Hong Kong : la « Révolution des parapluies » a commencé

blo2Ce fut le weekend qui a tout changé à Hong Kong. La résistance populaire de masse en rue, jour et nuit, avec des rassemblements massif de 100 000 à jusque 180 000 personnes, avec la jeunesse et une grève étudiante d’une semaine comme fer de lance, a forcé le gouvernement non-élu de Hong Kong et les milliers de policiers anti-émeute lourdement armés à battre en retraite.

Les médias du monde entier, saisissant la nature sans-précédent de ces événements, parlent « d’impasse historique ». Avec les manifestations de masse qui continuent à grossir et à ressentir une énorme confiance en elles depuis la défaite de l’attaque de la police dimanche, le mouvement de Hong Kong représente, selon les mots d’Associated Press, « une énorme résistance » au programme anti-démocratique du régime de Pékin à Hong Kong et en Chine.

L’assaut vicieux de la police ce dimanche 28 septembre a choqué et mis en colère toute la société, à une échelle jamais vue auparavant. C’est la crise politique la plus sérieuse à Hong Kong depuis son retour sous l’emprise Chinoise en 1997. Il y a certaines caractéristiques de situation pré-révolutionnaire, avec un gouvernement dans une crise profonde ayant subi une perte de contrôle et d’autorité.

Les institutions d’Etat – surtout la police – suscitent la méfiance et le mépris général. La majorité de la population de Hong Kong n’a plus confiance en la faible « autonomie » du territoire en tant que spéciale en Chine ou la considèrent comme une imposture.

Cependant ce mouvement est presque entièrement sans organisations, sans programme ni direction, reproduisant le modèle qu’on a pu voir dans des mouvements de contestation massifs similaires partout dans le monde. Il y a un sentiment anti-parti très puissant dans les manifestations, et alors que les partis d’opposition démocratiques bourgeois continuent à produire des déclarations qui les identifient au mouvement, monopolisant la plupart des interviews des médias, ces partis sont presque entièrement absents sur le terrain. Alors que ce modèle « spontané » s’est montré plus qu’à la hauteur de la tâche de déclencher le mouvement en rue, il y a besoin de plus : des étapes pour organiser, construire des comités de grève démocratiques et des comités d’occupation, et établir un programme clair des revendications pour faire avancer la lutte et vaincre le programme anti-démocratique du gouvernement.

Une question cruciale est le besoin d’étendre le mouvement au-delà de la frontière, en faisant appel aux travailleurs et aux jeunes de la Chine continentale à rejoindre la lutte contre la dictature à parti unique (le PCC) chinoise. Tant que le PCC dirige, il est clair qu’il n’y aura aucune possibilité d’élections démocratiques à Hong Kong – l’objectif principal du mouvement – et que seul le renversement du régime peut ouvrir cette voie. Cette tâche requiert de plus grandes forces que les seules masses de Hong Kong ne peuvent rassembler. Plutôt que d’appeler l’administration américaine ou l’ancien colonisateur britannique en soutien, comme le font les organisations pan-démocratiques (pour les capitalismes américain et britannique, les accords financiers avec la Chine l’emportent toujours sur la démocratie et les droits de l’Homme), le mouvement de protestation doit chercher des alliés parmi les travailleurs et le jeunes de base, en Chine et dans le monde entier.

Révolution des Parapluies

Le mouvement a été surnommé « Révolution des Parapluies » sur les réseau sociaux, en référence aux parapluies inversés utilisés par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes et en particulier du gaz poivre. Le dimanche 28 septembre, la police a lancé vague après vague d’attaques au gaz lacrymo – 87 fois selon leur propre déclaration – dans une tentative de nettoyer la manifestation autour du quartier général du gouvernement à Admiralty. Le gaz lacrymogène n’avait pas été utilisé contre les manifestants de Hong Kong depuis 1967, sous l’empire colonial Britannique (il a été utilisé par la police en 2005 dans les manifestations contre l’OMC, mais la composition de ces manifestations était surtout « internationale »).

