Allemagne : Plus d’un million de personnes manifestent contre le parti d’extrême droite AfD

Par Sascha Staničić, porte-parole de Sozialistische Organisation Solidarität (organisation sœur de la GR en Allemagne), publié le 28/01/2024 sur www.socialistworld.net

Au moins un million de personnes ont manifesté contre le parti d’extrême droite « Alternative pour l’Allemagne » (AfD) en janvier. Des manifestations massives rassemblant des centaines de milliers de personnes ont eu lieu à Berlin, Hambourg, Munich et Cologne – des manifs tellement grandes que parfois, tous les manifestants n’ont pas pu défiler. Des grandes mobilisations ont eu lieu non seulement dans ces grandes villes mais aussi partout à travers le pays et dans de nombreuses petites villes. L’inquiétude sur la montée de l’extrême droite s’est transformée en action. C’est une bonne chose et c’est très important. Mais cela ne sera pas suffisant en soi pour arrêter l’AfD.

Ce qui a déclenché ces actions, ça a été une réunion secrète regroupant des militants fascistes, des membres de l’AfD et de la CDU (le parti conservateur) durant laquelle les participants ont discuté d’un plan pour déporter des millions de personnes d’origine immigrée. Et ce dans un pays où 13,4 millions de personnes (sur 84 millions d’habitants) n’ont pas la citoyenneté allemande. Aussi scandaleux et dangereux que soient ces fantasmes nationalistes extrêmes, ils n’ont été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mais de nombreuses personnes n’attendaient probablement qu’un appel à une mobilisation massive contre la droite.

Après tout, la montée de l’AfD dans les sondages a été constante depuis des mois ; actuellement ils sont deuxièmes dans les sondages ce qui inquiète non seulement ceux qui seraient les victimes directes des politiques de l’AfD mais aussi pour les grosses organisations capitalistes et les partis bourgeois. Dans les États fédéraux de l’est, ça discute déjà de la possibilité qu’un Land n’arrive pas à former de gouvernement local ou qu’il faille une coalition entre la CDU et le parti de gauche Die Linke ou la nouvelle formation « BSW » dirigée par Sahra Wagenknecht aux élections de septembre prochain.

Militants de SoL (Comité pour une Internationale Ouvrière, Allemagne) lors d’une récente manifestation anti-extrême droite ici à Stuttgart

Les manifestations ne vont pas suffire

Ainsi, ces manifestations ont également vu défiler des hommes politiques qui mènent des politiques de droite – si l’on entend par droite ce qu’elle a toujours signifié : des politiques contraires aux intérêts de la classe ouvrière, des femmes et des minorités victimes de discrimination, le militarisme et le démantèlement des droits démocratiques. En d’autres termes, des politiques telles que celles mises en œuvre par la CDU/CSU, mais aussi par le SPD, les Verts et les libéraux du FDP dans le cadre de la coalition gouvernementale dite des « feux tricolores ». Cependant, ce sont précisément ces politiques qui poussent de plus en plus de personnes dans les bras de l’AfD, qui – en contraste total avec la réalité de ce parti d’entrepreneurs et d’aristocrates – se présente comme le parti des « petites gens » et contre l’establishment.

Combattre les causes

Si on veut arrêter l’AfD, il faut s’attaquer aux causes de sa montée. Si l’on manifeste avec les responsables de ces politiques antisociales – sous la bannière de l’unité à travers toutes les classes – cela n’est pas possible et l’effet des manifestations de masse sera limité. Pour l’instant, l’AfD a donc un vent contraire et ses opposants vont (espérons-le) prendre une position plus ferme contre le racisme et l’AfD. Cependant, ceux qui se sont laissés séduire par les populistes de droite à cause d’une colère justifiée contre les politiques antisociales des capitalistes et l’arrogance de l’élite dirigeante auront du mal à se laisser convaincre qu’ils sont sur la mauvaise voie si l’on s’en tient à ça. Dans le même temps, la coalition dite « feux tricolores » et la CDU/CSU continuent de préparer le terrain pour l’AfD avec leurs politiques anti-ouvrières, anti-classe moyenne et racistes. Même si la cote de l’AfD dans les sondages baisse maintenant de quelques points, cela n’aura pas d’effet durable.

Interdire l’AfD ?

Le débat sur l’interdiction de l’AfD va dans la mauvaise direction. Tout d’abord, une interdiction ne résoudrait pas le problème, mais consoliderait et probablement même renforcerait le camp de l’AfD. Dans le même temps, l’AfD pourrait rapidement se réorganiser sous un nouveau nom, comme l’a fait le Vlaams Blok d’extrême droite en Belgique – il s’appelle déjà Vlaams Belang et rien d’autre n’a changé, si ce n’est qu’il est aujourd’hui en tête des sondages d’opinion belges. Deuxièmement, bien que l’AfD compte de nombreux nazis, ce n’est pas un parti fasciste et la grande majorité de ses électeurs ne sont pas non plus des fascistes. Ce parti doit être battu sur le plan politique. Une interdiction ne ferait qu’apporter de l’eau au moulin de la propagande de l’AfD.

La lutte des classes contre la droite

Le meilleur moyen de lutter contre le racisme et l’AfD est, tout d’abord, la lutte commune des travailleurs et des personnes socialement défavorisées, qu’ils soient Allemands ou non, pour leurs intérêts communs : pour des salaires convenables, de meilleures conditions de travail, des logements abordables, des moyens pour l’éducation, la santé et les services sociaux. Les syndicats ont la tâche d’organiser cette lutte et d’y impliquer consciemment les travailleurs migrants. Deuxièmement, il faut une alternative politique de masse de la gauche, une représentation politique des intérêts de la classe ouvrière.

Alors que le dirigeant de Die Linke Martin Schirdewan appelle à une « révolte de ceux qui sont responsables » de la situation, il confie la responsabilité de la lutte contre la droite à ceux qui sont incapables de la mener, car ils font partie du problème – au lieu de montrer comment construire la lutte contre la droite par la base. Cette adaptation de Die Linke à l’establishment est l’une des raisons pour lesquelles l’AfD peut se placer comme championne de la colère contre « ceux qui dirigent ». Ce dont nous avons besoin, c’est d’un parti de masse des travailleurs pour le socialisme, qui ne joue pas le jeu selon les règles du système et adopte des positions claires : contre le SPD et les Verts (ce que Die Linke ne fait pas assez) et contre le racisme et l’hostilité anti-migrants (ce que ne fait pas la « BSW »). Et qui mène la lutte pour une démocratie socialiste, car « il ne peut y avoir de capitalisme sans racisme » (Malcolm X).

Sozialistische Organisation Solidarität (Comité pour une Internationale Ouvrière en Allemagne) s’y engagent partout où nous sommes actifs : dans les syndicats, dans Die Linke, les mouvements sociaux, les entreprises, les lycées et les universités. Nous invitons tout le monde à le faire avec nous !