Cent ans de la Révolution russe de 1917 (3/4) : Été. La contre-révolution et les bolchéviques s’organisent

Les 3 et 4 juillet 1917, des manifestatsions monstre ont lieu à Petrograd contre le gouvernement provisoire qui refue de satisfaire les revendications des travailleurs. Prématurées, ces manifestations sont réprimées dans le sang. Trotsky est emprisonné, Lénine exilé. La contre-révolution relève la tête.
Les 3 et 4 juillet 1917, des manifestatsions monstre ont lieu à Petrograd contre le gouvernement provisoire qui refue de satisfaire les revendications des travailleurs. Prématurées, ces manifestations sont réprimées dans le sang. Trotsky est emprisonné, Lénine exilé. La contre-révolution relève la tête.

Après le renversement du Tsar en février et l’instauration d’un gouvernement provisoire pour le remplacer, la lutte pour le pouvoir continue entre la classe ouvrière et les forces de la bourgeoisie. Le premier Congrès des soviets a lieu le 3 juin 1917. Les bolcheviques y étaient alors minoritaires. Les socialistes-révolutionnaires (SR) et les mencheviks refusèrent la journée de 8h, revendication des ouvriers essentielle dans la révolution, sous prétexte de la guerre. Ils se compromirent tous aux yeux des masses.

Les bolcheviques proposent alors dans le numéro du 9 juin de la Pravda, le journal du parti, une manifestation pour le 10. L’objectif est que les ouvriers puissent lutter pour leurs revendications, refusées par le Congrès, conjointement avec les soldats qui n’ont toujours pas tous les droits qu’ils réclament. Apprenant cela, le Congrès décide d’interdire les manifestations pour 3 jours. Les bolcheviques contestent l’interdiction de manifester, mais préfèrent reculer pour l’instant ; ils voulaient une manifestation pacifique. La droite, le gouvernement et le Congrès des soviets auraient tenté de réprimer les manifestations. La rage des ouvriers et soldats de Petrograd, plus avancés qu’ailleurs en Russie, les mènerait vers l’insurrection de manière isolée.

Les SR et les Mencheviks vont essayer de retrouver une base dans la population en appelant à une manifestation le 18 juin, après avoir interdit celle du 10. Les mots d’ordre de l’appel restent flous comme « la paix générale » et pour une « assemblée constituante ». Le 18, 400 000 personnes défilent dans Petrograd. La manifestation est couverte de drapeaux bolcheviques et reprend leurs slogans. C’est une grande victoire pour les bolcheviques. Les réformistes s’en mordent les doigts. Le 19 juin, une manifestation « patriotique » des Cadets (le parti bourgeois) est organisée. Les derniers jours de juin sont un bouillonnement, il y a plusieurs affrontements entre la droite et les ouvriers-soldats. Les bolcheviques continuent d’appeler à rester sur les mots d’ordre de la manifestation du 18 juin à Petrograd car le reste de la Russie n’est pas prête à l’insurrection… mais ils commencent à être dépassés.

Les  »journées de juillet »

Les ouvriers haïssent déjà le gouvernement provisoire et luttent pour des augmentations de salaire face à l’inflation. L’impatience de voir tout le pouvoir donné aux soviets grandit, et le 21 juin il y a grève dans plusieurs ateliers. Les bolcheviques leur demandent de se contenir : la situation n’est pas encore mûre pour une insurrection. Le 2 juillet, 4 ministres bourgeois Cadets quittent le gouvernement. Cela a pour effet d’encourager les masses pendant que des agitateurs anarchistes et certains bolcheviques impatients créent des sous-organisations des soviets. Le 3 juillet, les mitrailleurs organisent alors une manifestation armée et beaucoup d’ouvriers suivent. Ils défilent jusqu’au Palais de Tauride, siège du gouvernement provisoire.

Le comité central du parti bolchevique se réunit. Il estime que les manifestations posent la question de la prise du pouvoir mais qu’il est trop tôt pour passer à l’action. L’offensive sur le front de Kerenski, ministre (SR) de la guerre, tient en haleine le pays. Alors que les sacrifices exigés pour maintenir le front sont énormes, une défaite finira de compromettre définitivement Kerenski et son gouvernement. Les bolcheviques appellent à manifester pacifiquement avec les ouvriers et les soldats. Toutes les usines sont en grève. Les marins de Kronstadt sont également sur la Nevsky, prêts à agir. Le 4 juillet, le Congrès fait venir des canons et l’armée afin de lever le siège du Palais. Pour éviter un affrontement sanglant, les bolcheviques négocient un départ des troupes et des marins et pas de représailles. Le soir même, il n’y a plus grand monde dans les rues.

La contre révolution relève la tête

Mais le lendemain, le Congrès, désormais en position de force avec de nombreuses troupes, renie cet accord. Les calomnies commencent contre Trotsky et Lénine, qui auraient comploté pour convaincre les régiments neutres. Le lendemain le bâtiment de la Pravda est saccagé par des forces de droite. Les ouvriers et soldats sont désarmés par les forces venues du front, pensant libérer la capitale des forces payées par les Allemands, comme Kerenski leur avait affirmé.