Le lundi soir, 29 septembre, une foule massive atteignant environ 180 000 personnes s’était rassemblée dans 3 endroits autour de Hong Kong. Quelques barricades sporadiques avaient été jetées en travers des principales routes, et dans la nuit, la Confédération des Syndicats de Hong Kong avait lancé un appel à « la grève générale ». Même si c’est un développement extrêmement important (à nouveau, l’annonce d’une grève politique est sans-précédent à Hong Kong, et les partisans du CIO, Socialist Action (section-soeur du PSL), étaient les seuls à le préconiser), la participation des travailleurs à cette grève est à ce stade assez limitée.

Les étudiants, de plus en plus rejoints par les écoliers qui ont fait face à une énorme pression et aux menaces autorités des écoles, ont reconduit la grève de la semaine dernière, avec des débrayages et des sit-in à une échelle encore plus grande. La rapidité des événements est telle que la principale préoccupation du mouvement est maintenant de demander la démission du Chef de l’Exécutif Chun-Ying (CY) Leung, une personnalité déjà détestée dont le rôle de cerveau de la répression de ce week-end ne fait que s’ajouter à la liste de ses crimes.

Rôle de la jeunesse

Ce n’est pas une crise seulement pour l’élite dirigeante de Hong Kong. Par la brutalité crasse, dans une tentative de montrer « une main ferme » contre les manifestations pour la démocratie, le gouvernement – sous la pression de Pékin et pour lui démontrer sa loyauté – a déclenché ce qui est potentiellement le plus grand challenge à la dictature du PCC en un quart de siècle.

« C’est déjà plus gros que tout ce à quoi s’attendaient les autorités de Pékin et Hong Kong », commente Larry Diamond de Stanford University dans le New York Times. « Ils n’ont pas de stratégie pour désamorcer ça pacifiquement, parce que cela demanderait des négociations, et je ne pense pas que le président Xi Jinping le permettrait », a-t-il ajouté.

Sans surprise, la Chine a renforcé ses contrôles sur internet, en bloquant les recherches en lignes sur des mots comme « gaz lacrymogène » et « occuper » et en supprimant Instagram, qui était utilisé pour partager les images des manifestations de Hong Kong en Chine.

Il est extrêmement significatif que ce mouvement, comme beaucoup d’autres dans le monde entier, a commencé avec la jeunesse et en particulier avec la grève écolière qui a commencé le 22 septembre. Sur la majeure partie des deux dernières années, les partisans et membres étudiantsd’Action Socialiste ont été seuls à préconiser une grève des écoles de toute la ville, dans l’idée que cela pourrait déclencher des grèves parmi les travailleurs, comme une arme-clé dans la lutte pour la démocratie. Cette perspective a été confirmée presque jusqu’au dernier détail par les événements de la semaine passée.

Les énormes manifestations et occupations actuelles ont évolué à partir de la grève étudiante d’une semaine, à laquelle ont participé près de 13 000 étudiants. Ils ont été rejoints par environ 1 500 écoliers, dont certains n’ont que 12 ou 13 ans, le vendredi 26 septembre. Vendredi soir, un groupe de manifestants étudiants a réussi à rompre le cordon autour du « Civic Square » et a commencé à l’occuper. C’est en théorie un lieu de manifestation public, devant le quartier général du gouvernement, qui a été entouré de barrières par la police en juillet, en anticipation des manifestations Occupy.

Environ 80 étudiants et autres manifestants ont été arrêtés vendredi et samedi, la police utilisant du gaz poivre et des tactiques autoritaires. L’animateur du groupe étudiant Scholarism, Joshua Wong, 17 ans, a été arrêté et en garde à vue pendant 40 heures, pour être relâché sans charges.

Au début cependant, la police a annoncé que Wong serait inculpé de 3 charges dont la lourde charge d’avoir « attaqué la police ». Les arrestations d’activistes étudiants, et la violence policière excessive, a fait jailllir l’étincelle des mobilisations de masse de ce week-end.

Menace d’escalade

Au plus haut point, dimanche, 120 000 personnes ont protesté contre la répression policière envers les étudiants. Même après les premières attaques au gaz dimanche soir, environ 50 000 sont restés face aux rangées de policiers anti-émeutes. Des rapports sont parus, ensuite reniés, selon lesquels la police se préparait à utiliser des balles en caoutchouc et à amener des voitures blindées équipées de canons à son. Dans une situation aussi chaotique, il est difficile de savoir s’il s’agit de fausses rumeurs, peut-être délibérément répandues, ou si ces rapports étaient réels mais que le gouvernement et les chefs de la police a hésité et les a retirés. Les rapports ont cependant été pris au sérieux par les dirigeants du mouvement Occupy Central (OC), qui, il faut le souligner, n’ont joué aucun rôle dans la grève étudiante ni dans les mobilisations de ce week-end. Il serait plus juste de dire qu’ils se sont « parachutés » eux-même dans les manifestations de façon à proclamer leur rôle dirigeant une fois que l’échelle du mouvement ne faisait plus aucun doute.

