Une extrême-gauche qui donne les preuves… de son incapacité

Il y a un an, la gauche officielle ne passait pas le premier tour des présidentielles, Le Pen était au second tour, et l’extrême gauche (LO, LCR, PT) faisait 11 % des voix. Une polarisation extrême de la société apparaissait, de même qu’un rejet massif des institutions.

Article paru dans l’Egalité n°101

Des centaines de milliers de personnes manifestaient contre le faux duel Chirac/Le Pen. Dans un tel climat, les organisations d’extrême gauche auraient pu créer un pôle revendicatif et ainsi transformer une partie de leurs électeurs en éléments plus actifs. Mais comme on s’en souvient ce ne fut pas le cas, la LCR appelant en Une de son journal à  » battre Le Pen dans la rue et dans les urnes « , et LO refusant d’appeler à voter Chirac mais ne mobilisant pas, idem pour le PT.

La gauche plurielle, trop heureuse de pouvoir ainsi escamoter son bilan gouvernemental tint le haut du pavé des mobilisations. Chirac élu à 82 %, sa politique ultralibérale, sécuritaire et impérialiste allait pouvoir s’appliquer.

Un an après nous en sommes encore là. Une série d’attaques sans précédent tombe, et les 3 organisations continuent comme si de rien n’était, à proclamer qu’elles sont pour un grand parti (voire qu’elle le sont déjà pour le PT) à s’assurer qu’elles ne tomberont pas d’accord et ainsi s’affronter via les collectifs de lutte, ou directement lors des manifestations.

Pendant ce temps, l’ex gauche plurielle, sans ré-émerger pour autant, a encore le loisir de faire l’économie d’un réel bilan, et garde un rôle central.

Quels projets portent ces organisations ?

Il y a bien un programme mais il n’a l’air de servir que pour les congrès. Or un programme, c’est dans la pratique que ça s’utilise, se vérifie, et s’emploie. Au lieu de cela, on n’entend que quelques revendications, qui peuvent paraître radicales (chaque organisation s’assurant d’avoir les siennes propres pour être sûre de ne pas être confondue, ô horreur, avec l’autre qui est sectaire ou l’autre qui est opportuniste). Certaines sont censées rassembler, d’autres démontrer que les capitalistes ne les accepteront pas et qu’il faut donc changer de système. Comment, par quels moyens ? mystère…

A LO, on entend de plus en plus souvent que la bourgeoisie, préférera donner satisfaction aux travailleurs que de tout perdre. Le pire avec ce genre de formulation, c’est que non seulement c’est faux (la bourgeoisie a fait de nombreuses concessions jusque dans les années 70 et est en train de tout reprendre aujourd’hui) mais en plus c’est l’idée que ces revendications suffisent. Exit notamment, le fait que pour les financer la bourgeoisie surexploitera les travailleurs du  » tiers monde « .

A la LCR, le terme  » démocratique  » est mis à toutes les sauces (un Irak démocratique, un système démocratique etc.) remplaçant ainsi le socialisme. Sans dire son nom, on assiste à ce que Trotsky fustigeait, notamment dans la Révolution permanente (disponible aux éditions le Seuil), à savoir intercaler une improbable période de démocratie « bourgeoise » (parlementaire ou autre) entre la période actuelle et la révolution. Une telle perspective ne peut que tromper les militants. Pas plus en Irak qu’ailleurs la bourgeoisie ne tolérera une transition démocratique au socialisme. Cela veut dire qu’il faut expliquer sans relâche aux travailleurs qu’il ne faudra pas s’arrêter en chemin et que la véritable démocratie, l’organisation de l’économie par les travailleurs eux mêmes pour la satisfaction des besoins de toute la population, c’est le socialisme. Ce n’est pas en devenant démocratique que l’Irak deviendra socialiste mais l’inverse.

Quelle possibilité pour créer un nouveau parti ?

Avec une telle extrême gauche, la gauche  » officielle  » peut dormir tranquille, elle n’est menacée qu’aux marges et pendant quelques luttes. Les directions des trois organisations continuent avec inconscience de jouer avec les opportunités, sans se rendre compte qu’elles pourraient (et que les travailleurs pourraient également) le payer très cher.

