Décès de Fidel Castro, dirigeant de la révolution cubaine de 1959

101345949-79834395-530x298La mort de Fidel Castro, à l’âge de 90 ans, a été annoncée ce vendredi 25 novembre au soir par son frère cadet, le président Raul, à la télévision d’Etat cubaine. Des millions de travailleurs à Cuba et dans le monde entier pleureront le décès de ce dirigeant depuis longtemps étroitement associé à la révolution cubaine de 1959 au côté de Che Guevara. Parallèlement, les forces de la réaction capitaliste et impérialisme verront le décès de Fidel Castro comme l’occasion rêvée de complètement restaurer le capitalisme sur l’île. Ces forces réactionnaires visent à détruire tous les acquis de la révolution et de l’économie planifiée, y compris les acquis historiques en matière de santé publique et d’éducation.

Dans le dossier ci-dessous (publié pour la première fois en 2008), Tony Saunois revient sur la vie et l’héritage politique de Fidel Castro et de la révolution cubaine. Cet article aborde également le débat de la voie à suivre pour défendre les conquêtes de la révolution et la question vitale de la démocratie ouvrière et de la lutte pour le socialisme à Cuba et à l’échelle internationale.

La publication de «Fidel Castro : Biographie à deux voix» (2006) a été extrêmement opportune, puisque Castro devait quitter la présidence quelques temps plus tard. Les réponses données par Castro à l’écrivain français Ignacio Ramonet, par ailleurs rédacteur en chef du Monde Diplomatique et fondateur d’ATTAC, illustrent la révolution cubaine et les événements mondiaux survenus depuis 1959. Elles en disent également beaucoup quant aux perspectives politiques pour Cuba et à la méthode de Fidel Castro.

Castro fait valoir à juste titre l’impressionnante conquête sociale acquise en termes de médecine, de santé et d’éducation à la suite de la révolution de 1959/60. ‘‘L’espérance de vie des citoyens cubains est maintenant presque dix-huit ans plus longue qu’en 1959, quand la révolution est arrivée au pouvoir. (…) Cuba a un taux de mortalité infantile de moins de 6 pour 1 000 naissances vivantes au cours de sa première année de vie, derrière le Canada d’une légère marge. Cela nous prendra la moitié du temps qu’il nous a fallu à la Suède et au Japon pour augmenter l’espérance de vie de soixante-dix à quatre-vingts ans. Aujourd’hui, nous sommes à 77.5.’’

À l’époque de la révolution, a-t-il souligné, l’espérance de vie était de 60 ans! A ce moment-là, 50% des médecins avaient fui à l’étranger suite à la révolution. Pour chaque médecin resté, il y en a 15 à l’heure actuelle!

L’enseignement est gratuit est ouvert à tous ceux qui n’ont pas un emploi. Plus de 90.000 étudiants étudient actuellement la médecine, les soins infirmiers ou un autre aspect de la santé. Tout cela en dépit d’un embargo économique imposé par l’impérialisme américain depuis 1960 et malgré un grave déclin économique qui a suivi l’effondrement de l’ex-Union soviétique et la perte conséquente d’importantes subventions économiques.

Tout ceci et d’autres réalisations impressionnantes mentionnées par Castro donnent un petit aperçu de ce qui serait possible avec une économie socialiste planifiée démocratiquement contrôlée et gérée par la classe ouvrière. Autre indication intéressante : certains aspects de la politique étrangère de Cuba. En plus de mobiliser plus de 30 000 médecins pour travailler dans plus de 40 pays, l’une des réalisations les plus impressionnantes a été l’envoi de dizaines de milliers de «volontaires internationalistes» en 1975 vers l’Angola et la Namibie.