Dans la nuit de dimanche, alors que les rumeurs sur les balles en caoutchouc et les voitures blindées circulaient, le dirigeant de OC Chan Kin-man a appelé les manifestants à Admiralty à se retirer. « C’est une question de vie ou de mort », disait-il. Même les dirigeants la Fédération des Étudiants ont appelé les manifestants à quitter les lieux, ce qui a été ouvertement critiqué par Longs-Cheveux Leung Kwok Hung de la Ligue des Sociaux-Démocrates, qui a appelé les manifestants à tenir leur position.

Alors que la plupart des manifestants ont évacué le lieu principal de protestation à Admiralty, de nouvelles occupations sont apparues dans deux autres endroits de la ville, avec environ 3 000 personnes se rassemblant à Mong Kok, fermant Nathan Road, la principale artère à travers Kowloon. « Occupy Mong Kok » est encore en cours à l’heure ou nous écrivons, avec environ 30 000 personnes qui si sont rassemblées dans la nuit de lundi. D’autres ont campé toute la nuit à Causeway Bay, un autre quartier d’affaires et de commerce. L’attaque de la police n’a donc pas réussi à disperser et réprimer le mouvement Occupy comme elle l’espérait. Au lieu de cela, les manifestants ont « métastasé » – en réponse aux tactiques de la police – en des occupations multiples, ce qui présente un défi bien plus grand à la police.

Ce dénouement représente une victoire pour les manifestants qui ont surmonté et résisté à « la démonstration de force massive » de la police, comme le décrit Willy Lam, un commentateur libéral. La police de Hong Kong avait été préparée (dans les moindres détails) depuis deux ans, depuis la première fois que OC a été annoncé, à briser les occupations. Leur tâche a été facilitée par les reports et tergiversations répétées des dirigeants de OC. Cela impliquait la transformation complète de la police en force para-militaire, avec de nombreuses répétitions pour durcir la police et en faire un outil politique contre la lutte démocratique. Mais malgré cela et le manque d’une organisation cohérente au sein des manifestations à ce stade, l’attaque de la police a échoué face à la résistance opiniâtre et héroïque.

La fin des illusions

C’est la deuxième fois en un mois que les puissantes illusions construites par l’élite dominante sur des décennies, sous la domination britannique puis chinoise, ont été écrasées, ce qui montre la profondeur de la crise actuelle. La première occasion, le 31 août, était la décision du faux « parlement » non-démocratique chinois, l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), qui a anéanti les espoirs populaires d’élections libres du prochain Chef de l’Exécutif. Cette fois-ci, c’est l’illusion que les Forces de Police de Hong Kong – « les meilleures en Asie » – qui ont explosé littéralement en une nuit. Même Fung Wai-Wah, le président du syndicat des enseignants très « modéré », a déclaré « la police s’est faite l’ennemie du peuple ».

Significativement, l’un des principaux slogans scandés envers la police par les manifestants depuis les attaques de dimanche est « la police, en grève ! » C’est un appel à ce que la police refuse les ordres, ce qui pose sans doute de nouveaux problèmes aux commandants de police, car le moral est entaillé et ils sont forcés de revoir complètement leurs stratégies.

La destruction d’illusions vieilles de décennies dans l’impartialité de l’Etat et dans « l’Etat de droit » sacré à Hong Kong résulte de la position de plus en plus dure, répressive et rigide du PCC, qui est à son tour le reflet de la crise qui s’approfondit au sein de la dictature. Le PCC ressemble à une machine à une seule viterre : la répression. Le régime étant plus enclin à supprimer que d’installer des « amortisseurs » sous forme de réformes politiques limitées demandées par les libéraux bourgeois, les perspectives politiques pour la Chine vont de plus en plus vers une explosion sociale ou une série d’explosions. Vers des soulèvements révolutionnaires, en d’autres mots, ce dont nous sentons un arrière-goût à Hong Kong.

