Syrie : Obama bat le tambour de guerre

Mais tous les sondages montrent une majorité de la population opposée à toute intervention militaire impérialiste.

Dans le contexte de la préparation des débats qui prendront place la semaine prochaine au Congrès américain au sujet d’une intervention militaire américaine en Syrie, le président Obama a suggéré qu’il faudrait dépasser le cadre d’attaques ‘‘limitées et proportionnelles’’ destinées à ‘‘endommager les capacités de production d’armes chimiques en Syrie’’ et adopter une stratégie à plus long terme orientée vers un ‘‘changement de régime.’’

Après le revers subi par Obama la semaine dernière quand le premier ministre britannique David Cameron a été battu et humilié par un vote à la Chambre des communes opposé à une participation des forces britanniques à une attaque contre la Syrie, l’administration américaine tente d’obtenir d’autres soutiens pour son projet guerrier. Les médias internationaux de droite ont lancé toute une campagne de propagande impérialiste visant à justifier une nouvelle guerre contre un pays du Moyen-Orient. Obama a commencé une tournée européenne, un voyage culminant avec sa participation au sommet du G20 à Saint-Pétersbourg en Russie, afin de tenter de persuader des dirigeants de soutenir sa stratégie.

Le véritable caractère impérialiste de cette menace militaire est de plus en plus clair pour la population, partout à travers le monde. Le fait qu’Obama ne s’oppose pas le moins du monde à l’emprise croissante de l’armée sur le pouvoir en Égypte, où se taise à propos de la répression continue au Bahreïn (un petit pays arabe qui sert de base à la Cinquième flotte de la marine de guerre américaine), ne sont que les derniers exemples en date qui illustrent son hypocrisie.

L’intervention militaire américaine qui pointe à l’horizon n’a rien à voir avec la protection des civils face à la féroce répression du régime de Bachar el-Assad, mais bien avec le renforcement de la domination impérialiste occidentale et américaine dans cette région cruciale. L’intervention ne va pas mettre un terme à la guerre civile de plus en plus sectaire qui a cours dans le pays, elle ne fera au contraire que l’aggraver.

Cependant, les sondages révèlent une opposition massive de la part de la population des Etats-Unis, comme partout ailleurs, contre cette idée d’une intervention militaire en Syrie. Les manifestations anti-guerre grossissent de jour en jour ; et les diverses sections du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) y participent.

 La situation en Syrie :

Les évènements qui avaient commencé en tant que mouvement d’opposition pacifique de la jeunesse, sous l’inspiration des révolutions en Égypte et en Tunisie, se sont transformés il y a deux ans en un conflit militaire qui est devenu de plus en plus sectaire et religieux, avec des massacres perpétrés de part et d’autre.

Les dirigeants du régime proviennent essentiellement de la minorité alaouite, une branche dérivée de l’islam chiite. Le président el-Assad est soutenu par l’Iran et par son allié le Hezbollah libanais, tandis qu’il reçoit des armes de Russie, qui le soutient à l’ONU.

Les rebelles sont dominés par des musulmans sunnites, qui constituent environ 70 % de la population du pays. Leurs représentants officiels sont étroitement liés à l’Arabie saoudite, au Qatar, aux États-Unis et à la Turquie.

Le pays est divisé en zones militaires. L’armée d’el-Assad contrôle un corridor qui part du sud et qui va jusqu’à la côte de la mer Méditerranée en passant par Damas (la capitale). Cet été, le régime a repris le contrôle de la ville de Qousseir et de la région autour de Homs.

Les forces rebelles contrôle la plupart du nord et de l’est de la Syrie, y compris la ville de Racca et une partie de la plus grande ville du pays, Alep. Les rebelles sont divisés entre eux ; il y a des combats entre les diverses milices regroupées au sein de la coalition dénommée “Armée syrienne libre”, dirigée par des renégats du régime el-Assad, et les puissants groupes islamistes extrémistes – comme la section locale d’Al-Qaïda, al-Nosra, et son rival au sein d’Al-Qaïda, les troupes de l’“État islamique d’Irak et du Levant”, qui a envoyé des milliers de combattants à partir d’Irak.

La troisième zone rebelle, au Nord-Est, est la région du Kurdistan occidental, contrôlée par les troupes kurdes dirigées par leur parti, le PYD (Partiya Yekîtiya Demokrat, Parti de l’union démocratique). Les Kurdes constituent un dixième de la population syrienne. Leur région a récemment été attaquée par des islamistes, et des dizaines de milliers de personnes se sont enfuies au-delà de la frontière, vers l’Irak.

 La résistance est croissante contre les plans impérialistes d’Obama :

Non à l’attaque américaine en Syrie !