En Angola, les 36.000 soldats ont pu combattre l’armée de l’apartheid sud-africaine et, pour la première fois, lui infliger une défaite militaire. Les forces cubaines ont joué un rôle crucial dans la libération de la Namibie du régime sud-africain. Sur 15 ans, plus de 300.000 combattants internationalistes ont rempli leur mission en Angola. Ces luttes ont joué un rôle important dans l’effondrement du régime de l’apartheid. Cuba était, comme le soutient Castro, «le seul pays non africain qui a combattu et répandu son sang pour l’Afrique et contre l’odieux régime de l’apartheid».

L’hostilité de l’impérialisme américain

Dès le début, la révolution cubaine a suscité la colère de l’impérialisme américain qui a cherché à la renverser à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, à la suite de la démission de Castro, l’impérialisme américain et ses représentants espèrent vivement la disparition du régime cubain et l’effondrement de l’économie planifiée, qu’ils essaieront d’utiliser pour tenter de discréditer le «socialisme».

Le fiasco de la Baie des Cochons en 1962 est l’intervention la plus connue de l’impérialisme américain contre la révolution, à la suite de la décision de Castro de caractériser de socialiste la révolutionnaire cubaine.

Castro énumère dans cet entretien une série d’autres attaques tentées par les exilés cubains soutenus par les services de sécurité américains et d’autres contre-révolutionnaires. « En 1971, sous Nixon, la peste porcine a été introduite à Cuba dans un conteneur, selon une source de la CIA ». En 1981, le virus de la dengue de type II a été déclenché et a entraîné 158 décès, dont 101 enfants. Selon Castro, «en 1984, un dirigeant de l’organisation terroriste Omega 7, basée en Floride, a admis avoir introduit ce virus mortel à Cuba avec l’intention de faire le plus grand nombre possible de victimes». Il y a d’autre part eu plus de 600 projets visant à assassiner Castro.

Les gains sociaux de la révolution et l’hostilité brutale de l’impérialisme américain révélés dans ce livre illustrent pourquoi Cuba est considérée avec tant de sympathie par beaucoup de travailleurs et de jeunes à l’échelle internationale, tout particulièrement en Amérique latine. Il en va de même pour le Venezuela, mais peut-être dans une moindre mesure en raison de l’échec de la révolution à avancer et à renverser le capitalisme. Cuba et le Venezuela ont été perçus comme les seuls régimes prêts à résister à l’assaut du capitalisme néolibéral au cours des années 1990/2000. Cuba a gagné une sympathie générale en tant que seul régime à gauche prêt à affronter le colosse que Castro (et Hugo Chavez) qualifie à juste titre d ‘ «empire» – l’impérialisme américain.

L’effondrement de l’URSS

La réponse de Castro à une série de questions, en particulier en ce qui concerne les années 1990 et l’effondrement de l’ex-Union soviétique, révèlent un individu très bien informé qui suit attentivement la situation mondiale. Castro, à la suite des expériences désastreuses de restauration capitaliste dans l’ex-Union soviétique, s’est opposé à ce même processus qui se déroulait au même moment à Cuba. Le fait que Cuba ait pu survivre sans rompre complètement l’économie planifiée et totalement restaurer le capitalisme est une conséquence des racines sociales que la révolution avait établies. Plus récemment, le pétrole vénézuélien a représenté une aide sérieuse. Le régime cubain a également été en mesure de maintenir plus de soutien face à la politique agressive adoptée à son égard par l’impérialisme américain.

Castro révèle le rôle joué par Felipe González (l’ancien dirigeant du PSOE espagnol) pour persuader l’ancien chef soviétique Gorbatchev de soutenir une politique de restauration capitaliste. Cela s’est produit lorsque la bureaucratie dirigeante dans son ensemble est passée au capitalisme. González, avec d’autres, comme Manuel Fraga (ancien ministre du régime fasciste de Franco et président de la Galice) ont essayé de persuader Castro d’adopter le même chemin dans les années 1990. « Fraga est un de ces gens, avec González et d’autres (…) qui faisait partie du groupe qui a insisté pour me donner des conseils économiques quand l’URSS s’est effondrée. Il m’a emmené dans un restaurant très élégant une nuit et il a essayé de me donner des recettes économiques. « La formule pour Cuba est la formule au Nicaragua », a-t-il dit textuellement (…) »