Cela se voit très explicitement dans la répression d’État de plus en plus forte dans la région à majorité Musulmane de l’Ouest de la Chine, le Xinjiang, avec des centaines de personnes tuées cette année dans des affrontements avec les forces d’État et la décision récente d’interdire de porter la barbe dans les bus dans certaines parties de la région ! La semaine dernière, un soi-disant tribunal a condamné le professeur musulman Ouïgour Ilham Tothi à une peine de prison à vie de facto pour « séparatisme » ; alors que Tothi est vu comme un critique modéré du régime chinois, préconisant les réformes plutôt que la révolution.

Il est probable que le régime de Hong Kong a fait tomber l’échelle sur laquelle se tenait les dirigeants bourgeois pan-démocratiques « modérés », qui ne voulaient rien de plus qu’une invitation à des négociations pour des changements électoraux. Les « modérés » étaient prêts à avaler la plupart des règles et contrôles anti-démocratiques de Pékin en échange de concessions mineures, mais Pékin à refusé.

« Un pays, deux systèmes » sous pression

Cette ligne dure érode rapidement ce qui reste de tolérance envers le régime, à Hong Kong par exemple, où beaucoup avaient acheté l’idée que la ville pourrait coexister en tant qu’enclave relativement démocratique dans une Chine autoritaire. Les partisans du CIO à Hong Kong et en Chine ont depuis longtemps expliqué que ce n’était pas possible ; que soit la lutte pour la démocratie s’étendrait à toute la Chine – avec l’étincelle initiale venant assez probablement des mouvements à Hong Kong – aboutissant au renversement de la dictature, soit la dictature chercherait de plus en plus à fermer l’espace démocratique de Hong Kong. C’est la dynamique que nous voyons aujourd’hui.

Un sondage récent dans le South China Morning Post publié avant le mouvement de masse actuel a montré que 53 % des habitants de Hong Kong n’ont maintenant plus confiance en la formule « un pays, deux systèmes » (qui permet à Hong Kong un certain degré d’autonomie) contre 37% qui ont l’opinion opposée. Un effondrement depuis les 76% qui avaient foi en l’arrangement « un pays, deux systèmes » en 2007. Comme nous l’avions expliqué dans les rapports précédents, les sentiments « séparatistes » de Hong Kong et le soutien à l’indépendance vis-à-vis de la Chine vont inévitablement augmenter en résultat des politiques actuelles de la dictature.

Mais Pékin, en particulier sous Xi Jinping, craint de perdre le contrôle – en Chine et pas seulement à Hong Kong – même en n’ouvrant qu’une seule fenêtre ou porte vers les « élections libres » sur le soi-disant modèle occidental. Il veut non seulement mettre un frein au processus démocratique de la ville, mais aussi l’inverser, imposant un contrôle politique encore plus grand sur la ville.

La décision du ANP en août n’est qu’un élément du plan qui vise à emprisonner la lutte pour la démocratie de Hong Kong. En plus de militariser la police et de contrôler encore plus les médias locaux, ce plan va réduire les pouvoirs le la législature largement impuissante de Hong Kong et transférer plus de contrôle, sur le budget par exemple, au prochain Chef de l’Exécutif « élu par le peuple » sous le faux système électoral dessiné par la décision de l’ANP. C’est ce grand projet d’amener Hong Kong encore plus sous le système autoritaire qui a foncé dans le mur de l’opposition de masse dans les derniers jours.

Soutien massif

Le plan du gouvernement pour écraser et discréditer « OC », et de cette façon écarter la tempête de protestations contre les propositions électorales non-démocratiques de Pékin, est maintenant en lambeaux. Malgré la propagande massive contre l’occupation, et les horribles avertissements contre le « chaos » et la « violence », il est évident quel côté à gagné la bataille pour le soutien du public dans les événements de ce week-end.

Le South China Morning Post a rapporté que des employés de bureau en route vers leur travail lundi matin avaient applaudi les Occupants à Causeway Bay. Le journal cite un comptable qui disait que le gouvernement avait « sous-estimé le pouvoir du peuple ». Il y a beaucoup de rapports de passants apportant de l’eau et de la nourriture et montrant leur soutien.

