils (soviets en Russie) des ouvriers et des soldats se créaient partout dans le pays et prenaient le pouvoir (temporairement). Le socialisme était à l’ordre du jour et le mouvement révolutionnaire était si puissant qu’il balaya l’Ancien Régime en quelques jours, voire en quelques heures. Il était puissant à un point tel qu’aucune force politique n’osait s’opposer publiquement aux conseils des ouvriers et des soldats, ni à la volonté de construire le socialisme.
Lénine disait que les révolutions se déclenchent quand la classe dominante n’est plus capable de régner de la même façon qu’auparavant, et quand les masses n’acceptent plus de vivre comme avant.
Première guerre mondiale, résistance grandissante et révolution de novembre
Les conséquences désastreuses de la Première Guerre mondiale pour la classe ouvrière amenaient de plus en plus vers une telle situation révolutionnaire décrite par Lénine. Dès 1915, la résistance contre la guerre grandissait au sein du SPD (parti social-démocrate d’Allemagne) qui a soutenu largement l’entrée en guerre de la classe dominante et de la bourgeoisie allemandes en 1914 en votant pour les crédits de guerre (4 août 1914). Les lourdes pertes aux fronts et les conditions de vie misérables de la majorité de la population, notamment dans les villes, renforçaient la résistance contre la guerre et la monarchie.
Le travail et la propagande anti-guerre et socialiste des marxistes autour de Liebknecht et Luxemburg, et d’une partie de l’aile gauche de la social-démocratie, jouaient également un rôle important dans la prise de conscience des ouvriers et soldats. De plus, la révolution socialiste victorieuse en Russie en octobre 1917 avait un impact énorme sur les ouvriers et soldats allemands qui ont peu à peu relevé la tête au cours de l’année 1918.
Ainsi, 80 000 marins à Kiel partaient en mutinerie le 3 novembre 1918 en refusant une bataille mortelle avec la flotte anglaise, un conseil des ouvriers et des soldats prit le contrôle de cette ville et la révolution se propagea ensuite dans tout le pays. Les conseils des ouvriers et soldats se créaient partout. Le 9 novembre, les soldats et ouvriers prenaient la capitale, Berlin, l’empereur fut obligé d’abdiquer, Scheidemann, dirigeant social-démocrate, proclamait la République allemande et Liebknecht deux heures plus tard, la République socialiste ! Une véritable bataille pour le pouvoir commençait.
Double pouvoir – état ouvrier ou état bourgeois
À ce moment-là, les conseils des ouvriers et soldats détenaient le pouvoir et une forme embryonnaire d’un État ouvrier existait. Mais les dirigeants de la social-démocratie autour d’Ebert faisaient tout pour combattre la révolution, pour défendre l’État capitaliste et créer un gouvernement, nommé conseil des commissaires du peuple, en allusion au gouvernement ouvrier russe. Or, le seul et unique but de ce gouvernement dirigé par la social-démocratie était d’affaiblir les conseils ouvriers, de leur enlever peu à peu le pouvoir et d’assassiner ensuite la révolution. Ce qu’il réussit à faire en quelques semaines aussi « grâce » à la revendication pour une assemblée constituante. À aucun moment, l’appareil d’État capitaliste n’était détruit ; les ministres et fonctionnaires d’État restaient en poste. Dans ce contexte, les forces révolutionnaires étaient trop faibles dans les conseils, pas suffisamment organisées et pas suffisamment implantées dans la classe ouvrière pour gagner les masses à la démocratie socialiste et au renversement définitif du capitalisme. Cela a permis à la social-démocratie dès le début du mois de décembre de lancer la contre-révolution et d’attaquer militairement le mouvement révolutionnaire, notamment les manifestations du groupe Spartacus (organisation de Luxemburg et Liebknecht, nommée Ligue de Spartacus ensuite) ainsi que les régiments révolutionnaires des marins.
Insurrection de janvier 1919
Dans cette situation très polarisée, entre révolution et contre-révolution, la Ligue de Spartacus et le groupe IKD (communistes internationaux d’Allemagne) se réunissent en congrès (du 30 décembre 1918 au 1er janvier 1919) pour fonder le KPD (Parti communiste d’Allemagne). Peu après, les forces contre-révolutionnaires appellent ouvertement, sur des affiches et tracts, à l’assassinat de Luxemburg et Liebknecht. L’armée et le gouvernement social-démocrate se préparent à donner un coup fatal à la révolution. Suite à une provocation du gouvernement (la destitution du préfet de la police de Berlin, proche du mouvement révolutionnaire), le KPD, le USPD (scission de gauche du SPD) et les délégués syndicaux révolutionnaires appellent à une grande manifestation le 5 janvier 1919 à Berlin qui se transforme en insurrection armée. Or, ce combat est resté très isolé, car dans la plupart des grandes villes la classe ouvrière n’était pas aussi avancée que la classe ouvrière berlinoise. La bourgeoisie et son exécutif, la social-démocratie, répriment de manière extrêmement violente l’insurrection à Berlin et Hambourg, et éliminent ensuite, en mai, la République des conseils bavaroise à Munich. La défaite fut lourde et l’assassinat de Luxembourg et Liebknecht, les deux figures principales du mouvement révolutionnaire, le 15 janvier, pesa lourd et « coupa les têtes de la révolution allemande ».
Malgré sa défaite, la révolution allemande a obtenu des acquis importants pour la classe ouvrière : journée de 8 heures, l’assurance-chômage, les conventions collectives et le suffrage universel pour hommes et femmes. Pour autant, la classe ouvrière allemande n’avait pas arrêté le combat pour le socialisme, et en 1920 ainsi qu’en 1923 une révolution socialiste victorieuse était à portée de main.
Le rôle décisif d’un parti révolutionnaire
La classe ouvrière allemande en général et les militants révolutionnaires en particulier se sont battus héroïquement contre la monarchie, la guerre et la bourgeoisie allemande et pour le socialisme. Mais il leur manquait un parti révolutionnaire bien structuré, organisé et expérimenté, fortement implanté dans les bastions de la classe ouvrière, avec un programme et une stratégie clairs pour pouvoir devenir l’outil principal pour les travailleurs aux moments décisifs de la révolution. Car « le chemin vers une révolution victorieuse est très étroit », disait Lénine.
Le parti bolchevique a été capable de remplir ce rôle en Russie en 1917. Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht ont sous-estimé l’importance d’un tel parti et son rôle décisif dans une révolution. Leur groupe Spartacus n’était pas suffisamment organisé et politiquement solide pour gagner une influence importante dans les masses. Et la création du Parti communiste allemand (KPD) en pleine révolution arrivait bien trop tard. Néanmoins, le combat très courageux et sans relâche pour le socialisme de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht reste et restera une inspiration énorme pour notre combat d’aujourd’hui.
Par Olaf Van Aken