Castro a rejeté ce conseil. Il a dit que la formule proposée «… a mené le Nicaragua dans un abîme sans fond de corruption, de vol, de négligence (…) terrible. (…) ils voulaient que je suive la formule russe, celle que Felipe et ses conseillers d’élite ont pressé Gorbatchev de suivre (…) et il n’y a plus rien. Tous les hommes dont le conseil était de suivre les principes du néo-libéralisme jusqu’à la mort – privatisation, stricte conformité aux règles du FMI – ont poussé de nombreux pays et leurs habitants dans l’abîme.»

Mais alors, pourquoi Castro n’a t-il pas donné de conseils similaires à Tomás Borge et à d’autres dirigeants sandinistes au Nicaragua avant leur défaite?

L’effondrement de la mondialisation et le rôle de la classe ouvrière

Isolé et face à un raz-de-marée de politiques néo-libérales à l’échelle internationale dans les années 1990, Castro explique avoir adopté une politique consistant à acheter du temps avec en tête la perspective d’attende que la «mondialisation s’effondre». «Le capitalisme moderne, soutient-il, est devenu tellement monopoliste qu’il n’y a plus de capitalisme aujourd’hui, il n’y a pas de concurrence. Aujourd’hui, nous avons des monopoles dans tous les grands secteurs ».

A peine 500 sociétés contrôlent 80% de l’économie mondiale. En regardant la crise qui se déroule ces dernières années, Castro conclut: «Ce n’est plus seulement une crise en Asie du Sud-Est, comme en 1977, c’est une crise mondiale, plus la guerre en Irak, plus les conséquences d’une dette énorme, le gaspillage croissant et le coût de l’énergie qui en découle (…) plus le déficit de la part de la principale puissance économique et militaire de la planète.» Castro conclut: «Le monde est mis dans une impasse.»

Quelle est la classe sociale capable de combattre ce système et de construire une véritable alternative socialiste démocratique? Dans ce livre, Castro révèle son manque de compréhension de la classe qui sera en mesure de vaincre le capitalisme et de construire une alternative démocratique socialiste. Cela le conduit à adopter des idées et des méthodes contradictoires. Tout au long du livre, il n’y a aucune référence à la classe ouvrière ni à son rôle central dans la révolution socialiste. Même en se référant à la grande grève générale de dix millions de travailleurs en France en 1968, Castro ne mentionne qu’en passant que De Gaulle était allé en Allemagne pour obtenir le soutien des troupes stationnées là «pour prévenir toute tentative de rébellion populaire».

L’absence de référence à la classe ouvrière révèle l’attitude de Castro à l’égard de la révolution cubaine et, en général, du caractère de la révolution socialiste. Pour Castro, la classe ouvrière ne joue pas le rôle central. Comme le dit Castro, se référant à la révolution cubaine: « Mais pour nous, la guérilla était le détonateur d’un autre processus dont l’objectif était la prise de pouvoir révolutionnaire. Et avec un point culminant: une grève générale révolutionnaire et soulèvement général de la population. »

Autrement dit, une lutte de guérilla soutenue alors par la masse de la population où la classe ouvrière jouait un rôle auxiliaire plutôt que le rôle dirigeant. Comme le Comité pour une Internationale Ouvrière l’a expliqué dans d’autres articles et documents, c’est en raison d’une série de facteurs historiques et subjectifs que la lutte de guérilla s’est déroulée avec succès à Cuba et que ce n’est que lorsque l’armée de guérilla est entrée dans les villes que les masses urbaines sont descendues dans les rues.