Le 6 juillet, les ouvriers ont repris le travail. Le gouvernement décide d’en finir avec les bolcheviques en reprenant le palais Kszesinska ou siégeait le comité central du parti, le soviet de Petrograd et l’organisation militaire. Lorsque l’armée arrive, ils ne trouvent personne, à part une centaine de mitrailleurs qui se réfugieront dans la forteresse Pierre-et-Paul et finiront par se rendre. Les troupes blindées du front occupent désormais la forteresse et les bolcheviques ont perdu tout leur contrôle sur la zone.

Pendant ce temps sur le front, l’armée russe recule. Le 16 juillet, Kerenski convoque les chefs de guerre pour un remaniement. Le général Kornilov (représentant des Cadets et des cosaques) accepte le haut commandement en voulant les mains libres, mais il obéira pour un temps au gouvernement tout en ayant obtenu le rétablissement de la peine de mort à l’arrière, par exemple. Perdre la guerre fait peur aux Mencheviks et aux SR… et surtout, ils veulent stopper le danger bolchevique. Ils donnent tout le pouvoir au gouvernement de Kerenski le 24 juillet.

La conférence de Moscou

Le gouvernement appelle à une conférence le 13 août à Moscou pour se sauver lui-même, sentant les plans de coup d’État de la droite. Mais le 12 août survient une grève, les ouvriers de Moscou se mettent en action après ceux de Petrograd. Dans toute la Russie, la conscience de classe du prolétariat s’élève, à l’instar de celui de la capitale. La grève dure un jour, sans manifestation, c’était trop dangereux avec les milices de droite. Elle a été préparée par les bolcheviques qui, voyant que la direction des soviets ne marchait plus pour la révolution, décidèrent de privilégier la construction syndicale.

La conférence de Moscou montra que le conflit de classe ne pourrait se résoudre pacifiquement. La droite, la bourgeoisie, préférait que l’Allemagne les envahît plutôt que de voir la révolution victorieuse, avec la fin du salariat et de la propriété privée des entreprises. Même les soviets dirigés par les réformistes ne voulaient pas du programme contre-révolutionnaire de la droite. Les bolcheviques y ont lu une déclaration puis ont quitté la mascarade.

Le complot de Kerenski

Kerenski, qui soufflait le chaud et le froid sur les ennemis de la révolution, en réalité complotait avec Kornilov pour mettre en place une dictature militaire commandée par le gouvernement. Le 24 août, ils laissèrent l’armée allemande prendre la ville de Riga (Lettonie), enespérant un sursaut patriotique et une mobilisation des soldats. Le lendemain ils interdirent le journal bolchevique Le Prolétaire et envisageaient de faire venir la cavalerie. Ils décrètent l’état de siège sur Petrograd pour empêcher toute révolte et enfin présentent les décrets pour la dictature le 26 août.

L’offensive de Kornilov

Le front de la guerre s’est rapproché de la capitale. Petit à petit, Kerenski s’aperçoit qu’en réalité Kornilov veut prendre le pouvoir en son nom avec le soutien de la bourgeoisie. Le 26 août, les ministres Cadets démissionnent et les bourgeois quittent la capitale tout en essayant d’instiller un climat de panique. Tout le pays est au courant de la tentative de coup d’État qui vient mais les bolcheviques font de la propagande pour ne pas manifester : Kornilov n’attendait que cela pour les écraser. Le 27 août, Kerenski décide de destituer Kornilov et demande à l’armée de ne pas faire venir les troupes du front pour prendre Petrograd, comme ils l’avaient décidé tous les deux. Mais l’ordre ne sera pas exécuté par les troupes fidèles à Kornilov, constituées de l’élite et également de troupes anglaises. Le 28 août, Milioukov, représentant des Cadets, tente de persuader Kerenski, seul au Palais d’Hiver, de légaliser la prise de pouvoir de Kornilov et de sauver sa vie. Kerenski appelle à une conférence et l’idée d’un directoire naît pour satisfaire les deux camps.

La révolution allait être vendue. Mais le Comité des soviets se présenta à la séance pour combattre la contre-révolution. Ce Comité était un nouvel organe soviétique créé par le comité exécutif des ouvriers, des soldats, des paysans, des syndicats et du soviet de Petrograd. Les délégués à la séance réclamèrent que les postes vacants des ministres Cadets soient remplacés par des éléments démocratiques, une convocation du Congrès, censé être le double pouvoir, ainsi que la satisfaction de revendications sociales. Les mencheviks prétendirent que leurs revendications seraient traitées avant la convocation de l’Assemblée constituante. Kerenski refusa un contrôle démocratique sur le gouvernement et les revendications mais fut obligé d’apporter l’engagement solennel de l’État de défendre la révolution contre le coup d’État qu’il avait lui-même orchestré.

Finalement, le 31 août, les troupes de Kornilov capitulent et ne marcheront pas sur Petrograd. Ses troupes manquaient d’armes et les chefs ne connaissaient pas suffisamment le terrain. Ils seront aussi ralentis et arrêtés par l’action des ouvriers, notamment cheminots, et le défaitisme gagnera leur armée. Pendant ce temps-là, les bolcheviques préparent la résistance dans Petrograd. La phase finale de la révolution approche.

Matthias Louis


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