D’une guerre civile à une guerre régionale ?

Comme nous le craignions dans le numéro précédent de l’Egalité, le conflit interne à la Cote d’Ivoire s’est installé dans la durée et il implique de plus en plus clairement des forces qui ne sont pas ivoiriennes.

Article paru dans l’Egalité n°99

Ainsi, L. Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire a fait appel à plusieurs centaines de mercenaires d’Europe de l’Est et d’Afrique du Sud (il existe d’ailleurs des compagnies très rentables qui vendent leurs services internationalement). Il a ainsi montré sa propre faiblesse politique et la décrépitude de l’état ivoirien. Il a créé un précédent dangereux pour la Côte d’Ivoire en faisant intervenir des gens pour qui tuer des civils, des insurgés, des militants, des travailleurs en lutte n’est qu’un métier comme un autre.

Les « insurgés » de l’ouest ivoirien, MPIGO et MJP, dans la région du Cacao, sont eux aussi partiellement composés de soldats ou de mercenaires libériens, et l’appât de l’argent du cacao semble autant un motif que la lutte contre le régime corrompu de Gbagbo. Ce que semble confirmer le peu de liens qui existent entre ces mouvements et le MPCI qui contrôle toujours la moitié nord de la Côte d’Ivoire.

Accord, dépeçage ou explosion de la Côte d’Ivoire ?

Le Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire tient trop bien pour ne pas être isolé. Son leader, Guillaume Soro, est accusé d’être de mèche avec l’opposant et ancien haut responsable du FMI, Alhassane Outtara, de recevoir de l’aide du Burkina Faso, et d’avoir lorsqu’il présidait la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (le syndicat étudiant), régler les différents à coup de machette sur les campus.

Ce qui est sûr, c’est que les discriminations croissantes qu’ont subi les populations du nord lui ont donné une certaine base de soutien. Ce qui est sûr également c’est qu’à part la départ de Gbagbo, il n’a pas d’autres revendications ni de programme économique qui permettrait réellement à la Côte d’Ivoire de sortir du marasme économique dans laquelle elle est entrée notamment avec la chute des cours du cacao en 99 et 2000.

Ce même cacao a vu sa récolte retardée et elle est effectuée à 60 % seulement. Cela a fait remonter les cours, mais la mauvaise qualité des fèves, récoltées trop tard à cause des combats, posera des problèmes. Les conséquences pour la population risquent d’être assez graves tant en terme de manque à gagner, qu’en terme de désorganisation du travail.

Il est possible que certains pays tentent de profiter du délabrement de l’état ivoirien et ont intérêt à aider l’insurrection. Le risque d’un conflit régional n’est pas loin, et les fréquentes invectives qui sont lancées par les journaux soutenant Gbagbo à l’encontre du Togo, du Libéria ou du Burkina Faso sont assez inquiétantes.

Pour la paix en Côte d’Ivoire

Gbagbo n’a été élu qu’avec 38 % de participation aux élections après avoir réussi à faire invalider la candidature de Ouattara sous prétexte de non « ivoirité », un principe (que Ouattara avait aidé à mettre en place) qui oblige dans un pays où il y a 25 % de la population qui est immigrée à justifier de ses ascendants ivoiriens sur plusieurs générations. Ce manque de légitimité explique le peu de soutien qu’il a reçu de la population.

D’une manière générale, la population s’est peu impliquée dans cet affrontement qui relève plus d’une bataille pour le pouvoir entre les différents partis anciennement opposants à Houphouët-Boigny qu’à un combat pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise politique et économique dans laquelle elle est enfoncée.

La France a dès le début adopté une position intermédiaire, poussée à envoyer une force militaire par la crainte que les USA ne le fasse avant elle, et s’interposant pour mieux jouer les arbitres. 60 % des investissements en Côte d’Ivoire sont français, et parmi eux Bouygues est particulièrement implanté. Le gouvernement français n’avait guère envie de choisir entre les deux camps mais préférait quand même préserver Gbagbo le temps qu’une solution de rechange voit le jour. Avec la visite de Villepin et le cessez le feu, l’état français va certainement mettre une très grosse pression pour qu’un retour au calme ait lieu pour permettre la reprise des affaires pour Bouygues et les autres.

Mais le peuple ivoirien n’a rien à gagner à tout cela. La paix est nécessaire en Côte d’ivoire, car le risque d’une guerre civile prolongée ou d’une guerre régionale existe toujours, alimenté à l’intérieur par les campagnes xénophobes permanentes des partisans de Gbagbo et autres, et à l’extérieur par la compétition permanente que se font les mini-pouvoirs africains. Le triste exemple du Congo est là pour le rappeler.

La Côte d’Ivoire est un pays riche, capable d’héberger, de nourrir, et de donner une vie digne à l’ensemble de la population ivoirienne de souche ou non, à condition que ces richesses n’aillent pas dans les poches des vautours comme Bouygues et les autres multinationales protégées par le gouvernement français et les successifs gouvernements ivoiriens.

Pour cela, il faut que les travailleurs et les jeunes de Côte d’Ivoire construisent dès maintenant, patiemment, un parti doté d’une véritable orientation socialiste, garantissant à tous les mêmes droits sociaux, économiques et politiques, et réorganise l’économie ivoirienne sous le contrôle et la direction démocratique des travailleurs. Le risque est grand sinon de voir ce pays s’enfoncer sans cesse plus dans la crise et la misère. L’exemple de nombreux pays, notamment de la Centrafrique où c’est désormais 45 % de la population qui vit dans un état de pauvreté absolue doit sonner comme un avertissement. Les militants révolutionnaires en France doivent faire tout leur possible pour aider les travailleurs et les jeunes ivoiriens à aller dans ce sens.

Par Alex Rouillard