Dans ce livre, il y a une certaine divergence entre la façon dont Castro et le Mouvement du 23 juillet considéraient la révolution comment elle a commencé. Castro donne l’impression qu’il avait dès le début un objectif «socialiste» clairement formulé. Toutefois, comme nous l’avons expliqué dans d’autres articles et documents du Comité pour une Internationale Ouvrière et de la Tendance Militant (ancêtre du Socialist party en Angleterre et au Pays de Galles) à l’époque et par la suite, nous ne croyions pas que c’était le cas. En réalité, les dirigeants du mouvement avaient pour objectif de renverser Batista et de créer un «Cuba démocratique moderne». Che Guevara adopta une attitude différente vis-à-vis des autres dirigeants du mouvement. Suite à l’embargo de l’impérialisme américain et à la pression exercée par les masses, les dirigeants furent rapidement poussés dans une direction plus radicale, qui a fini par étouffer le capitalisme.

Tandis que les processus de la révolution cubaine n’empêchaient pas de briser l’ancien régime de Batista, il formait la nature de l’État qui la remplaçait. Bien que la classe ouvrière ait soutenu la révolution, elle ne la dirigeait pas consciemment, comme l’a fait la classe ouvrière lors de la
révolution russe en 1917.

Le régime cubain

À Cuba, le capitalisme a été renversé suite à une série de représailles entre le nouveau gouvernement cubain par l’impérialisme américain. Bien que cela ait représenté un grand pas en avant, cela n’a pas abouti à l’établissement d’une véritable démocratie ouvrière et paysanne, comme on l’a vu en Russie en 1917. Cela a engendré un régime bureaucratique (avec quelques éléments de contrôle ouvrier au début, qui sont maintenant largement érodé) qui a géré une économie nationalisée et planifiée.

Le caractère réel de l’Etat est peut-être révélé par inadvertance par Ignacio Ramonet dans son introduction au livre quand il remarque: «Alors qu’il [Fidel Castro] est là il n’est qu’une voix. Il prend toutes les décisions, petites et grandes. Bien qu’il consulte très respectueusement les autorités politiques en charge du Parti et du gouvernement, très «professionnel» au cours du processus décisionnel, c’est Fidel qui décide enfin ».

Castro révèle également comment les aspects de l’Etat fonctionnent pendant les périodes critiques. Il révèle que, face à une décision d’exécuter le chef de l’armée, Arnoldo Ochoa, pour trafic de drogue présumé, c’était «une décision unanime du Conseil d’Etat, qui compte 31 membres. Au fil du temps, le Conseil d’État est devenu un juge et la chose la plus importante est que vous devez lutter pour faire en sorte que chaque décision soit prise avec un consensus des membres.» Le fait que cette décision ait été prise sans dissidence en dit long sur le caractère de ce corps et sur l’influence de Castro, étant donné le caractère très controversé de l’affaire Arnoldo Ochoa.

Castro défend aussi l’idée d’un Etat à parti unique: «Comment notre pays aurait-il pu rester ferme s’il avait été divisé en dix morceaux? » Il esquive cette question en attaquant la corruption et la manipulation des médias dans l’occident capitaliste en défendant qu’il ne s’agit pas d’une véritable démocratie. Cette question est toutefois totalement différente du droit des travailleurs, des jeunes et des intellectuels de former leurs propres partis politiques, y compris les partis trotskystes, et de contester les élections dans une démocratie ouvrière et paysanne.

Un véritable régime de démocratie ouvrière assurerait l’élection démocratique de tous les fonctionnaires, soumis à un processus de révocation par leur base. Les fonctionnaires de l’Etat et du parti ne recevraient pas plus que le salaire moyen des travailleurs qualifiés et la pleine liberté d’expression des opinions et des critiques serait assurée. Un tel régime, surtout après près de cinquante ans au pouvoir, ne devrait avoir rien à craindre du fait que des travailleurs, des jeunes et des intellectuels construisent leurs propres partis et organisations politiques pour défendre l’économie planifiée.