Une intervention militaire américaine en Syrie semble de plus en plus probable. Mais les projets guerriers d’Obama reçoivent beaucoup moins de soutien que ce qu’il avait escompté initialement, même parmi les alliés traditionnels des Etats-Unis.

L’angoisse et la souffrance de la population dans la Syrie ravagé par la guerre ont déjà empiré à cause de la simple menace d’une intervention américaine. Après deux ans et demi d’une guerre civile sanglante, la Syrie est à présent un pays en ruines, où il n’y a rien à manger, pas d’électricité, pas d’eau, et la plupart des gens se sont retrouvé sans emploi. Plus de 150.000 personnes ont été tuées pendant ces deux dernières années, selon les déclarations de petites organisations socialistes dans la région qui s’opposent à la fois au régime d’Assad et au projet d’intervention américaine.

Le flot de réfugiés n’a fait que s’intensifier au cours de ces dernières semaines. On trouve à présent plus de 2 millions de réfugiés dans les pays voisins, dont un million au Liban et un million réparti entre la Jordanie et la Turquie.

Les images atroces de centaines de personnes tuées et de milliers de blessés suite au recours aux armes chimiques, publiées il y a deux semaines, ont choqué la population partout dans le monde. Obama et d’autres politiciens occidentaux ont profité de cette situation pour utiliser à leur avantage le sentiment populaire selon lequel ‘‘Il faudrait quand même faire quelque chose !’’

Mais un grand flou demeure concernant ces accusations d’utilisation d’armes chimiques. Les enquêteurs de l’ONU ne devraient pas rendre leur rapport avant la mi-septembre. Le gouvernement américain prétend cependant avoir des preuves que le régime de Bachar el-Assad est derrière ces attaques chimiques. Ces preuves n’ont toutefois toujours pas été publiées. Et le souvenir des “preuves” de la présence d’armes de destruction massive en Irak (présentées afin de justifier l’invasion de 2003), qui s’étaient révélées montées de toute pièce, reste vivace.

Les États-Unis eux-mêmes sont loin d’être innocents quand on parle de l’utilisation d’armes chimiques. De récentes révélations ont par exemple montré que la CIA a aidé Saddam Hussein à employer des armes chimiques lors de sa guerre contre l’Iran en 1980-88.

Après la défaite humiliante du premier ministre britannique David Cameron devant son propre parlement, Obama a décidé d’attendre de recevoir le soutien du Congrès américain qui se réunira à Washington ce lundi 9 septembre. Pendant ce temps, d’autres alliés potentiels des États-Unis ont déjà refusé de leur accorder un soutien. La Ligue Arabe (qui représente différents gouvernements du monde arabe) et l’Otan ont déclaré être d’accord sur le fait de punir le régime de Bachar el-Assad, mais refusent de participer à une intervention militaire. La Jordanie s’est elle aussi déclarée contre toute participation à l’effort de guerre.

Derrière Obama, le secrétaire d’État John Kerry et le vice-président Joe Biden ont eux aussi accusé le régime d’el-Assad d’être responsable des attaques chimiques, mais ont déclaré ne vouloir qu’une attaque ‘‘limitée’’. ‘‘Notre objectif n’est pas d’obtenir un changement de régime, mais de modifier le rapport de force en Syrie et de mettre un terme à la guerre civile. Nous interviendrons pour seulement un jour ou deux, puis nous partirons’’, a finalement dit Obama à CNN. Obama a de plus insisté sur le fait que cette intervention serait selon lui nécessaire pour la sécurité des États-Unis eux-mêmes. Cet objectif fort flou – “punir” – était aussi l’argument servi par Cameron afin de convaincre le Royaume-Uni de suivre les États-Unis dans leur guerre. Mais il a été battu à 285 voix contre et 272 pour au Parlement ; les députés ont en effet bien senti le sentiment anti-guerre qui vit dans le pays, en plus de la colère qui gronde contre la politique d’austérité extrême mise en place par le gouvernement de droite. Trente-neuf parlementaires issus du Parti Conservateur de David Cameron et des Libéraux-Démocrates (au pouvoir en coalition avec les Conservateurs) ont voté contre, tout comme l’opposition du Parti Travailliste. Et même si le Parti Travailliste reste, comme d’habitude, ouvert à un éventuel changement de position, Cameron a été forcé d’admettre qu’il est clair que ni le Parlement, ni le peuple britannique ne veulent voir la moindre intervention militaire. Un sondage effectué par la BBC a en effet montré que 75 % des Britanniques sont contre toute participation de leur pays à cette guerre.