La direction du PT ne veut rien faire avec personne c’est bien connu. Et les rares fois où elle s’aventure dans une unité, c’est pour être sûre de la rompre au bon moment dans l’unique but de récolter quelques militants supplémentaires.

LO et la LCR avaient un temps fait espérer en s’alliant aux européennes. Depuis non seulement il n’y a rien, mais chacune s’est arrangée pour que l’autre refuse de continuer. Certes la LCR a multiplié les propositions, mais sur des bases qui rendait sûr et certain le refus de LO.

Par sa croissance et sa visibilité actuelle, la LCR est celle qui pourrait le plus. Mais, clame t elle, elle est pour un nouveau parti, sauf qu’il n’y a pas de partenaire, en attendant, « construisez la ligue… », et la boucle est bouclée. Bien sûr à aucun moment le type de partenaire n’est défini.

Le mouvement anti-guerre a confirmé la tendance générale. LO ne faisant à aucun moment de la lutte contre la guerre une activité centrale, le PT le faisant dans son coin , et la LCR signant tous les appels de la gauche officielle qui entre autres demandaient à Chirac de faire tout son possible pour empêcher la guerre, ou qui exigent des institutions internationales qu’elles fassent valoir leurs droits face aux méchants zaméricains. C’est quasiment une même orientation qui est mise en pratique sur la question Israël/Palestine, et ce malgré des décisions de congrès qui vont complètement dans l’autre sens, mais il semble que le bureau politique puisse faire ce qu’il veut sur de nombreuses questions.

La LCR tient son congrès fin juin. Nous verrons, s’il y a un début de réelle opposition à l’orientation proposée par la direction de la LCR ou si celle-ci réussit, comme de coutume, à noyer les divergences en adoptant un programme qu’elle n’appliquera jamais. Comme d’autres organisations, nous avons discuté (il y a deux ans) la possibilité d’intégrer la LCR. Force est de constater que les événements des derniers mois nous confirment dans notre choix de ne pas le faire. L’organisation sœur de la LCR participe au gouvernement Lula au Brésil. Celui-ci a été présenté lors de la chronique boursière de Jean Pierre Gaillard sur France Info le mardi 29 avril comme « l’heureuse surprise de l’Amérique du Sud » étant donnée la « politique d’orthodoxie économique que Lula a déclaré vouloir appliquer », traduisez conforme au FMI et aux intérêts boursiers. Cette position n’a fait l’objet d’aucune critique officielle. De plus, il y a les déclarations du porte parole n°2 de la LCR, Olivier Besancenot, comme celle qui reproche à Trotsky d’avoir « militarisé la révolution russe » (pourtant une dizaine de pays capitalistes venaient envahir la jeune Russie soviétique, comment propose t-il de résister dans ces conditions alors ?). Et surtout, il y a cet tendance permanente de la part des dirigeants de la LCR, lorsqu’un mouvement de masse se produit, de privilégier la recherche d’accords avec la gauche officielle (au sein de collectifs d’organisations) au lieu d’essayer de développer une alternative.

Une autre voie est possible

Il y a une multitude de raisons qui font penser que, comme pour LO et le PT, c’est malgré les directions actuelles de l’extrême gauche qu’on pourra construire un véritable nouveau parti pour les travailleurs. C’est à dire un parti qui s’affiche comme opposant politique à la gauche officielle, et en ennemi du capitalisme, un parti qui mette au cœur de sa démarche la lutte pour une société authentiquement socialiste et démocratique.

Ceci ne nous interdit évidemment à aucun moment les manifestations communes avec les multiples forces (politiques ou autres) qui composent le mouvement ouvrier organisé. Egalement nous sommes pour participer aux éventuels débats que telle ou telle organisation pourra proposer, sans sectarisme, mais sans illusions.

Néanmoins, le comportement des directions de l’extrême gauche, nous renforce dans l’idée qu’il faut bâtir une alternative à celles-ci, non pour faire pression sur elles pour qu’elles changent de politique (elles sont là, quasiment inchangées depuis 30 ans au moins), mais pour construire une organisation révolutionnaire, qui mette la perspective socialiste au cœur de sa démarche, notamment dans les luttes. C’est cela que nous proposons à toutes celles et tous ceux qui veulent nous rejoindre.

Par Alexandre Rouillard