Cela ne signifie pas que le Cuba de Castro a adopté les mêmes traits grotesques que ceux de la Russie de Staline, avec des procès spectacle et des purges de masse, un culte déchaîné de la personnalité autour de Staline, etc. Il n’y a toujours pas de portraits ni de rues nommées d’après Castro. Il n’y a aucune preuve que la torture ait été utilisée par l’Etat. Cependant, cela ne signifie pas que la bureaucratie et qu’un élément de corruption et de privileges n’existent pas à Cuba. Cela a récemment été démontré dans le fait que le gouvernement cubain ait admis que 15% de la population possède 90% des pesos détenus dans les comptes bancaires.

Cuba isolé

Le problème qui s’est posé à Castro dans les années 90, après l’effondrement de l’ex-URSS, a été celui de l’isolement, combiné aux limitations imposées par l’existence d’une bureaucratie et par l’absence d’une véritable démocratie ouvrière.

Des mesures, telles qu’une ouverture partielle de l’économie et une dollarisation partielle ont été introduites par le régime pour tenter d’acheter du temps. Mais cela a accru les contradictions internes au régime, en particulier la dollarisation partielle, phénomène qui a considérablement augmenté les disparités entre ceux qui ont accès au dollar américain et ceux dont ce n’est pas le cas. Cela a fait croître le marché noir et la corruption.

La question de l’isolement de Cuba est liée à la défaite des mouvements révolutionnaires qui ont balayé l’Amérique latine dans les années 70 et 80. Castro ne tire aucune conclusion complète des raisons de ces défaites. Les sandinistes au Nicaragua n’ont pas réussi à vaincre les Contras, affirme-t-il, à cause du service militaire obligatoire. Castro dit: « Le Nicaragua a remporté sa victoire douze ans après la mort du Che en Bolivie. Cela signifie que les conditions objectives dans beaucoup de pays du reste de l’Amérique latine étaient meilleures que celles de Cuba. » Mais la question centrale est de savoir pourquoi les sandinistes ont alors finalement perdu à nouveau contre la contre-révolution? Castro ne donne aucune explication réelle. Il ne fait pas de commentaire quant à l’échec des sandinistes à renverser le capitalisme. Ils ont été empêché de prendre des mesures décisives pour renverser le système, surtout en 1984, en grande partie à cause de la pression exercée par la bureaucratie stalinienne à Moscou qui s’y opposait. Cuba et Castro, ont appuyé la pression de Moscou et, à un moment donné, ont assujetti à l’embargo les avions de combat MIG russes à La Havane qui étaient destinés à Managua, la capitale du Nicaragua.

Commentant la défaite d’Allende, en 1973 au Chili, Castro dénonce correctement le rôle de l’impérialisme américain, mais il ne tire aucune conclusion sur les erreurs des dirigeants des partis socialistes et communistes au Chili. Pourtant, ces défaites, et d’autres, ont été cruciales en Amérique latine pendant cette période. Cela a renforcé l’isolement et la dépendance de Cuba à l’égard de la bureaucratie soviétique.

Castro a poursuivi en un certain sens les erreurs commises par les dirigeants de ces mouvements dans les conseils qu’il a récemment donnés à Hugo Chávez au Venezuela. Castro raconte qu’à l’époque de la tentative de coup d’état de la part de la droite au Venezuela en 2002, il a exhorté Chávez à «entrer en contact avec un officier avec une autorité réelle parmi les rangs des membres du putsch, les assurer de sa volonté de quitter le pays, mais pas de démissionner. »

L’ancien président Allende, argumente Castro, n’a pas d’autre choix que de donner sa vie durant le coup d’Etat de Pinochet en 1973. Il déclare qu’Allende n’avait pas «le soutien d’un seul soldat». Ce n’est pas vrai. De vastes sections de l’armée et de la marine au Chili soutenaient le processus révolutionnaire. Il est estimé qu’Allende a eu le soutien de jusqu’à 30% de l’armée au moment du coup d’Etat. La tragédie est qu’Allende a refusé d’armer et de mobiliser la classe ouvrière.