Les États-Unis connaissent un problème similaire avec leur propre opinion publique. Selon un sondage de l’agence Reuters, seuls 9 % de la population américaine sont absolument en faveur d’une intervention militaire en Syrie. Même en France, où le président Hollande est le premier à vouloir partir en guerre, la pression est grandissante pour un vote au Parlement avant toute prise de décision.

Même des think tanks impérialistes, comme l’International Crisis Group (un club d’anciens politiciens internationaux), ont exprimé une profonde inquiétude quant au bien-fondé de ce projet de guerre. Selon l’IUnternational Crisis Group, cela pourrait conduire à une aggravation de la crise en Syrie et dans toute la région. Le même groupe mentionne également le fait que de pires massacres ont eu lieu bien plus tôt au cours de cette guerre civile, sans déclencher une telle réaction.

Mais les États-Unis subissent une pression de deux côtés à la fois. Une attaque qui ne mènera à rien mis à part à la mort d’encore plus de civils ne renforcera pas la position d’Obama. En remettant ce plan à plus tard, cela donne la possibilité à la Maison Blanche de travailler l’opinion publique jusqu’à obtenir un soutien qui lui permettrait d’aller plus loin que le projet d’intervention “sur mesure” en “deux ou trois jours” dont on parle à présent.

 Quels facteurs suggèrent la possibilité d’une attaque américaine ?

Obama aura à présent beaucoup de problèmes pour tout simplement laisser tomber cette affaire. Il a annoncé haut et fort au cours de ces derniers mois que l’usage d’armes chimiques constituait une “ligne rouge” à ne pas franchir sous peine de susciter une riposte immédiate de la part des États-Unis. Ce qui est en jeu ici est la puissance et le prestige de l’impérialisme américain, qui doit prouver qu’il est toujours capable de jouer le rôle de “gendarme du monde” – surtout vis-à-vis de l’Iran. Le Moyen-Orient est une région extrêmement importante sur le plan stratégique, en premier lieu à cause de son pétrole.

L’impérialisme américain a perdu une grande partie de son aura après les guerres d’Irak et d’Afghanistan. La supériorité militaire et plus de 100.000 soldats dans chacun de ces pays n’ont pas pu livrer les victoires espérées, mais n’ont fait que laisser derrière eux des pays divisés, ravagés par les bombes et totalement détruits sur le plan économique.

Six vaisseaux de guerre américains armés de missiles Tomahawk sont déjà stationnés dans la mer Méditerranée et dans le golfe Persique. Obama déclare que, en tant que commandant suprême des forces américaines, il a le droit d’ordonner une attaque même sans l’avis du Congrès, bien qu’il affirme également qu’il lui sera possible d’obtenir le soutien du Congrès lors de sa prochaine réunion.

 Peut-on éviter une attaque ?

C’est très peu probable. Si l’opinion anti-guerre parvenait à forcer les députés à voter contre le projet d’intervention, Obama pourrait se cacher derrière cela, mais le fait d’annuler son projet affaiblirait fortement sa position.

 Qu’est-ce qui a retenu Obama jusqu’à présent ?

Une nouvelle guerre serait très certainement une nouvelle défaite pour les États-Unis, tout en consommant une quantité invraisemblable de ressources dans un pays qui est déjà ravagé par la crise économique.

Cette question a été résumée le mois passé par le général Mantir Dempsey, chef d’état-major américain, et commandant des troupes en Irak en 2003 et 2004. Pour prendre le contrôle des capacités d’armes chimiques de la Syrie, il faudrait selon lui ‘‘une zone d’exclusion aérienne combinée à des attaques aériennes et par des missiles de la part de centaines d’avions, sous-marins et autres engins. Il faudrait des milliers de soldats des Forces spéciales et autres fantassins afin d’attaquer et sécuriser les sites les plus importants. Les coûts seraient considérables : plus de 1000 milliards de dollars par mois.’’ Même une attaque limitée requerrait des centaines d’avions et de navires.

Dempsey a aussi attiré l’attention sur le fait que les États-Unis n’ont aucun allié fiable du côté rebelle, alors que la plupart des batailles sont aujourd’hui de plus en plus menées par des milices djihadistes liées à Al-Qaïda. Selon lui, les dix dernières années ont démontré que ‘‘Nous devons anticiper et être prêts à des conséquences non-désirées de nos actions. Si les institutions du régime s’effondrent sans qu’il n’y ait une opposition valable pour en prendre le contrôle, nous allons sans le vouloir renforcer les extrémistes ou forcer l’usage des armes chimiques que nous voudrions justement bannir.’’

Quel genre d’attaque américaine ? Combien de temps va-t-elle durer ?

Sans doute s’agira-t-il d’une attaque par des missiles Tomahawk avec une puissance de feu massive, tirés à partir des quatre vaisseaux de guerre stationnés dans la Méditerranée. La Turquie a également proposé la mise à disposition de sa fameuse base aérienne İncirlik, comme c’était le cas au cours des deux guerres d’Irak.