L’énorme foule qui est sortie lundi soir et les masses scandant « A bas le Chef Exécutif Leung » montrent où le mouvement en est. Les premiers frémissements de la classe ouvrière, qui n’a jusqu’à maintenant pas encore fait son entrée en tant que force distincte, organisée et indépendante dans le mouvement pour la démocratie, est pour les socialistes le plus significatif de tous les développements. Même si la réponse à l’appel à la grève a été mitigée, reflétant la faiblesse numérique des syndicats à Hong Kong sur une longue période historique, des groupes importants ont quand même cessé le travail dans leur colère contre la répression policière. Cela incluait environ 200 ouvriers de l’usine de Coca-Cola à Sha Tin, les travailleurs de l’eau, les conducteurs de bus, des employés de banque et des professeurs.

Occupy Central supplanté

Dans cette lutte, le mouvement « Occupy Central » âgé de 2 ans n’est rien de plus qu’une note en bas de page, un plan qui n’a jamais été mis en pratique et a depuis été mis de côté par la « révolution des parapluies » improvisée par en-bas. Comme nous l’avons montré dans nos critiques des dirigeants de OC, leur vision a toujours été pour des manifestations plus petites et surtout symboliques, d’un millier de participants, disant même au départemen que les jeunes ne devraient pas prendre part à l’occupation. Tous les aspects de leur plan résonnaient avec la peur de « l’action radicale » et de la spontanéité. La réalité a renversé cela.

Donc, alors qu’une partie des médias capitalistes – et nous pouvons comprendre pourquoi – continue de présenter les dirigeants de OC comme les initiateurs du mouvement de masse actuel, ce n’est pas du tout le cas. Le mouvement actuel s’est développé indépendamment des dirigeants de OC qui sont restés sur le côté, ne jouant un rôle ni dans les grèves étudiantes ni dans la première vagues de manifestations contre la violence policière. Cela n’a changé que tôt le dimanche matin, 28 septembre, quand le mouvement de masse était déjà étendu et que les dirigeants de OC se sont retrouvés à « courir après le bus ».

Comme Action Socialiste l’expliquait au commencement de OC en 2013, tout en supportant l’appel à une occupation de masse, OC était aussi une tentative des dirigeants pan-démocratiques « modérés » de reconstruire leur autorité endommagée dans la lutte démocratique, en particulier chez les jeunes et beaucoup de militants, et de se positionner eux-même à la tête de la confrontation sur la réforme électorale. Alors que l’idée d’occupation correspondait à l’ambiance populaire pour une lutte plus radicale pour obtenir la démocratie, le but des pan-démocrates « modérés » était d’utiliser l’appellation « OC » pour bloquer les initiatives plus radicales par en-bas. Les « modérés » qui sont proches politiquement de la direction de OC, et qui jusqu’au mois dernier cherchaient encore un compromis avec Pékin, ont souffert d’une grosse perte électorale en faveur des candidats pro-démocratie plus radicaux dans les dernières années en résultat de leurs trahisons et des compromis pourris avec la dictature, en particulier pendant les précédentes réformes électorales en 2010.

« Les dirigeants de OC ont hésité et reporté trop de fois », dit Sally Tang Mei-Chingd’Action Socialiste. « Quand [le dirigeant de OC] Benny Tai Yiu-Ting est venu aux manifestations étudiantes, après deux jours de résistance face à la police, et a dit qu’il annonçait le début d’Occupy Central, beaucoup de gens l’ont hué et ont même commencé à quitter les lieux par mécontentement ».

Sur presque toutes les questions – le timing, la composition, la stratégie, pour ne pas parler de leur programme « modéré » très limité – les dirigeants de OC étaient désynchronisés de la réalité et de l’humeur des masses. Même leur choix de l’endroit, Central, a été dépassé par le développement réel de la lutte. Ce mouvement est plutôt « Occupy Decentral » – adoptant consciemment un caractère non-concentré dans divers endroits pour déjouer les plans de la police. Le mouvement actuel a émergé par en-bas, par les manifestants qui ont enduré les attaques de la police, plutôt que par les « dirigeants » auto-proclamés.

Action Socialiste a montré que ce dont ce mouvement a besoin, mais qui fait encore tristement défaut, est une direction démocratiquement élue pour les manifestations de masse, un comité d’action pour décider de la stratégie et des tactiques, ouvert à tous les groupes, partis et syndicats, mais sans qu’un seul groupe essaie d’imposer son monopole.