Castro déclare qu’à l’époque de la tentative du coup d’Etat de 2002 au Venezuela, il avait déclaré à Chavez que rencontrer le peuple pour déclencher une résistance nationale n’avait pratiquement aucune chance de succès. Pourtant, la ‘résistance nationale’ a éclaté spontanément par la base et Chavez a été ramené au pouvoir par les masses elles-mêmes. Ce conseil est un autre exemple qui démontre que Castro ne considère pas les masses et la classe ouvrière comme la force dirigeante d’une révolution, mais comme un auxiliaire pour des organisations de guérilla ou des sections de l’armée.

Tout en entrant en collision avec la bureaucratie stalinienne soviétique, que Castro critique à plusieurs reprises, il ne lui fournit pas d’alternative. Cela résulte encore une fois du manque de compréhension et de confiance de Castro dans la classe ouvrière. En conséquence, les critiques de Castro ont finalement conduit au soutien aux staliniens. Castro a également gardé le silence, parfois, lors de grandes luttes entre l’Etat et les travailleurs et les jeunes de plusieurs pays.

En ce qui concerne le «Printemps de Prague» en 1968, tout en appuyant initialement certaines des revendications pour une plus grande démocratie, la liberté d’expression, Castro a conclu: «Mais à partir de slogans justes, il y a eu une évolution vers une politique ouvertement réactionnaire. Et nous avons du – malheureusement – approuver cette intervention militaire. » Pourtant, en 1968, l’appui à la restauration capitaliste n’était pas l’idée dominante dans l’ex-Tchécoslovaquie. La conscience des masses, à l’époque, était pour la « démocratisation du socialisme » et non pour le capitalisme.

Incontestablement motivé par les intérêts diplomatiques et commerciaux, le régime cubain se tut quand des centaines d’étudiants furent massacrés par le gouvernement mexicain en 1968. Castro ne dit rien de ces événements dans son livre.

En soulevant le spectre de la restauration capitaliste en Tchécoslovaquie, Castro confond cette période avec celle des années 1990 où cette confusion existait dans la population. Castro reprend en fait la justification stalinienne de l’intervention russe en 1968. Castro est clairement opposé à une restauration capitaliste à Cuba, surtout en ayant vu les conséquences que cela a eu en ex-URSS et en Europe de l’Est. Il conclut vraisemblablement que l’ancien chef soviétique Gorbatchev, que Castro décrit à un moment comme un «vrai socialiste révolutionnaire», a fini par être une figure centrale du processus de restauration capitaliste sans en avoir eu l’intention initialement. Comme le dit Castro: « Mais il [Gorbahev] n’a pas réussi à trouver des solutions aux grands problèmes de son pays ».

Boris Eltsine, qui était également un élément central du processus de restauration capitaliste, est décrit par Castro comme un «secrétaire du parti exceptionnel à Moscou, avec beaucoup de bonnes idées».

Castro identifie certains des problèmes cruciaux auxquels l’ex-Union soviétique a été confrontée; les déchets, la corruption, la mauvaise gestion et son incapacité à développer et à utiliser les ordinateurs modernes. Mais il ne parvient pas à offrir de solution claire contre le règne bureaucratique et le gaspillage. Il ne voit pas la nécessité de supprimer la bureaucratie stalinienne et d’établir un véritable système de démocratie ouvrière. Sans cela, aucun des problèmes énormes qu’il identifie ne pourrait être résolus.