Dès le départ, on a parlé de frappes qui ne dureraient que quelques jours. Mais Kerry parle à présent d’une “stratégie” visant à accroitre le soutien pour l’opposition en Syrie, afin de ‘‘modifier la dynamique’’ de la guerre. Depuis cet été, les États-Unis ont ouvertement envoyé des armes aux groupes rebelles de leur choix.

Personne ne croit qu’une attaque si brève puisse renverser le régime de Bachar el-Assad. Le bombardement du Kosovo et de la Serbie par l’Otan en 1999 a duré 78 jours, sans que Milošević ne quitte le pouvoir. En Libye, Kadhafi n’a été renversé qu’au prix de 26.000 raids aériens sur 6000 cibles militaires.

 Comment les rebelles ont-ils réagi à la menace d’intervention américaine ?

L’Armée syrienne libre (ASL) s’est prononcée en faveur de cette attaque, mais veut qu’elle soit étendue afin de détruire l’armée de l’air syrienne. Par contre, elle refuse toute invasion par des troupes au sol. La Coalition nationale syrienne critique le report de l’attaque par Obama, qui pour elle révèle un ‘‘manque de leadership’’ et démontre qu’Obama est un ‘‘président faible’’.

On voit comme toujours énormément de confusion parmi les différents groupes de gauche. En Suède, les partisans des rebelles les plus proéminents au sein de la gauche, Gote Kilden et Benny Asman (tous deux membres du SUQI, Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale), ne s’opposent pas à une intervention américaine : ‘‘En tant que socialistes, nous ne sommes pas pacifistes, et ne renions donc pas à l’opposition le droit de dire oui à une intervention et d’en tirer un avantage militaire. L’opposition ne possède pas ce qu’elle désire le plus – ses propres armes afin de se défendre. Donc, bien entendu, nous ne nous opposons pas aux frappes aériennes à venir.’’ Ces partisans des rebelles sont passés à côté du fait que si la lutte en Syrie a bien débuté par une révolte populaire de masse, elle a depuis longtemps dégénéré en une brutale guerre civile avec des abus commis des deux côtés, tandis que les groupes djihadistes jouent un rôle de plus en plus grand dans la lutte contre el-Assad.

 Quel pourrait être le résultat d’éventuelles frappes aériennes ?

Les frappes aériennes causeront d’énormes pertes civiles et encore plus de dégâts à l’infrastructure. Les “frappes de précision” et les attaques “sur mesure”, cela n’existe pas. Pour la population, cela signifiera plus de souffrances et d’incertitude.

Pour l’armée syrienne, cela constituera un test très important. On a vu les armées irakienne et libyenne désintégrées dès le moment où elles ont été attaquées par la plus grande machine de guerre militaire du monde. Mais même l’intervention fort limitée en Libye a finalement duré plusieurs mois.

Les faucons reconnaissent qu’une attaque entraînera des pertes civiles. Les missiles et les frappes aériennes causeront une destruction sans nom, alors qu’une attaque de courte durée ne va vraisemblablement pas permettre de chasser el-Assad du pouvoir ni de modifier le cours des évènements d’une quelconque manière. Mais si le régime est affaibli, les tensions entre les différents groupes rebelles vont s’accroitre. Le risque est donc de voir un chaos prolongé comme c’est le cas en Iraq ou comme on l’a vu au Liban pendant sa guerre civile.

Les États-Unis et leurs alliés doivent en outre s’attendre à la vengeance des alliés de la Syrie, comme le Hezbollah libanais et l’Iran. Cela pourrait entraîner la propagation de la guerre à travers le Moyen-Orient, ce qui est d’ailleurs déjà en cours de préparation avec la hausse des attaques terroristes en Irak et au Liban.

L’impérialisme américain sera encore plus détesté que jamais partout au Moyen-Orient. Le niveau de soutien accordé à cette attaque par la population occidentale sera plus faible que ce qu’il était au moment des guerres d’Irak et de Libye, et sera encore plus réduit dès le moment où les effets de cette guerre deviendront clairs.

  •  Non à l’intervention impérialiste des États-Unis et de ses alliés en Syrie ! Retrait de toutes les troupes étrangères !

  • Construction de comités de défense non-sectaires d’auto-défense des travailleurs et des pauvres contre les attaques sectaires de tous les bords !

  • Droits nationaux, démocratiques et religieux pour l’ensemble des groupes ethniques !

  • Élections démocratiques pour une assemblée constituante révolutionnaire !

  • Pour une confédération socialiste volontaire du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (CIO-Suède)