Un nouveau Tiananmen?

Beaucoup de gens ont établi des parallèles entre les événements de ce week-end et la lutte pour la démocratie en 1989 en Chine, et la répression brutale qui a suivi. Dans nos articles précédents, nous avons exploré la question de jusqu’où le régime chinois était prêt à aller pour bloquer la revendication pour des élections libres à Hong Kong. Il y a une lutte de pouvoir très acérée et potentiellement explosive au sein de la dictature du parti unique PCC. Xi Jinping peut difficilement se permettre de paraître faible ou de ne pas savoir manier une crise politique à Hong Kong. Cela pourrait déclencher une contre-attaque sur la position de Xi par les « groupes d’intérêts (vested interests) » et les « tigres » (hauts fonctionnaires) qui ont été visés par des purges ces deux dernières années.

En même temps, la concentration d’encore plus de pouvoirs dans les mains de Xi, contrairement aux 30 dernières années ou plus de dictature « de groupe », va inévitablement lui faire porter le chapeau – sans personne derrière qui se cacher – quand les politiques du régime manquent spectaculairement leur cible, comme en ce moment à Hong Kong. Hong Kong constitue à présent un énorme dilemme pour Xi et sa tentative de consolider son contrôle au sein du régime. Comme Edward Wong et Chris Buckley le notent dans le New York Times : « … Même de modestes concessions [aux manifestants de Hong Kong] pourraient envoyer des signaux à travers la frontière, montrant que les manifestations de masse donnent des résultats – un soupçon de faiblesse que M. Xi, un dirigeant qui exsude une auto-assurance imperturbable, paraît déterminé à éviter, selon les analystes de la Chine continentale. Et il est improbable que les petits compromis apaisent beaucoup des habitants de Hong Kong qui ont rempli les rues ».

Dans sa décision en août, le PCC a jeté le gant, balayant même les revendications minimales des pan-démocrates « modérés » et calculant qu’il pourrait contenir ou écraser le défi qui paraissait à ce moment-là émaner de la timide direction de OC. Mais comme nous l’avons vu, et comme les socialistes avaient averti que c’était de plus en plus une possibilité, le mouvement actuel a éclaté sans et malgré les dirigeants « modérés », et en partie du à l’intransigeance de Pékin.

La tentative initiale de répression de masse a explosé à la figure du gouvernement (comme plusieurs des boites de gaz lancées par la police). Cela force CY Leung et les forces d’État locales à rester en arrière pour le moment. Lundi, selon le Financial Times, le gouvernement a annoncé le retrait des troupes anti-émeutes des rues (même si cela ne s’est révélé qu’en partie vrai).

Tôt lundi matin, les « bons flics » du département des relations publiques de la police ont été envoyés pour négocier avec les manifestants, leur demandant « gentiment » si les routes pouvaient être laissées ouvertes au trafic, comme si rien ne s’était passé la veille ! Dans l’occupation de Mong Kok et Causeway Bay, il y n’y a actuellement presque aucune présence policière, alors que sur le terrain du gouvernement à Admiralty, les manifestants font toujours face à des rangées de policiers.

Même le méga feu d’artifice lancé du port de Hong Kong pour célébrer le 65ème anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine, le 1er octobre, a été annulé par peur des manifestations. Ce n’est qu’un avant-goût de la façon dont la crise politique actuelle à Hong Kong peut rebondir sur Xi Jinping et crever l’image triomphante qu’il veut promouvoir.

Le Global Times de Chine, porte-parole fanatique du gouvernement, a publié un édito en anglais disant : « les activistes radicaux sont condamnés ». Sur le site internet en chinois du journal, un article a été supprimé qui disait que la Police Armée du Peuple, la force anti-èmeute et anti-terroriste chinoise, pourrait assister la police de Hong Kong pour écraser les manifestations ; « Le soutien des forces armées pourrait rapidement restaurer la stabilité » à Hong Kong, disait-il. Que le régime fasse taire de tels propos pour le moment indique que même à Pékin – où il y a des signes de « déconnexion » et d’un faible rapport aux réalités du terrain, en particulier envers Hong Kong, mais pas seulement – on reconnaît maintenant qu’une crise politique explosive a été créée et qu’il faut s’avancer prudemment.