Cependant, beaucoup de ces caractéristiques existent de la même manière à Cuba. Castro révèle aussi quelques-uns des conflits qui ont eu lieu entre la bureaucratie soviétique et le régime cubain. Lorsqu’on lui demande si les Cubains ont été consultés au sujet du retrait final des troupes soviétiques de Cuba en septembre 1991, Castro répond: « Consulter. Ils n’ont jamais consulter. À ce moment-là, ils s’écroulaient. Tout ce qu’ils ont fait, c’était sans consultation. »

Castro révèle aussi, dans des lettres publiées en anglais, pour la première fois, l’attitude erratique que son régime a parfois adoptée. La crise des missiles s’intensifiant, Castro explique qu’il a exhorté l’URSS à lancer une attaque nucléaire en premier lieu pour contrer une action offensive directe contre Cuba par les Etats-Unis. «Je suis d’avis qu’une fois que l’agression a eu lieu, les agresseurs ne doivent pas avoir le privilège de décider quand les armes nucléaires seront utilisées (…) à partir du moment où l’impérialisme a déclenché une attaque contre Cuba et à Cuba même et donc contre les forces de l’armée soviétique stationnée ici (…) une réponse soit être donnée aux agresseurs de Cuba et de l’URSS sous forme d’une attaque d’anéantissement. » Khrouchtchev et la bureaucratie soviétique n’ont pas accepté cette proposition.

Aujourd’hui, Castro contredit sa position et ses commentaires antérieurs, lorsqu’on lui demande si Cuba veut fabriquer une bombe nucléaire: «Vous vous ruinerez – une arme nucléaire est un bon moyen de se suicider. »

Staline et Trotsky

Elément significatif, Castro critique ouvertement Staline et conclut: «Le plus intellectuel des deux était, sans aucun doute, Trotsky.» Cela ne veut pas dire que Castro a soutenu les idées et les méthodes expliquées dans les écrits de Trotsky. Castro écarte à tort toute suggestion selon laquelle Che Guevara commençait à chercher une alternative et avait commencé à lire les œuvres de Trotsky ou était en quelque sorte affecté par ses idées. Ce faisant, Castro écarte les preuves du contraire, telles que présentées par Celia Hart, Jon Lee Anderson et l’écrivain mexicain Paco Ignacio Taibo.

Une caractéristique frappante de ce livre est l’attitude de Castro à l’égard des dirigeants mondiaux et des dirigeants pro-capitalistes des anciens partis ouvriers de masse. Pour les marxistes, s’opposer au système que défendent ces dirigeants n’est pas une question personnelle. Pourtant, Castro fait tout son possible pour faire l’éloge de certains de ces dirigeants, en dépit d’avoir ouvertement critiqué leur action. L’ancien président américain Jimmy Carter est décrit comme un «homme d’intégrité». Charles De Gaulle est accrédité d’avoir sauver la France : «ses traditions, sa fierté nationale, le défi français». Un ministre du gouvernement fasciste de Franco en Espagne est, selon Castro, «un Galicien intelligent et rusé». Le président Lula, au Brésil, est salué comme «un combattant tenace et fraternel pour les droits du travail et de la gauche, et un ami de notre peuple» et Castro considère «les réformes que Lula met en œuvre très positivement» en dépit du fait que la grande majorité des «réformes» de Lula ont été des attaques néolibérales contre les droits de la classe ouvrière.

En ce qui concerne l’avenir de Cuba, Castro affirme catégoriquement que la révolution sera maintenue, sans aucune menace de restauration capitaliste. Cependant, en dépit de l’héritage solide qui subsiste et du soutien aux acquis de la révolution, la menace de restauration augmente. Depuis la publication de ce livre, Castro a démissionné en tant que leader du pays. Raul, son frère et d’autres sections puissantes de la bureaucratie cubaine ont l’intention de s’acheminer vers l’ouverture de l’économie de marché à Cuba. Si Castro voit cette menace, il n’est évidemment pas prêt à jouer le rôle de Gorbatchev ou d’Eltsine pour aider ce processus.

La publication de ce livre fournit une vision éclairante de Fidel Castro; de son rôle et de ses méthodes. Surtout, il faut apprendre des expériences que Castro rapporte. Il montre la nécessité vitale de développer la véritable démocratie ouvrière et le socialisme.