Combattre le danger de dictature en Tunisie

Au mois de juillet dernier, le président tunisien, Kaïs Saïed, a suspendu le parlement tunisien pour un mois au prétexte d’une situation bloquée, et d’une corruption généralisée des partis dominant « l’assemblée des représentants du peuple » (ARP), notamment l’extrême droite islamo-capitaliste d’Ennahdha, les libéraux de Qalb Tounes ou le rassemblement très varié dit de « centre-gauche » du Bloc démocratique. C’était déjà sur cette ligne anti-parti et soi-disant anti-corruption que Saïed avait été élu président. La suspension de l’ARP a été prolongée et le 22 septembre dernier, Saïed s’est attribué les pleins pouvoirs par une série de décrets et a nommé un gouvernement à sa botte.

Article paru dans l’Egalité n°207

La révolution de 2011 avait chassé le dictateur Ben Ali qui étouffait le peuple tunisien sous une dictature policière terrible. Les libertés démocratiques et syndicales ont connu une légère amélioration. Mais de nombreuses régions sont toujours délaissées et le chômage de masse (21 % de la population active) est resté une réalité, surtout pour la jeunesse.

Les élections parlementaires ont vu Ennahdha arriver souvent en tête et participer à toutes les coalitions gouvernementales, et c’était encore son dirigeant, Rached Ghanouchi qui présidait l’ARP. Les dirigeants de partis et les élus qui ont participé à ces diverses coalitions se sont largement enrichis, et une corruption généralisée, largement alimentée par l’organisation des patrons (l’UTICA) est devenue leur mode de vie.

Prise de parole de Hamma Hammami du PT à Tunis, octobre 2021. Sur les pancartes : « Non aux banques internationales » « Travail, liberté, nous voulons une dignité populaire », « Non à la dictature, la richesse de notre pays est la nôtre »

Un nouveau Ben Ali

C’est sur ce tableau que Saïed espère ainsi trouver un soutien à son coup d’État. Et pour le moment, une grande partie de la population tunisienne reste passive, voyant cela comme un nouveau règlement de compte entre politicards. Mais le coup de force ressemble au coup d’État constitutionnel qui avait permis à Ben Ali de mettre en place sa dictature féroce entre 1988 et 1991, au prétexte à cette époque de la progression des islamistes.

Kaïs Saïed se présente comme un défenseur du peuple, mais son ministre de l’économie, Samir Saïd, est un ancien dirigeant du secteur bancaire à Oman, et comme les autres ministres, n’envisage sa politique qu’en adepte du capitalisme, cause réelle de la souffrance du peuple tunisien.

Pour le moment, des protestations ont lieu, mais c’est surtout des manifestations de quelques milliers de personnes à l’appel d’Ennahdha. Les partis qui se disent démocratiques autour du Bloc démocratique se contentent de protestations symboliques sur les réseaux sociaux.

Seuls les jeunes et les travailleurs peuvent défendre les acquis de la révolution et les améliorer

La pandémie de Covid a encore aggravé la situation dans le pays, faisant monter le chômage et l’inflation.

L’Observatoire social tunisien dénombre 1006 conflits en septembre 2021 (contre 751 en septembre 2020). 36 % sont des grèves et 44 % se produisent sur le lieu de travail. Sans parler de nombreuses protestations spontanées dans les régions défavorisées. La colère gronde dans la population et parmi les travailleurs, et c’est là une des vraies raisons du coup d’état de Saïed.

Malheureusement, le grand syndicat des travailleurs tunisiens, l’UGTT, est resté complètement passif. Le 16 octobre, son bureau exécutif se contente encore de « demander des clarifications » au potentiel dictateur, et se dit prêt à « présenter ses propositions ». De côté de la gauche, le Parti des Travailleurs de Hamma Hammami s’est correctement positionné contre le coup d’État en disant que Kaïs Saïed ou Ennahdha sont les mêmes sur le fond. Mais sa proposition est une fois encore de rester sur le seul terrain de la « démocratie » en proposant une alliance au « courant démocrate » ou encore au « parti républicain », forces qui d’une part ont leur responsabilité dans la situation sociale catastrophique actuelle, mais qui en plus se refusent à s’attaquer aux causes fondamentales : le capitalisme et la soumission de l’économie tunisienne aux intérêts des multinationales européennes et d’Amérique du nord.

Ce qu’il faudrait c’est un appel clair aux jeunes, aux travailleurs, notamment aux centaines de milliers de membres combatifs de l’UGTT, tout comme aux militant-e-s des luttes locales, des luttes contre le sexisme, pour s’organiser et prendre ensemble le chemin de la lutte au moyen de comités qui défendraient autant des revendications sociales sur les salaires, le logement, que politiques et économiques, en exigeant la mise en propriété publique des grandes entreprises et leur gestion sous le contrôle démocratique des travailleurs et de la population pour établir un véritable plan de développement de toute la Tunisie et notamment des régions défavorisées.

C’est parce que la gauche tunisienne n’a pas rempli ce rôle que les Ennahdha, les Kaïs Saïed et autres, se battent pour leurs privilèges sur le dos du peuple tunisien. Il est encore temps de contrer la catastrophe, en reprenant une voie révolutionnaire de masse vers le socialisme et dégager les nouveaux Ben Ali qui arrivent.