Même les 5000 unités de l’Armée Populaire de Libération (APL) stationnées à Hong Kong ne seraient pas nécessairement suffisantes à « restaurer l’ordre », c’est à dire à porter un coup décisif aux manifestants, en particulier avec le caractère de plus en plus décentralisé du mouvement. Déployer des troupes chinoises risquerait d’embraser un contre-coup politique encore pire. Pour le régime chinois et l’establishment capitaliste de Hong Kong, la garnisonde l’APL a un rôle dissuasif, une menace plutôt qu’une intention sérieuse.

Cela ne veut pas dire que les troupes de l’APL ne vont jamais être utilisées, ni le projet de renforts de l’autre côté de la frontière, dans le cas d’une crise et de scissions entre l’appareil d’État local de Hong Kong et les forces de police. A court terme cependant, cela est peu probable. La tactique du gouvernement dans les prochains jours, comme à Taiwan pendant le « mouvement des tournesols » plus tôt cette année, va être d’utiliser des gangsters payés et des « groupes de volontaires » pro-PCC pour servir de provocateurs pour déclencher des affrontements qui peuvent être utilisés afin de discréditer le mouvement et fournir un prétexte pour une nouvelle répression par la police.

“A bas CY!”

Même si la situation change extrêmement vite, avec des variations aiguës et des changements possibles, il semble maintenant que le régime va se retenir d’envoyer une nouvelle vague de répression, et probablement offrir des concessions, peut-être en sacrifiant un haut-fonctionnaire impopulaire (comme il l’a déjà fait auparavant) de façon à gagner du temps et à laisser passer la crise.

Il n’est pas exclu que CY soit forcé de se retirer pour permettre de restaurer « la stabilité » à Hong Kong, même si son départ face au mouvement de protestation de masse sera d’un énorme coût à la fois pour le régime chinois et de Hong Kong. Cela augmenterait énormément la confiance du mouvement pour la démocratie et justifierait l’idée de résistance de masse audacieuse. L’appel à la destitution de CY est maintenant la principale préoccupation et revendication du mouvement de masse. Même les dirigeants de OC ont appelé à la résignation du Chef de l’Exécutif, reflétant la pression de la colère de masse qu’ils ressentent en ce moment. Dans la nuit de lundi, CY a produit une déclaration disant qu’ils « ne ferait pas de compromis » – mais à mesure que la crise se prolonge, des scissions ouvertes vont émerger dans le camp du gouvernement, submergé par la pression.

Action Socialiste a été active tout au long du mouvement et joue un rôle important dans l’organisation de grèves parmi les écoliers du secondaire à travers la Citywide School Strike Campaign. Action Socialiste explique que la démocratie authentique ne peut être obtenue que par la liaison des manifestations de masse à Hong Kong avec les soulèvements révolutionnaires en Chine, où la classe ouvrière gigantesque est la force la plus importante pour changer la société et vaincre la dictature. La lutte pour la démocratie ne peut être gagnée dans les limites du capitalisme, qui partout, y compris dans les « démocraties occidentales » préconisées par les dirigeants pan-démocrates, signifie le contrôle des politiques par les milliardaires non-élus et les grandes corporations. Le capitalisme signifie la dictature, que ce soit par des régimes autoritaires ou par les marchés financiers. Notre alternative est une société socialiste dirigée démocratiquement et une économie planifiée qui peut éliminer la pauvreté croissante, les logements insalubres, le chômage et les contrats de travail sous-payés.

Dans les manifestations de masse actuelles, Action Socialiste défend la création d’un parti de masse des travailleurs à Hong Kong et aussi en Chine, qui lie les revendications démocratiques révolutionnaires avec le besoin d’une alternative socialiste claire.

Solidarité avec la « Révolution des Parapluies » de désobéissance civile de masse, de grèves et d’occupations à Hong Kong !

Étendons le mouvement de grève ! Construisons des syndicats et des comités de grève démocratiques des travailleurs et des étudiants.

Pour la démocratie complète et immédiate à Hong Kong et en Chine ! A bas la dictature à parti unique du PCC !

Dégageons CY Leung et son gouvernement non-élu !

Opposons-nous à la répression – pas de nouvel écrasement comme à Tiananmen !

Par Vincent Kolo, chinaworker.info